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Ashby-de-la-Zouch, le cottage des Françaises pendant l’Euro
Malgré son nom à consonance française, Ashby-de-la-Zouch est un village tout ce qu’il y a de plus anglais. C’est dans cette bourgade située au cœur d'un triangle Birmingham-Derby-Leicester que l’équipe de France a installé son camp de base le temps de l’Euro. Ou plutôt, dans ses faubourgs. Car en centre-ville, la présence des Bleues est inexistante. Pas grave, Ashby a plein d’autres choses à raconter.
Pour se rendre de leur camp de base situé dans l’élégant country-club de Champney Springs jusqu’au New-York Stadium de Rotherham, les Bleues en ont pour une grosse heure de bus. Pour le pékin de base qui voudrait leur rendre visite en faisant le chemin inverse, c’est une autre paire de manches. Surtout sans permis de conduire. Mais plutôt que de plonger dans le défaitisme, c’est le cœur joyeux que l’on se lance à l’assaut de ce petit village du Leicestershire situé à une centaine de bornes au sud de Sheffield. En transports en commun donc. Le périple commence peu avant 8 heures en sautant dans le train qui descend jusqu’à Plymouth et se poursuit 45 minutes plus tard en changeant à la gare de Burton upon Trent. Sur le parking de ce bâtiment sans âme, la demi-heure d’attente du bus 9 en direction de l’aéroport des East Midlands (voisin du célèbre circuit automobile de Donington) permet juste d’attraper un café et de faire les cent pas, le Pirelli Stadium de Burton Albion, pensionnaire de League One, étant trop éloigné pour lui payer une visite de courtoisie.
Qu’importe : le bus est pile à l’heure, les sièges sont confortables et le wifi en rade invite le voyageur d’un jour à rester le nez collé à la fenêtre pendant très exactement 56 arrêts, pendant lesquels on quitte progressivement un paysage post-industriel pour s’enfoncer dans le décor de carte postale d’une Angleterre fantasmée : rurale, verdoyante, faite de petites maisons proprettes et bien rangées, peuplée de vieilles personnes souriantes et qui parlent anglais avec l’accent des cassettes Apple Pie. Cette heure de repérage permettrait à n’importe qui d’un tant soit peu imaginatif de scénariser le prochain épisode de Miss Marple, lequel pourrait se dérouler à Newhall, Swadlincote, Midway, Woodville, Boundary ou… Ashby-de-la-Zouch. Terminus, tout l’monde descend !
Ivanhoé et Pithiviers
« C’est vrai que sans la voiture, ce n’est pas forcément évident de nous rendre visite », s’excuse presque le maire John Deakin dans son bureau. « La gare a fermé en 1964 et depuis, les rails ne sont utilisés que pour le fret. Mais actuellement, le gouvernement mène une étude de faisabilité pour la rouvrir au transport de passagers à l’avenir. Ce serait une très bonne nouvelle », sourit l’édile en rangeant soigneusement son grand-croix, « bien plus cérémonial » que les écharpes tricolores de ses homologues français qu’il connaît bien, sa commune étant jumelée avec celle de Pithiviers, dans le Loiret, depuis 1960. « En attendant, on a la chance d’être situés à proximité de l’autoroute M42, ce qui fait qu’Ashby reste très proche de grandes villes comme Birmingham, Derby, Leicester ou Nottingham. »
Voilà pour la leçon de géographie. Pour celle d’histoire, il faut se rendre au petit musée local, ouvert en 1982 et géré depuis par quelque 70 bénévoles. Parmi eux, Kenneth Hillier. « Des neuf fondateurs, je suis le dernier à être encore actif », plaisante le retraité qui passe encore une fois par semaine pour s’occuper des affaires courantes. Si le patronyme de Ken sonne français, c’est parce que ses ancêtres ont fui les persécutions dont ont été victimes les huguenots sous Louis XIV pour venir s’établir en Angleterre. La transition est toute trouvée pour parler du blase de sa ville. Ashby descendrait d’un nom danois – Aski – auquel on aurait accolé le suffixe by, qui désigne une location. Quant au fameux de-la-Zouch, « il date du XIIe siècle, l’époque où les Normands occupaient la région sous le règne du roi Henri III. C’était le nom du seigneur local, dont la famille venait de Bretagne, et il a été conservé depuis », récite l’ancien proviseur-adjoint de l’Ashby School. Mais à Ashby-de-la-Zouch, la vraie star, c’est Walter Scott. Ou plutôt, le personnage d’un de ses romans : Ivanhoé. C’est en effet dans le village que l’auteur situe l’action de son récit éponyme, paru en 1820, et c’est dans son château, aujourd’hui en ruines, que se déroule le fameux tournoi d’archers lors duquel Robin des Bois tire une flèche qui transperce la hampe de celle de son adversaire.
