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- Interview Loïc Nego
« Au Videoton, je suis stable »
Si l’on en croit l’auteur de sa page Wikipedia, son parcours serait uniquement guidé par la caillasse. En vérité, la carrière de Loïc Nego est un immense looping émotionnel et géographique dans lequel on retrouve une mise à l’écart des Canaris, un Euro gagné avec « Grizi » et Lacazette, un rendez-vous manqué avec la Roma, des moments de doute chez les Duchâtelet (Standard, Újpest, Charlton) et une renaissance dans l’ancien club de Casoni. Le latéral droit défend son steak autour d’un macchiato.
Tu avais quatre ans quand l’invincible bande de Coco Suaudeau écrasait la D1. Et quinze quand tu es entré à la Jonelière après avoir été repéré lors d’un tournoi inter-district « Île-de-France » (2006). Tu ressentais ce poids de l’histoire chez les Canaris ? Carrément. C’était un autre monde. Avant, je m’entraînais deux-trois fois par semaine et, à Nantes, c’était tous les jours. J’aurais pu aller à l’Inter parce qu’on me désirait là-bas, mais j’ai choisi Nantes pour son histoire et parce que ma mère m’a demandé de rester en France. J’ai signé mon premier contrat pro en 2007. Je suis entré dans l’effectif A en 2009 grâce à Élie Baup, alors que le club venait d’être relégué. Un véritable tremblement de terre. Puis j’ai attaqué en Ligue 2 en 2010-2011. J’ai lentement émergé tout en étant proche de Matthieu Bideau (responsable du recrutement, ndlr) et de William Vainqueur (aujourd’hui à la Roma).
En 2010, tu remportes l’Euro des U19 avec Lacazette et Griezmann. Le premier a terminé meilleur buteur de Ligue 1 l’an dernier et le second est devenu incontournable dans le dispositif de Simeone à l’Atlético Madrid. Tu te réjouis de leurs parcours respectifs ?C’est énorme ce qu’ils font jusqu’à présent. Ok, on n’a pas pris la même trajectoire, mais je suis super content pour eux. On s’appelle souvent avec Alex et on s’envoie des SMS avec Antoine. On se donne des nouvelles, mais on met le foot de côté, tu vois. Même si, évidemment, on n’oublie pas ce qui nous est arrivés ensemble sur le terrain. On a été vice-champions d’Europe des moins de 17 en Turquie (2008) en perdant contre l’Espagne de Thiago Alcántara, de Bartra, de Muniain… Et ce titre de 2010, c’était l’apothéose. Francis Smerecki avait toujours les bons mots avec nous. Il nous a motivés comme jamais. Y compris avec des dessins animés.
Des dessins animés ? Développe.Ben, des dessins animés ou des documentaires animaliers. Genre, avant notre match d’ouverture du Mondial 2011 contre la Colombie, il nous a projeté un film où un lion se planquait une heure avant de foncer sur sa proie. L’idée, c’était de nous faire comprendre qu’il fallait souvent faire preuve de patience afin de pouvoir marquer. De bien analyser les caractéristiques de nos adversaires histoire de les écraser. À l’Euro, c’est ce qui est arrivé. On savait que ça allait marcher, y compris quand le sélectionneur restait silencieux ou quand on perdait 1-0 à la pause contre l’Espagne en finale. On s’est requinqués, on les a terrassés 2-1.
Bon, sinon, ton parcours est plutôt accidenté après la Beaujoire et la Ligue 2 : deux ans à la Roma B sans jouer, deux matchs au Standard de Liège en 2012/2013, une saison coupée en deux entre Újpest et Charlton, puis prêt à Újpest et départ au Videoton l’été dernier…Après Rome, j’avoue que c’était assez difficile. Je suis parti au Standard pratiquement sans jouer. Ensuite, j’ai débarqué à Újpest et j’ai vu l’écart de niveau avec les clubs précédents où j’ai évolué et la différence de mode de vie…
Je baissais la tête, j’avais plus envie du tout. Honnêtement, je pense que je ne serais plus dans le foot aujourd’hui si la situation avait perduré. Mais Meissa, mon agent, m’a sauvé la mise et m’a aidé à me reconstruire. Il m’a expliqué qu’on pouvait faire des erreurs de parcours, que ça se rattrapait et qu’on allait résoudre ça. J’ai relativisé, pris du recul, et c’est comme ça que je raisonne à l’heure actuelle.
