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ASSE : Stéphane Ruffier, le Vert à moitié vide
Après quasiment une décennie de mariage, l'AS Saint-Étienne a officialisé le divorce avec Stéphane Ruffier, licencié pour faute grave au bout de dix mois de tensions entre les deux camps, dans un communiqué d'à peine cinq lignes. Mais il ne faut pas se tromper : les Verts devraient plutôt remercier le portier de 34 ans que de le laisser partir par la petite porte dans une triste indifférence.
Le temps des bonnes résolutions n’était même pas encore terminé que l’AS Saint-Étienne a pris la décision d’officialiser la fin d’une histoire d’amour qui aura duré près de dix ans. Il faut dire que le divorce avec Stéphane Ruffier est consommé depuis un moment. Dix mois quasiment. Il a finalement été prononcé dans un communiqué laconique, sobrement intitulé « Situation de Stéphane Ruffier » et publié ce lundi matin à 11h10 pétantes sur le site officiel de l’ASSE : « Après la procédure disciplinaire engagée à l’encontre du joueur, l’AS Saint-Étienne a décidé de rompre le contrat de Stéphane Ruffier, lequel se terminait le 30 juin 2021. Il se trouve donc libre de tout engagement. L’ASSE regrette d’en être arrivée à cette décision, rendue inéluctable par l’attitude du joueur qui portait atteinte à l’institution. » Cinq lignes d’indifférence, un simple tweet et des commentaires bloqués pour contenir l’incompréhension de certains supporters (bonjour l’effet Streisand) : drôle de manière de rendre hommage à un monument de l’histoire des Verts.
L’#ASSE a décidé de rompre le contrat de Stéphane Ruffier.L’#ASSE regrette d’en être arrivée à cette décision, rendue inéluctable par l’attitude du joueur qui portait atteinte à l’institution.? https://t.co/b2bxQo6p7G pic.twitter.com/QN1riV36gb
— AS Saint-Étienne (@ASSEofficiel) January 4, 2021
Il suffit pourtant de se pencher sur le bilan du bonhomme pour comprendre son importance dans le Forez durant la dernière décennie : 383 matchs joués, 141 clean sheets, une trentaine de rencontres européennes, un trophée attendu depuis plus de trente piges avec la Coupe de la Ligue et un statut de taulier au sein d’un club redevenu une valeur sûre dans l’élite. Ruffier, c’est un modèle de régularité, au point d’avoir longtemps été l’un des meilleurs gardiens de Ligue 1, voire le meilleur, n’en déplaise à cette mascarade des trophées UNFP qui ne l’ont jamais sacré. Mais la Ruff’ n’est pas comme les autres, il ne l’a jamais été. Derrière son air bourru se cache une personne souvent restée mystérieuse, discrète dans les médias et caricaturée à de nombreuses reprises par Julien Cazarre dans J+1, l’ancienne émission diffusée sur Canal+. Ruffier n’est pas un séducteur. Il ne joue pas au foot pour plaire, il ne donne pas un entretien pour se vendre et il n’hésite pas à refuser une place de numéro trois en équipe de France. Et alors ?
L’attitude déplorable de l’ASSE
Au moment de regarder derrière lui, Stéphane Ruffier essaiera peut-être de zapper sa dernière apparition sous le maillot stéphanois. C’était le 16 février dernier, deux jours après la Saint-Valentin, à Brest, où le capitaine vert avait flanché trois fois en première période devant Paul Lasne, Gaëtan Charbonnier et Irvin Cardona (pour une défaite 3-2). Le début de la fin pour le gardien, mis à l’écart par Claude Puel la semaine suivante. La suite, ce sont dix mois de tension lors desquels chaque camp aura fait des erreurs. La sortie de Patrick Glanz, l’agent de Ruffier, quelques jours après cette sanction sportive plutôt légitime, n’aura pas aidé son poulain.
Mais l’attitude de Saint-Étienne depuis ces premiers épisodes houleux est également déplorable, chaque geste du dernier rempart étant scruté : un retard à une séance d’entraînement, un refus de participer à une opposition à sept contre sept pendant l’été, un masque retiré avant de monter dans son véhicule, un départ prématuré de l’entraînement en novembre… Résultat, l’ASSE a profité de ces faits pour se débarrasser de son patron devenu boulet par un licenciement pour faute grave. Une décennie de fidélité et de succès balayée d’un revers de main par un club brandissant la sacro-sainte « institution » pour se donner le rôle du gentil dans cette histoire. À une époque où le football serait dirigé par la République des joueurs, cette histoire vient rappeler que les clubs ont encore un brin d’autorité, et la possibilité de mettre au placard un joueur dont ils ne veulent plus, même si celui-ci pèse plus de deux millions d’euros dans la masse salariale.
Des questions juridiques, de gros sous et d’ego qui ne sont rien à côté des souvenirs laissés sur le terrain. Ruffier a peut-être vécu l’un de ses derniers grands moments chez les Verts le 10 novembre 2019, lors d’une rencontre gagnée à la Beaujoire (2-3), où le portier avait brillé pour fêter son 304e match en Ligue 1 avec Saint-Étienne, égalant ainsi la légende Ivan Ćurković avant de le dépasser quinze jours plus tard. Un sacré symbole accompagné d’une pluie de compliments. À commencer par ceux de l’international yougoslave, quadruple champion de France et finaliste de la Coupe d’Europe des clubs champions en 1976 avec l’ASSE. « Stéphane, ce n’est pas un gardien qui fait le clown, moi j’apprécie cette attitude. Je suis très heureux pour lui, les records sont faits pour être battus, avait réagi Ćurković à l’époque sur France Bleu Loire. Je suis fier que ce soit un gars bien comme lui et un gardien très solide qui me dépasse. Une régularité comme la sienne est remarquable, il est jeune, j’espère qu’il va encore continuer. Il s’inscrit dans la continuité des grands gardiens du club comme Abbes ou Carnus. On se souviendra de Ruffier comme on se souvient de nous, les anciens gardiens du club. » Voilà un hommage, un vrai, à la hauteur du monument.
Par Clément Gavard