En parcourant les deux salles du petit cottage dans lequel est installé le musée, on apprend également que pendant la deuxième guerre franco-anglaise de 1803, Ashby a été choisie pour héberger environ 200 officiers prisonniers. Sur place, hormis un couvre-feu, leur vie n’était pas particulièrement rude. Certains ont joué dans des pièces de théâtre, d’autres ont fondé des loges maçonniques et deux d’entre eux se sont même affrontés en duel ! Et si, une fois la guerre terminée, quelques officiers ont choisi de s’établir à Ashby, cela n’a rien à voir avec le lien qui unit le village avec Pithiviers dont, et c’est probablement unique au monde, on retrouve une brochure de l’office du tourisme précieusement enfermé derrière une vitrine, accolée à un plat en faïence de Gien, offert par la municipalité loirétaine à ses amis du Leicestershire. « Je crois qu’à l’origine de ce jumelage, on retrouve un habitant d’Ashby qui était allé en vacances à Pithiviers, reprend Ken. Il est donc né d’une initiative personnelle, mais s’inscrivait bien dans cette volonté de consolider les relations entre la France et le Royaume-Uni qui avaient combattu côte-à-côte pendant la guerre. »
Un ours et de la tranquillité
Depuis, des délégations se rendent visite chaque année à tour de rôle pendant une semaine, partageant banquets, gâteaux et médailles commémoratives. Jack, le secrétaire de mairie, a participé à ces échanges et en garde un merveilleux souvenir. « En revanche, Pithiviers, je ne le savais pas en y allant, mais ça n’a rien à voir avec Ashby ! C’est beaucoup plus petit et rural que chez nous ! Mais c’est charmant quand même. C’est juste que ça fait vraiment… village si j’ose dire. » Un petit village alors, car Ashby-de-la-Zouch n’a rien d’une métropole. La glorieuse époque du XIXe siècle où elle était une célèbre ville de spas, jusqu’à ce que le développement du chemin de fer pousse la population à se rendre sur la côte pour prendre des bains, est révolue depuis longtemps. Aujourd’hui, pour se faire une idée, le cœur du bourg bat dans une seule rue : Market Street. C’est dans cette artère longue de seulement quelques hectomètres que l’on retrouve tous les commerces, dont évidemment de nombreux pubs. Chacun a sa propre histoire et la raconte fièrement à travers une plaque vissée sur son fronton. La meilleure est celle du White Hart, la plus ancienne free house de la ville. « La plus débauchée » également. Au XVIIIe siècle, la rumeur courait que le propriétaire cachait dans sa cave un ours qu’il sortait une fois par an pour corriger les fauteurs de troubles. Véridique ou pas, cette légende était, semble-t-il, efficace pour que les buveurs se tiennent à carreau.
En attendant, plus personne n’est là pour le confirmer. Ce lundi midi, le White Hart est vide, et seule une playlist tech-house vient briser le silence qui accompagne la descente de cette pinte tiède de Cheers Ma’am, une ale spécialement brassée pour le récent jubilé de platine de la reine Elisabeth. « Il ne faut pas se fier à la tranquillité dehors, se marre Jess en enchaînant les dégradés dans le petit salon de coiffure tenu par son père. D’ordinaire, c’est beaucoup plus animé. Mais dans le Leicestershire, l’école se termine deux semaines plus tôt que dans le reste du pays, donc tout le monde en profite pour partir en vacances, c’est moins cher », analyse-t-elle tout en admirant son bronzage qu’elle est allée travailler du côté de Paphos, sur la côte chypriote. Jess est d’ici, mais à la croire, son village connaît un boom de popularité depuis quelque temps. « On n’arrête pas de construire des maisons dans tous les sens. Pour une famille, Ashby c’est génial. » Effectivement, autour de Market Street, on trouve des écoles de tous niveaux, un centre culturel, un théâtre, une piscine (« La seule piscine découverte de tout le Leicestershire », vante d’ailleurs Jack de la mairie), sans oublier des clubs de foot. Cinq, très exactement.
