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Zouma, le grand bleu

Par Maxime Brigand
5 minutes
Zouma, le grand bleu

Trop costaud, trop lent, jugé terminé par certains lors de son apprentissage, Kurt Zouma aurait pû ne jamais grandir avec un habit de footballeur sur les épaules. Puis un jour, un formateur, un entraîneur, un club ont su lui faire confiance, faire du gosse un apprenti. Un roc devenu homme sous la coupe de Mourinho et qui est en passe de réussir l'impensable : détrôner la légende crêtée John Terry.

Il semblait éternel. Rien, jamais, ne semblait pouvoir le faire sortir de scène. Sa crête faisait partie du décor, sa colère du folkore, ses déroutes d’un pan de l’histoire. À Chelsea, John Terry était un monument. Un homme dont on ne se passait pas pour monter au front, affronter la difficulté, faire tomber l’adversaire. Reste une bataille que l’on ne maîtrise pas. Une guerre mentale, psychologique, qui n’a de variable que le temps qui passe. À 34 ans, le fidèle soldat semble usé, dépassé. La prise de conscience a été sévère, indigne selon certains, lorsque le 16 août dernier, Terry fut remplacé, à l’ombre d’un vestiaire de Manchester. Plus qu’un symbole, ce moment marquera davantage le point de départ d’une révélation : John Terry n’est plus indispensable.

Il ne l’est plus, car usé par un physique capricieux. Il ne l’est plus, car moins performant. Il ne l’est plus, car on a trouvé meilleur que lui au moment où lui semble se ranger avec sagesse. Sa succession a même un nom et un sourire : Kurt Zouma. Qui aurait parié qu’un gamin de vingt ans, après seulement un an sous le maillot des Blues, déplacerait un jour la montagne Terry ? Sérieusement, personne. Reste qu’aujourd’hui, la donne est claire. Depuis le 23 août et un déplacement à West Bromwich, le gosse est titulaire et porte ses 85 kilos en chef adjoint défensif du champion en titre, aux côtés de Gary Cahill. « Ce qui est surprenant, c’est que partout où il passe, Kurt arrive à se faire adopter par ses entraîneurs. On savait qu’il allait exploser, on ne savait juste pas quand » , explique son ancien entraîneur à Saint-Étienne, Abdel Bouhazama, avec qui il disputa une finale de coupe Gambardella un soir de mai 2011 face à l’AS Monaco de Kurzawa et Carrasco.

Trop fort, trop tôt

Saint-Étienne, les Verts. Le symbole d’une ville, la haine d’une autre. Kurt Zouma est né à Lyon en octobre 1994. C’était il y a bientôt vingt et un ans. Très vite, dans une famille qui vit pour le ballon, aux côtés de ses frères, Lionel et Woody, le gamin débute le football. Pour lui, ce sera à huit ans, sur les pelouses de Vaulx-en-Velin. « Vous savez, on n’a pas de boule de cristal, la chance est donnée à chaque bon footballeur de la région. Kurt n’avait pas été retenu à l’Olympique lyonnais, on a donc récupéré un joueur revanchard » , reprend Abdel Bouhazama. Zouma a alors quatorze ans et impressionne déjà par un physique en avance. Bouhazama se souvient d’un « jeune en avance en matière de maturité. Il était toujours interrogateur sur les exercices, comprenait les problématiques d’entraînement avant les autres, avait soif d’apprendre, de grandir. Déjà très jeune, c’était un monstre de travail. »

Chez les Verts, Zouma cartonne sans se faire une place en sélection régionale. Le cas interroge, et ce, même si son potentiel est déjà reconnu. « On m’avait dit à plusieurs reprises qu’il y avait un bon défenseur central à Saint-Étienne mais on me disait qu’il était déjà fini, qu’il ne pourrait plus progresser. Un jour, je me suis dit qu’il fallait que je le vois et je l’ai convoqué pour un tournoi en Turquie » , se rappelle Patrick Gonfalone, alors entraîneur de l’équipe de France des moins de 16 ans à l’époque. On est alors en janvier 2010, Kurt Zouma a tout juste quinze ans. Il remporte alors son premier trophée avec les Bleus, l’Aegean Cup. « On a vite découvert un défenseur comme on les aime. Un véritable athlète, qui gagnait tous ses duels, intelligent et qui savait prendre une dimension de cadre dans un groupe. Je ne suis pas surpris par son niveau actuel. Ma seule surprise vient de cette courbe de progression » , poursuit l’actuel sélectionneur des moins de 19 ans tricolores.

The Happy One

Car très vite, Christophe Galtier, l’entraîneur des Verts, va en faire un titulaire en puissance, s’attachant à protéger son génie. Il le sait, il tient là un joueur unique, un diamant à polir. Le coach stéphanois gère rapidement Zouma, le fait jouer par bribes. Il le contrôle, enseigne le placement à un défenseur qui a parfois tendance à se disperser. Kurt est un chien fou, un aboyeur à museler. Galtier le fera venir dans un premier temps chez les pros, dès l’âge de 16 ans, et patientera avant de le lâcher en Ligue 1. Interrogé sur le sujet par 20 minutes, Galtier racontera alors une scène incroyable : « Quand je l’ai fait monter dans le groupe pro à 16 ans, ma paire de centraux titulaire est venue me voir au bout de 15 jours pour me dire : « Si vous le mettez sur le terrain, nous, on a du souci à se faire. » » Durant de longues années, la paire Romeyer-Galtier va alors repousser les approches des cadors européens avec l’aide de l’agent du joueur, David Venditelli : Leverkusen, City, United, la Juve ou encore l’Atlético. « Pour Kurt, l’Angleterre, c’était à la Playstation. Et un jour, Mourinho a décroché son téléphone en personne pour lui parler. Il était comme un fou. Il l’a rencontré une fois à Londres et une fois à Paris. Tout a décollé » , conte Abdel Bouhazama.

Zouma signe à Chelsea le 31 janvier 2014 et retourne à Sainté six mois pour finir son apprentissage. L’Angleterre va alors devenir un révélateur dans le sillage d’une paternité précoce. Le gamin grandit vite, est comparé d’entrée à Marcel Desailly par son entraîneur et décroche progressivement l’étiquette d’indéboulonnable du maillot de la légende Terry. Par des apparitions convaincantes d’abord, des rotations ensuite et une prise de pouvoir depuis la sortie historique de JT face à City. De cette ascension reste un sourire. Celui d’un gosse père deux fois à vingt ans à peine, ambianceur de vestiaire et buteur la semaine dernière face à Arsenal (2-0). Un coup de tête sur un coup franc de Cesc Fàbregas, une main sur le cœur, et un torse bombé face à ses supporters. Ce jour-là, Kurt Happy Zouma est devenu un homme.

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