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Zurutuza : « Je n’avais pas envie de retourner dans le monde du football »
En dépit de ses passeports français et espagnol, David Zurutuza se revendique basque. Ses 303 matchs au milieu de terrain de la Real Sociedad n'y sont pas pour rien. Alors que le club de Saint-Sébastien retrouve la Ligue des champions cette saison, lui a pris il y a trois ans et en pleine pandémie le chemin de l'anonymat.
La Real Sociedad retrouve cette année le parfum de la Ligue des champions, dix ans après sa dernière participation durant laquelle vous étiez un élément important de l’équipe entraînée par Jagoba Arraste. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Un super souvenir. Le plus beau est sûrement le match à Lyon (en barrages, NDLR) que l’on va gagner 2-0 avec un retourné d’Antoine Griezmann. Il y avait une très grosse équipe de Lyon que l’on a battue deux fois. Après, physiquement, c’est un autre niveau… Ce sont les meilleurs d’Europe et on a eu des matchs extrêmement compliqués où j’ai énormément appris (la Real, dans un groupe avec Manchester United, le Bayer Leverkusen et le Shakhtar Donetsk, avait terminé à 0 point, NDLR).
Qu’avez-vous appris ?
Chaque pays a une culture totalement différente tant dans la vie que dans le football. Et en Ligue des champions, il faut comprendre toutes les manières de jouer afin d’essayer le plus possible de cerner l’adversaire.
Selon vous, les Txuri Urdin vont-ils aller loin dans la compétition ?
Difficile à dire ! Évidemment, j’aimerais qu’ils y arrivent… Ce groupe est particulier : il y a un favori, l’Inter, et ensuite les trois autres équipes (la Real donc, mais aussi Benfica et Salzbourg, NDLR) se valent en matière de niveau. Ce sont de très bonnes équipes, et la Real est capable d’aller chercher des victoires et la qualification.
On vous retrouve ici à Saint-Sébastien et âgé de 37 ans. À quoi ressemble votre vie aujourd’hui ?
Je suis actuellement en plein dans des études d’ingénieur. J’ai deux enfants, un garçon et une fille, alors le matin je fais mes études et l’après-midi, forcément, le temps est consacré aux enfants. Depuis la fin de ma carrière, j’ai laissé place nette à la turbulence médiatique. Je ne fais quasiment plus d’interviews. Je souhaite rester le plus possible en dehors des médias, hormis pour de grandes occasions.
Il y a un an, vous avez participé à un programme de la télévision basque dans lequel vous présentiez des sculptures issues de la tradition basque à des étudiants. D’où vous vient cette passion ?
La chaîne m’a proposé de faire quelque chose d’assez bizarre : parler d’artistes basques connus. J’avais une initiation avec ces artistes, et ils me racontaient ce que je devais dire, ensuite, à une classe d’élèves triés sur le volet. Le but n’était pas forcément d’enseigner à ces enfants, mais de permettre au téléspectateur d’en apprendre un peu plus sur sa culture. J’ai accepté tout simplement car je me sens d’ici. Quand je dis « être d’ici », cela signifie que je m’identifie à la culture basque, à la langue, aux traditions… Avec mes petits, je parle en basque, je fais mes études en basque. J’ai toujours dit à mes cousins français que je me sens basque comme eux se sentent français.
Le football n’est-il pas un des porte-voix de cette « particularité » du peuple basque ?
Plus que le football, c’est le sport qui est ici très important. La pratique sportive est énormément encouragée dans la société basque. Tout le monde est très investi, car elle permet une représentation importante. C’est pour cela que dans de nombreux sports, les Basques sont très performants. Je pense au cyclisme (Pello Bilbao a remporté une étape du Tour de France cet été, NDLR), au football bien sûr… Les gens aiment le sport, et cela fait pleinement partie de leur vie.
Vous avez participé à quelques matchs de la sélection basque de football, dont le statut est flou. Pensez-vous que la FIFA devrait encourager la formation de sélections nationales de peuples sans État, en leur accordant un statut similaire aux autres ?
En tant que peuple, on aimerait avoir une sélection de football reconnue, comme le font d’autres sports. Au surf, par exemple, il existe une fédération basque reconnue qui concourt, à l’international, avec les couleurs basques. Le problème, avec le football, c’est qu’il existe de nombreux intérêts différents qui rendent la chose compliquée. Nous, les joueurs, faisons des tentatives pour que la sélection basque soit reconnue. C’est un travail de longue haleine et c’est très important pour nous : quand tu possèdes une sélection reconnue, cela veut dire qu’on reconnaît, dans le fond, ton statut de peuple.
Suivez-vous toujours un peu le football depuis votre retraite ou l’avez-vous définitivement écarté de votre vie ?
Je suis, évidemment, tous mes amis, mes anciens partenaires qui jouent encore. Ce qui a changé, c’est la vision que je porte au football, qui est maintenant totalement extériorisée. Mon regard est beaucoup plus tranquille. Quand tu es dedans, tu le vois comme une part de ta vie.
Pourquoi avoir opté pour une reconversion dans l’ingénierie plutôt que dans le football après votre retraite ?
Le choix s’est porté en fonction du poids que prend ma vie professionnelle dans ma vie personnelle. Quand tu es dans le football, tu passes tes week-ends pour le football. L’exigence et la pression que l’on se met sont hyperélevées. C’est un prix que je ne voulais pas continuer à payer. Je préférais avoir une vie normale entre la famille, les études et les activités. Je ne sais pas si j’irai travailler ensuite, j’ai le temps pour voir venir. Les gens ne s’imaginent pas toute la charge qu’il y a derrière une vie dans le football. C’est énormément de travail, de personnel pour te suivre… Je n’avais pas envie de retourner dans ce monde-là.
Vous vous sentez mieux maintenant de ce fait ?
Oui, bien sûr ! L’exigence que je porte désormais pour être un bon élève, un bon père et un bon mari n’est pas du tout la même exigence que j’avais avant pour gagner, être meilleur à l’entraînement et toujours au top. Pour être au top, en plus, il faut bien dormir, bien manger. C’est quelque chose, et je me répète, que les gens ne voient pas et c’est extrêmement dur.
En octobre 2013, vous avez déclaré dans nos colonnes : « Si les Bleus manquent d’un milieu de terrain créatif, je suis candidat ! » Est-ce une déception de n’avoir jamais été appelé en bleu ?
Non, il n’y a pas de déception avec moi. En tant que joueur, on fait un travail où l’on met tout ce que l’on a dans notre chair. Si ensuite, tu es retenu, c’est un cadeau ! J’ai toujours mis tout ce que je pouvais sur le terrain et en dehors, et c’est au sélectionneur de faire son choix, qui est pleinement subjectif. Je suis tombé en plus sur une génération de très grands milieux qui méritaient leur place.
Propos recueillis par Emmanuel Hoarau, à Saint-Sébastien