Auparavant, tu as refusé plusieurs prolongations de contrat à Nantes. Baptiste Gentili (coach des Canaris en 2010-2011) t’a même écarté de l’équipe, ce qui a précipité ton transfert à la Roma qui s’est mal goupillé au bout du compte… Des regrets ? J’ai reçu une proposition à la fin de ma deuxième saison pro. J’allais accepter, mais Favart (directeur sportif) s’est fait virer, et Guy Hillion (de Chelsea, ndlr) m’en a soumis une autre, inférieure, que j’ai déclinée. Un an au lieu de trois et un salaire de débutant. À partir de là, ils m’ont mis à la cave. Je ne reproche rien à Gentili, il exécutait les ordres. J’étais titulaire, je prenais mes marques… et ils m’ont placardisé. J’ai cravaché pour réintégrer le groupe, mais ils ne voulaient rien savoir. Saint-Étienne, Porto et la Roma étaient intéressés. On allait aux entretiens avec Meissa, on écoutait. Il me disait d’être prudent, mais à l’époque, j’étais têtu, je n’avais que la Roma en tête. J’imaginais Totti, De Rossi… J’ai signé et je n’aurais pas dû.
Roderick Duchâtelet a-t-il galéré pour te faire venir à Pest malgré tes expériences mitigées dans les clubs de son père ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’OTP Bank Liga n’est pas le championnat le plus prestigieux en Europe… Il t’a parlé ambitions et temps de jeu ?Je n’ai pas échangé avec lui. Roderick a appelé Meissa et lui a fait une offre impeccable pour me relever et avoir des rencontres dans les jambes.
Roderick voulait absolument que j’aille à Újpest. Il m’avait vu lors de mon deuxième match au Standard, le dernier de la saison à domicile. On avait gagné 3-2 et j’ai mis deux passes décisives. J’ai signé direct, et deux mois après, Charlton (propriété de Roland, père de Roderick) m’achète. Le championnat et le club, nickel, mais je ne rentrais pas dans leurs plans même si je garde des souvenirs cool de Londres. Du coup, je retourne à Újpest en prêt, serein, et il me reste deux semaines avant de devoir rentrer à Charlton. Des options se sont présentées en Belgique, mais Duchâtelet a tout bloqué et ça m’a énervé. Il m’avait prévenu que ça allait être relativement compliqué pour moi en Angleterre. J’ai préféré m’en aller loin d’Újpest et ne pas jouer plutôt que de céder au chantage.
Fin août, tu t’es engagé trois saisons au Videoton. Le 18, Casoni a été viré après quatre défaites en cinq journées. Ensuite, vous remontez comme des tarés et pointez désormais au troisième rang à la trêve. Ça va mieux avec Ferenc Horváth sur le banc ? Pour toi itou ?Tout s’est déroulé à un jour de la fin du mercato. Un ex-directeur sportif d’Újpest qui me connaît très bien a contacté mon agent et négocié le contrat avec lui. Les conditions me convenaient, le club était champion l’an passé… je n’ai pas hésité. Ils visent la deuxième ou la troisième place dans le pire des cas, ils se démènent pour l’Europa et ça me plaît. On a mal débuté, mais là on se sent intouchables. C’est la première fois de toute ma carrière où je vois un club aussi heureux avec un coach. Horváth est dans la critique constructive. Il comprend les exigences, les sacrifices auxquels sont confrontés les joueurs. Quand c’est du négatif, il transforme en positif. Certes, et c’est dommage, on a perdu Adám Gyurcsó, parti en Pologne, mais on a un effectif assez costaud pour doubler Újpest et finir seconds derrière le Ferencváros.
