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Zozulya, un Roman politique
Visé par les chants de supporters de son ancien club, le Rayo Vallecano, qui l'ont qualifié de « nazi » ce dimanche lors d'une rencontre de D2 espagnole, l'international ukrainien Roman Zozulya, qui soutient les milices paramilitaires qui combattent l’annexion russe dans le Donbass, doit composer avec une polémique politico-sportive complexe. Un contexte délicat, pimenté ce lundi par Kiev et le chef d'État Volodymyr Zelensky, qui a profité de l'affaire pour soutenir son concitoyen.
Les années passent, mais Vallecas, le quartier de Madrid où évolue le Rayo Vallecano, n’oublie pas Roman Zozulya. Fin janvier 2017, l’international ukrainien (33 sélections), propriété du Bétis, rejoignait le Rayo en prêt. Sauf que rien ne se passait comme prévu. Dès février, Zozulya devait prendre ses cliques et ses claques pour retourner à Séville, avant de signer avec Albacete en septembre de la même année. Le problème ? Le joueur soutient ouvertement les milices qui combattent les séparatistes pro-russes dans l’est de l’Ukraine, dont certaines seraient proches d’une ultra droite identitaire et nationaliste. Rien de bien compatible avec de nombreux fans du Rayo, dont la politisation penche notoirement à gauche du spectre politique.
Alors forcément, quand, deux ans plus tard, Zozulya, qui a depuis signé à Albacete, affronte ce dimanche le Rayo Vallecano dans la banlieue de Madrid, les retrouvailles sont explosives : qualifié de nazi par de nombreux fans, conspué en tribunes, l’attaquant fait l’objet d’attaques qui conduisent les joueurs d’Albacete à refuser de continuer la rencontre et l’arbitre à suspendre le match. Fin de l’histoire ? Non. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, élu en avril dernier, ne s’est pas privé d’ajouter son grain de sel à ce décor : « Roman Zozulya, ce n’est pas seulement ton équipe qui te soutient, toute l’Ukraine te soutient, nous sommes avec toi » , écrivait ce dernier sur Facebook en ajoutant que Zozulya était « non seulement un joueur cool, mais un vrai patriote » .
Tambouille politique
Le chef d’État ukrainien n’était pas le seul à soutenir publiquement Zozulya. La porte-parole de la diplomatie ukrainienne, Kateryna Zelenko, a appelé dans un communiqué les autorités espagnoles à « réagir » à ces « insultes honteuses » et « infondées » , quand l’ambassade ukrainienne en Espagne a dénoncé sur Facebook une « provocation » . Des déclarations qu’il faut remettre dans le contexte politique du moment. Volodymyr Zelensky a en effet rencontré Vladimir Poutine le 9 décembre pour tenter de faire bouger les lignes du conflit qui sévit depuis cinq ans dans l’est ukrainien, où les séparatistes soutenus par la Russie s’opposent aux militaires et milices de Kiev. Un sommet qui n’a pas donné grand-chose, alors que Zelensky a lui-même admis que la situation ukrainienne restait enlisée : « Honnêtement, le résultat de cette rencontre, c’est très peu. Je voudrais résoudre un plus grand nombre de problèmes. »
À défaut de trouver un accord avec la Russie, Zelensky a donc au moins pu appuyer Roman Zozulya, qui n’a jamais caché avoir fait des dons à l’armée ukrainienne qui combattent les rebelles pro russes. Il avait également publié sur Twitter en 2015 une photo avec une écharpe à l’effigie de Stepan Bandera. Ce leader nationaliste ukrainien des années 1930 et 1940 est une figure controversée, puisqu’il avait notoirement collaboré avec l’Allemagne nazie. Certaines milices para-militaires combattant l’annexion russe dans le Donbass sont de fait ouvertement ultra nationalistes, et certains de leurs combattants sont soupçonnés d’avoir des liens avec la mouvance néo nazie. Le symbole du Régiment Azov, le plus célèbre des groupes armés combattant les rebelles pro-Moscou, rappelle d’ailleurs la Wolfsangel, un symbole utilisé par certaines divisions SS. Inquiétant, mais encore un peu léger, cependant, pour cataloguer Zozulya comme « nazi » aux yeux de certains, quand d’autres, comme les fans du Rayo qui ont conspué le joueur dimanche dernier, le considèrent comme infréquentable.
L’ombre de Kolomoïsky
La récupération du cas de Zozulya par la classe politique permet cependant à l’appareil d’État ukrainien de réaffirmer de manière détournée sa volonté de tenir tête à Moscou. Si Zelensky n’a manifestement pas plié le genou face à Vladimir Poutine le 9 décembre dernier, il n’en reste pas moins confronté à un casse-tête diplomatique insoluble. Alors que le président ukrainien doit préserver l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, il doit aussi jongler avec le jeu politique de son bienfaiteur et soutien principal, l’oligarque Ihor Kolomoïsky. Ce dernier avait notamment diffusé sur sa chaîne de télévision 1+1 Le Serviteur du peuple, la série qui a fait de Zelensky une figure iconique en Ukraine, Zelensky étant lui-même parfois qualifié officieusement de « pantin de Kolomoïsky » . Kolomoïsky a aussi dépensé des millions de dollars pour envoyer et équiper des combattants pour aider à stopper l’avancée russe sur le territoire ukrainien, depuis 2014.
Il affiche néanmoins depuis quelque temps des positions beaucoup plus modérées à l’encontre de Moscou, avec qui il semble désormais prôner la réconciliation : « Nous devons améliorer nos relations avec la Russie. Les gens veulent la paix, une bonne vie, ils ne veulent pas être en guerre… Vous tous, à l’OTAN, vous ne nous intégrerez pas… Alors que la Russie aimerait nous faire entrer dans un nouveau pacte de Varsovie…. Donnez-nous cinq, dix ans, et le sang sera oublié (avec la Russie). J’ai montré en 2014 que je ne voulais pas être avec la Russie, mais je décris objectivement ce que je vois et vers où les choses se dirigent. » Un revirement que certains interprètent comme un geste de défiance envers Zelensky. Kolomoïsky, soupçonné d’avoir détourné 5,5 milliards de dollars de sa banque privée, Privatbank, nationalisée en 2016, tente depuis de récupérer la firme des mains de l’état, un processus où il attendrait plus de conciliation de la part du pouvoir en place et donc, de Zelensky. Voilà qui constitue la dernière pièce d’un puzzle géopolitique alambiqué, où la mésaventure de Zozulya, bien que loin, très loin de la Russie, ne pouvait évidemment pas être ignorée par Kiev. En attendant, le joueur, lui, a reçu le soutien de l’association des footballeurs espagnols et pourrait, qui sait, débuter lors du match qui opposera Albacete à Elche, le 21 décembre prochain.
Par Adrien Candau