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« Au Mexique, le cas des barras est une bombe à retardement »
Les heurts lors du match de championnat mexicain Querétaro-Atlas ont fait officiellement 26 blessés samedi, au stade de La Corregidora. Mais témoins et supporters font état de dizaines de morts que tenteraient de cacher les autorités. Hugo Sánchez Gudiño, chercheur en sciences politiques à l’Université nationale autonome de Mexico (UNAM), étudie depuis 20 ans le mouvement des barras au Mexique. Pour lui, « le massacre de La Corregidora » est indissociable de la violence que vit le pays, plongé dans une guerre de cartels interminable.
Les violences survenues à Querétaro sont-elles surprenantes ? Oui et non. Dans l’historique des violences en tribune, Querétaro ne nous avait pas habitués à des faits comme ceux de samedi. C’est une barra (groupe de supporters latinoaméricains, NDLR) plutôt tranquille. Celle de l’Atlas Guadalajara, en revanche, avait déjà été sujette à des violences. Au Mexique, le cas des barras est une bombe à retardement, mais on n’était plus habitués à cela.
Quelle est la genèse des barras au Mexique ? Au début, il y a eu des groupes d’animation comme chez les Pumas de l’UNAM, qui ont calqué le modèle universitaire américain. Les ambiances étaient plutôt familiales. Mais dans les années 1990, les supporters du Club de Futbol Pachuca ont importé le modèle des barras bravas d’Argentine. Les fans sud-américains sont alors arrivés au Mexique et ont commencé à organiser toute cette fête autour du foot. Loin d’être un modèle de divertissement, il est devenu un modèle de violence, car beaucoup de jeunes barristasont fini par créer des problèmes, et les barras sont devenues incontrôlables.
Des images des affrontements qui ont paralysé la rencontre entre Querétaro et Atlas. On évitera de partager les images les plus violentes.pic.twitter.com/HUdhDuQYwy
— Garra Football (@GarraFootball) March 6, 2022
Les autorités ont semblé dépassées, voire même complices sur certaines images. On voit même un policier ouvrir une grille et laisser passer les supporters de Querétaro… Le protocole de sécurité, qui a été soi-disant mis en place, n’a quasiment pas existé. Les forces de l’ordre étaient très peu nombreuses, on voit qu’il n’y avait pas de stratégie pour aider les gens qui fuyaient les combats afin de les isoler des groupes violents. Quant à la complicité, ces groupes de supporters ont toujours été protégés par les présidents de club, par la police et évidemment par l’autorité gouvernementale. Il y a une protection politique, juridique et même physique de ces groupes. Ils se sentent tout puissants.
Il semble y avoir controverse sur le réel bilan de ces heurts. Les autorités parlent de 26 blessés quand des fans annoncent que leurs proches sont décédés…L’impact médiatique a été brutal. Les vidéos sont devenues virales, le Mexique et Querétaro ont été des tendances sur les réseaux sociaux dans le monde entier. Des milliers de personnes ont été témoins des actes de violences à La Corregidora. Et certains journalistes aux sources sûres ont annoncé qu’il y avait des morts. Mais évidemment, cela représenterait une tache indélébile sur les clubs, les États impliqués, et tout le football mexicain. Si les autorités donnaient un bilan avec des morts, sachant qu’ils ont déjà annoncé des blessés, ce serait une débâcle pour le Mexique, pour le championnat. Malheureusement, ce n’est pas la première fois qu’il y a une manipulation d’informations dans le cas de la violence dans le pays. Dans leurs conférences de presse, les gouverneurs des États du Querétaro et du Jalisco (où se trouve l’Atlas Guadalajara, NDLR) sont terrifiés. Ce scandale pourrait signifier la fin de leur carrière politique.
Les autorités ont-elles pu occulter le vrai bilan de ces affrontements ?Le football, c’est de l’argent. Au Mexique, il y a des projets de centaines de millions de dollars en jeu : les dirigeants veulent créer une Ligue nord-américaine avec les États-Unis et le Canada, et ces images pourraient mettre ce projet en danger. Et il y a une Coupe du monde à organiser en 2026 avec ces mêmes pays. Il faudra voir la réaction de la FIFA, qui avait déjà menacé la Fédération mexicaine de football de sanctions en raison du cri homophobe que l’on entend lors des dégagements du gardien ( « le puto » , l’équivalent du « oh-hisse enc*** » , NDLR). Nous approchons d’une Coupe du monde au Qatar, aussi. Une participation à une Coupe du monde, ce sont des enjeux économiques énormes…
Le Mexique est gangréné par la violence. On compte 100 assassinats par jour en moyenne, entre 35 et 40 000 par an. Tout cela est-il lié ?La société mexicaine n’est pas apaisée. Le foot est un miroir, les tribunes et le stade sont un thermomètre de ce qui se passe à l’extérieur. C’est documenté, il y a eu beaucoup d’actes de violence sur les terrains de matchs amateurs, des affrontements. Récemment, des personnes armées sont entrées sur un terrain amateur, il y a eu des fusillades. Et les civils, au milieu, pâtissent de tout cela. La quasi majorité des journalistes sportifs ne comprennent pas forcément cela. Peut-être parce que leur mission ne concerne que le sport, ils se pensent isolés de tout, ils vivent dans la bulle du stade. Mais non, le foot fait bien partie de la société.
Cette violence, c’est celle de la guerre des cartels ?Aujourd’hui, la plupart des barras sont infiltrées par des membres du crime organisé, comme à l’Atlas de Guadalajara, où le cartel Jalisco Nueva Generación est assez présent. L’État de Querétaro, lui, se trouve dans un couloir où l’on trouve le cartel de Santa Rosa de Lima et d’autres petits groupes ; eux pratiquent le huachicol, le vol de carburant, car c’est une région très pétrolifère. On estime que certains membres de la barra principale de cette équipe sont proches de ces cartels. Du coup, lors de Querétaro-Atlas, c’est devenu explosif. Et il y a d’autres exemples : à Monterrey, les supporters des Rayados ont inscrit des messages sur des draps pour menacer les joueurs et le coach après des mauvais résultats. Des messages sur des draps, les mêmes codes que les cartels. On l’a aussi constaté dans des clubs situés le long de la frontière nord, Tijuana et Ciudad Juárez. Presque toutes les barras sont concernées à plus ou moins grande échelle. Seulement, dans certaines tribunes, leurs membres sont plus discrets.
Le championnat a été suspendu, les supporters visiteurs ne pourront plus se déplacer et le stade de La Corregidora ne verra plus de matchs avant longtemps. Quelle est la solution pour en finir avec la violence dans les stades mexicains ?Il faut faire un diagnostic plus élaboré sur les barras. Jusqu’ici, la Fédération a ignoré les travaux académiques de chercheurs qui ont apporté des contributions importantes. Plusieurs fois, il a été question de les faire disparaître. Mais si cela doit arriver, il faudra le faire de façon pacifique et trouver des alternatives à ces groupes, au risque de tout envenimer. Le fait est que le football mexicain est une entreprise qui se vend bien aux États-Unis : avec l’ambiance, les barras font partie de cette stratégie marketing. En Amérique du Sud, elles garantissent aussi un certain succès. Les faire disparaître n’est pas la solution. Les barras sont indispensables afin de mieux vendre le championnat, je ne vois pas la Ligue ni la Fédération les supprimer. Ce serait comme se tirer une balle dans le pied.
Propos recueillis par Diego Calmard, à Mexico