Au « Vidi » , tu as côtoyé Rémi Maréval, ex-Nantais comme toi. Vous causiez de quoi à part de sa mine de 35 mètres le 29 octobre 2008 contre l’OM ? Il te donnait des conseils ? On a joué l’un contre l’autre avant d’être coéquipiers. Quand j’étais a Újpest, il était au Videoton. On se voyait à Budapest, on mangeait souvent au resto ensemble. Il m’avait notamment raconté son expérience en Israël (au Maccabi Tel-Aviv) juste avant la Hongrie. L’hyper-sécurité, la guerre, le rapatriement en France…. C’est un bon gars et un bon footballeur, même s’il est sur la fin. J’étais ici avant lui, donc c’est moi qui lui donnais quelques trucs sur le foot hongrois. Mais bon, il a de l’expérience, il savait à quoi s’attendre. Ça a quand même été dur pour lui, il n’a pas beaucoup joué à cause d’une mésentente au sein du staff. Il venait d’arriver, mais il était sur le départ en même temps. Période de transition, quoi.
Ceux qui connaissent mal la Hongrie ne voient que le porno…, son goulash, ses ruin pubs et son Équipe d’or qui a démonté tout le monde dans les fifties, sauf la RFA dopée en finale du Mondial 1954. Mais toi, Loïc, tu ne t’es pas pointé pour ces raisons-là !
(Il se marre) Je ne bois pas de bière, je n’aime pas ça ! Sérieusement, je suis venu ici pour le foot. Mes amis sont loin d’imaginer à quel point Budapest est une ville magnifique. Je commence à connaître le coin, mon fils va au lycée français… Et puis la vie n’est vraiment pas chère, ici ! Quand je rentre en France, j’explique souvent à mes potes qu’avec 100 euros, je fais une semaine de courses alors qu’ici, j’en ai pour un mois. Ils saisissent tout de suite. Pour ce qui est de la bouffe, je mange halal, donc je me fais regulièrement livrer de la viande de l’étranger et ma femme s’en occupe. Sinon, j’aime bien la soupe. Y en a une toute verte que j’adore et qui a un goût qui me fait halluciner. Y a aussi des espèces de gnocchis locaux qui sont méga bons.
Le mot magyar le plus long compte 44 lettres et je vais essayer de te le sortir d’une traite sans me planter. Attention… « Megszentségteleníthetetlenségeskedéseitekért » ! « Anticonstitutionnellement » , c’est fastoche à côté ! Tu t’en sors comment en hongrois ? Je prends pas de cours, mais au quotidien avec les entraînements, les matchs, les joueurs, y a des petits mots qui me reviennent comme « Vigyázz ! » (Attention !) ou « Tesó » (Frangin). Mon fils connaît « Szia » (Salut !) et compte dejà jusqu’à dix. Moi, je n’y arrive pas ! Je parle anglais la majorité du temps, mais parfois, pour m’amuser, je commande en hongrois. Enfin, j’essaie. Mes interlocuteurs en rigolent, ils sont contents que je tente et me demandent ce que je fais ici… Mais c’est compliqué, sans déconner. « Merci » , « Tout va bien » , je maîtrise, c’est acquis. Tu sais, on partage une bagnole avec Roland (Juhász) ou Ádám (Lang) quand on va aux entraînements tous les matins. On discute en anglais, mais j’ai des trucs qui sortent instinctivement en hongrois. S’il y a une action sympa, je vais balancer « Ez jó ! » (C’est bien !).
Tu n’as que 25 piges et tu as déjà connu cinq championnats différents (Ligue 1, Serie A, Jupiler Pro League, OTP Bank Liga, Championship). Jusqu’à présent, ta carrière se résume essentiellement à une bougeotte incessante. Selon toi, le Videoton FC = enfin la stabilité ?Je ne me sens pas stable, je suis stable ! J’ai signé trois ans, j’ai entamé ma première saison, mais mon but, à long terme, c’est de rebondir dans un championnat, disons… plus dynamique. Pour le moment, je ne fais pas la fine bouche. Je vais continuer à travailler, à progresser avec le Videoton. Je vais essayer d’atteindre les objectifs fixés. Après, on verra ce qui va se passer. Je n’ai pas de plan en particulier, mais j’ai envie d’accomplir une très belle saison. Si on joue l’Europa, les clubs vont venir gratter, évidemment, mais savoir si je partirai ou pas ou quand je partirai, si je dois partir, n’est pas à l’ordre du jour. Ici, je suis installé, je suis titulaire, je suis tranquille. Je garde une ligne de conduite à la hauteur de ce qu’on me demande sur place. Le niveau de l’OTP Bank Liga n’est peut-être pas sensationnel, mais franchement, c’est chouette, la Hongrie.
Par Joël Le Pavous