Tu participes à un meeting Adidas avec plein d’autres sportifs, quelle importance ont eue les autres sports que le foot dans ta carrière ?
C’est très étrange parce que je me suis longtemps dit que je n’aurais jamais pu faire un sport individuel. Dans ma famille, on est très judo, mon frère est ceinture noire et champion de France, j’étais moi-même plutôt pas mal (ceinture bleue, ndlr), j’ai toujours adoré le tennis, Roland-Garros, tout ça, mais je me suis toujours dit que je n’aurais jamais pu faire un sport individuel. La solitude du sportif me faisait peur. Quand tu gagnes, ça va, mais quand tu perds, tu perds seul. Et puis, quand tu as perdu seul, tu repars seul, tu voyages seul. J’ai toujours admiré les gars qui supportaient ça. Tu prépares un truc toute la saison, et à la fin, tu perds au premier tour et t’es tout seul… ça ne doit pas être évident ! Et puis aujourd’hui, me voilà entraîneur. Et entraîneur, bah t’es tout seul. J’ai été joueur, donc je n’ai jamais ignoré la difficulté d’être entraîneur. D’ailleurs, j’ai toujours été indulgent avec mes entraîneurs. Même quand je voyais que le message n’était pas clair, ce n’était pas bien grave, je savais ce que j’avais à faire sur le terrain. Et je savais aussi combien c’était difficile d’être coach. Mais voilà : j’avais envie de ça, j’avais envie de transmettre.
Quel genre de coach es-tu ?
Je suis moi. Je ne suis pas quelqu’un qui parle beaucoup, et je ne vais pas me mettre à parler beaucoup parce que je suis devenu entraîneur. J’entends dire : « il faut être sévère » , « il faut être sans pitié » , « il faut être ceci, il faut être cela » . Moi, je crois qu’il ne faut pas chercher à être quelqu’un qu’on n’est pas. Si je fais du « sans pitié » , ce n’est pas moi. C’est la pire des choses à faire. Donc je fais du « moi » : j’essaie d’être convaincu et convaincant. Voilà, c’est ça mon nouveau défi : faire passer mes consignes de la manière la plus claire possible, et avec ma personnalité, qui est plutôt celle de quelqu’un de réservé. Et j’apprends ça. Je sais que c’est dans ce domaine, de la communication des idées, qu’il faut que je progresse, que je travaille, mais c’est pour ça que j’ai voulu faire coach. Pour me mettre en danger, pour avancer dans ma vie. Parce qu’on va le dire clairement : je n’ai pas besoin de gagner de l’argent aujourd’hui. Je pourrais très bien rester chez moi, je n’ai pas besoin d’être entraîneur pour manger. Mais j’ai envie de me remettre en question, et grandir. J’ai des enfants, j’ai des messages à faire passer.
Je suis plus sévère avec Enzo qu’avec les autres. C’est injuste, mais c’est comme ça
Justement, tu as des enfants… Luca a gagné le championnat d’Europe des U17 et tu entraînes Enzo… Comment tu as vécu le succès récent de Luca ?
Son petit succès.
Oui, enfin bon, il est champion d’Europe, à son âge, c’était difficile de faire mieux !
Oui, c’est quand même un petit succès. Je ne le minore pas, il est champion d’Europe des U17, c’est déjà mieux que moi ! De toute façon, je lui avais dit : « Si tu n’es pas champion d’Europe, tu ne rentres pas à la maison » (rires).
Luca qui fait une Panenka en demi-finale de l’Euro aux tirs au but, ça t’a surpris ?
Sincèrement, on n’en avait pas parlé. Je n’étais même pas devant la télé, j’étais dans un avion, je suivais la séance des tirs au but sur mon téléphone. J’allais décoller. Ce qui m’a surpris, c’est qu’il tire dans la première série. En général, le gardien tire dans la deuxième série. Là, je vois, n°4, Luca Zidane, je me suis dit : « Mais qu’est-ce qu’il fout ? » Et il rate. Là, je me dis : « Putain… » J’étais avec mon téléphone, dans un avion, tu vois un peu le truc ? (il mime l’envie de fracasser son téléphone). Et en plus, la série est folle. S’il n’arrête pas celui d’après, c’est fichu. Donc là, bon, un peu de sensations quoi, si tu vois ce que je veux dire. Et quand je vois qu’il arrête le cinquième tir des Belges, là, j’étais soulagé. Le con…
Vous en avez parlé après ?
Quand j’ai atterri, il m’a appelé oui, et il m’a expliqué qu’il avait fait une Panenka. Je ne sais pas ce qui lui est passé par la tête. Certainement qu’il a pensé à ce que j’avais fait en finale de la Coupe du monde 2006. J’imagine que pour lui, il y avait un truc. Mais je lui ai dit : « T’avais intérêt d’arrêter les penalties parce que si tu rates ta Panenka et que tu n’arrêtes pas les penalties, écoute-moi mon pote, comme les médias sont en train de t’encenser, ils t’auraient massacré de la même façon, j’espère que tu en es conscient. » Bon, et en même temps, c’est bien : grosse personnalité. Très très grosse personnalité. 17 ans, peur de rien… c’est pas Papa, hein. Dans le sens où je faisais pas trop le malin, moi, à 17 ans. Après, la vie fait que… Et puis on prend confiance sur le terrain… Mais à 17 ans… Lui, il est libéré, quoi. Il se pose pas la question, il est dans l’insouciance, il y va. Moi, je prends, hein. Pas de problème.
Et en coach aussi ?
Ah ah ah, non, mais là, ç’aurait été différent ! Je te le dis, très différent !! (rires).
Je n’ai pas besoin de gagner de l’argent aujourd’hui, je pourrais très bien rester chez moi, je n’ai pas besoin d’être entraîneur pour manger
Parce que tu entraînes Enzo… Si Enzo avait fait ça ?
En même temps, je te dis que si j’avais été entraîneur, ç’aurait été différent, mais en vrai, le joueur prend sa responsabilité. Quand je l’ai faite en finale de la Coupe du monde, tu te dis : « C’est un fou… » Mais je ne suis pas si fou que ça. J’aurais été fou de tirer comme je tirais d’habitude avec Buffon en face, là, oui, j’aurais été fou. Mais pour moi, avec la Panenka, je ne prenais pas de risques. Bon, j’ai failli la rater, mais bon, ça, c’est une autre histoire. L’arbitre de touche a été bien, ça va, mais il aurait pu ne pas valider le but, ça passe quand même pas de très peu derrière la ligne.
Et avec Enzo, tu es comment du coup ?
Plus sévère qu’avec les autres. C’est injuste, mais c’est comme ça, je n’arrive pas à m’en empêcher. Je lui ai dit. Je sais qu’il sait. On en parle. Ça ne peut que lui servir, en tout cas, c’est ce que je me dis. Mais j’ai été dur, parce que cette année, je ne l’ai pas trop fait jouer. Il aurait pu plus jouer, mais je ne l’ai pas fait jouer…
C’était pour le protéger ?
Non. Il sait que les médias l’attendent, il sait tout ça, je n’ai pas besoin de le protéger, on en a parlé de ça aussi… Il sait où il est. Mes fils sont conscients de ce qui les attend.