Cup of community
Mais aucun d’entre eux n’accueille les Bleues, ces dernières ayant élu domicile à cinq miles de Market Street, dans le très sélect country-club de Champney Springs. C’est dans ce cadre bucolique et isolé que l’équipe de France gère son Euro dans le plus grand secret, aucun contact n’ayant été établi avec les équipes du coin, celles-ci n’ayant même pas été conviées à assister à un petit bout d’entraînement. Kenny Horn est membre de ce fameux Champney Springs, où il propose de se retrouver pour un café. Mais l’entrée est interdite aux journalistes avant l’entraînement prévu ce lundi après-midi. Flegmatique, Kenny ne se laisse pas démonter et, au volant de sa Porsche Caïman, prend la direction d’un nouveau pub où l’on sert une bière locale de renom qui s’affiche sur les maillots de l’équipe d’Angleterre de cricket. Cet entrepreneur aux faux airs de Gordon Ramsay est là parce qu’il siège au board de l’Ashby United Community FC. « Le « community » est très important, parce que cela signifie qu’il est possédé et financé par ses membres », insiste le quinqua qui revient de vacances lui aussi, sauf qu’ici, le bronzage a été travaillé aux Maldives. Son club est le dernier né de la galaxie du football local, « il y a deux ans, peu après le premier confinement. Il faut dire que pendant le Covid, on a eu beaucoup de temps pour réfléchir », glisse Kenny devant une pinte de limonade. Et notamment, de réfléchir au fait qu’avec le développement de la population (la commune compte aujourd’hui environ 18 000 âmes), il y avait de la place pour créer un nouveau club, « mais un club qui soit avant tout basé sur le plaisir de jouer au foot, pas le genre où tu vas pour devenir le nouveau Leo Messi. » Visiblement, le pari a bien fonctionné : aujourd’hui, Ashby United compte près de 300 joueurs répartis en dix-sept équipes allant des U7 aux seniors. « Le prochain objectif, c’est de faire sortir de terre un complexe multisport. Il y a une réelle demande parce qu’à l’heure actuelle, les clubs occupent des terrains municipaux, et la mairie aimerait les récupérer pour y développer d’autres activités de loisirs, genre des parcours de promenades pour chiens ou des aires de pique-nique. »
Selon Kenny, un tel projet conduirait les différents clubs à collaborer davantage ensemble et, pour reprendre une expression à la mode, à travailler en bonne intelligence. Car même à l’échelle d’un village comme Ashby-de-la-Zouch, des rivalités existent. En tout cas, entre clubs de foot. Le plus ancien, l’Ashby Ivanhoe (décidément !) Football Club, évolue à un niveau semi-professionnel, bien loin de l’échelon grassroot caractéristique d’Ashby United. « Sans aller jusqu’à parler de fusion, évidemment, Ivanhoe pourrait trouver un intérêt à profiter de la politique de préformation que nous avons mise en place. Ne serait-ce que parce que d’un point de vue commercial, cela pourrait intéresser leurs investisseurs, croit savoir Kenny, qui a été lui-même membre du club avant d’en claquer la porte avec quelques autres frondeurs. On a une expression au Royaume-Uni qui dit que tu peux savourer une relation sans pour autant tomber enceinte. Mais à l’heure actuelle, il existe encore une rivalité entre nous, et il faudrait y mettre fin, même si c’est difficile. » D’après l’entrepreneur, son bébé a de beaux jours devant lui, car depuis six mois, la FA chercherait justement à rééquilibrer les boards des clubs – amateurs comme professionnels – de tout le pays, en impliquant davantage les supporters dans leur fonctionnement. Comme une manière de mettre un frein au grand n’importe quoi financier dans lequel le football anglais a sombré depuis des années. Et avec son nouveau club autogéré, Ashby-de-la-Zouch pourrait bien prendre part à la révolution. Loin de Market Street, dans leur camp de base transformé en bunker, les Bleues pourront dire que, quelque part, elles y étaient. Et si d’aventure elles venaient à remporter l’Euro, elles pourront toujours revenir boire un coup au White Hart pour faire connaissance avec une population qui les a accueillies à bras ouverts… mais sans jamais les avoir vues !
Par Julien Duez, à Ashby-de-la-Zouch
Photos : JD