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Zidane, militant sans le vouloir

Par Alexandre Doskov
6 minutes
Zidane, militant sans le vouloir

Zidane a fini par devenir une figure politique. D'abord incarnation du slogan « black-blanc-beur » en 1998, puis caïd qui ne sait pas se contrôler en 2006. Autant de costumes que Zidane n'avait pas demandés, dont il a même tenté de se défaire, mais que lui ont toujours cousus des hommes politiques tentant de récupérer l'icône Zidane.

Près d’un million et demi de personnes sont là, les Champs-Élysées n’avaient plus connu une telle liesse depuis la Libération. Les photos du général de Gaulle descendant la plus belle avenue du monde le 26 août 1944 entouré des chars de la 2e division blindée du général Leclerc, de membres du Conseil national de la résistance, et des autres grandes figures de la victoire, sont en noir et blanc. Mais celles du visage de Zinédine Zidane projeté lourdement sur l’Arc de triomphe ce 12 juillet 1998 sont elles bien en couleurs. Le monument de Napoléon Bonaparte, l’avenue qui a symbolisé la victoire du général, et le chef-d’œuvre de Zizou. Trois figures dominantes de l’histoire récente de France réunies en un endroit, à un moment où toute la nation semble ne faire qu’une. « Tous derrière le même drapeau » , affirment les présentateurs de JT. Zidane affiché sur un monument de 50 mètres de haut, avec des messages du type « Merci Zizou » qui défilent sur l’attique, la partie supérieure de l’Arc. Un comble pour un homme aussi discret que le numéro 10 des Bleus. Zidane n’a pas remporté la finale de la Coupe du monde à lui tout seul, et il a encore moins demandé un tel tapage autour de sa personne, mais peu importe. On ne demande pas toujours leur avis aux figures de proue. En un clin d’œil, le Français d’origine algérienne est devenu l’incarnation rêvée du slogan « black-blanc-beur » , martelé au moment de la victoire de 98. Un symbole de la réussite fantasmée de notre modèle d’intégration vite récupéré par les politiques, avant que ces derniers n’en fassent une caricature de faux calme/vrai méchant racailleux après le coup de tête de 2006.

La star de la garden party

Il faut dire que le triomphe du 12 juillet tombe à pic pour les chantres du black-blanc-beur. La gauche plurielle est arrivée au pouvoir un peu plus d’un an plus tôt, suite à la dissolution ratée d’avril 1997. Et dans le sillage de Lionel Jospin qui s’installe à Matignon, ce sont plusieurs personnalités ayant milité avec les mouvements de gauche anti-racistes des années 80 et biberonnés à « Touche pas à mon pote » qui envahissent les ministères. Forcément, une équipe de France championne du monde composée de Français de métropole, d’Antillais, de Maghrébins, d’un Kanak, ou encore d’Africains sub-sahariens, c’est une aubaine. Zidane en devient malgré lui le porte-drapeau, lui qui a embrassé goulûment son maillot Bleu après avoir marqué son deuxième but de la finale. Après Kopa le Polonais, après Platini l’Italien, voilà donc Zidane l’Algérien, symbole d’une équipe de France métissée et invincible grâce à sa diversité, comme devrait l’être notre société. « Il est devenu l’idole et le porte-parole des jeunes maghrébins. Sa carrière est derrière lui, mais il a encore un rôle social et culturel à jouer » , jugeait Lizarazu en 2007. La classe politique toute entière s’en félicitera, à l’image du président Chirac qui remercie lors de la garden party de l’Élysée le 14 juillet 1998, en présence des héros du moment, « une équipe à la fois tricolore et multicolore, qui donne une image de la France dans ce qu’elle a d’humaniste et de fort » . Une garden party au cours de laquelle seront scandés des « Zidane président ! » , et que les hommes politiques, habituels attractions de la journée, passeront à enquiller les petits fours dans leur coin, tout le monde n’ayant d’yeux que pour les footballeurs. Dans cette euphorie, seul Jean-Marie Le Pen marque le coup à sa manière, en congratulant « le principal artisan du succès final, Zinédine Zidane, enfant de l’Algérie française » .

Une prise de position pour la présidentielle de 2002

Le chef du Front national avait balancé ses premières analyses footballistiques dès le 13 juillet, en meeting sous le soleil de Marseille, devant un public très client : « C’est la victoire de l’équipe de France, mais je la revendique aussi comme la victoire du Front national, qui en avait dessiné le cadre. L’affrontement médiatisé des équipes de football a un certain parfum d’affrontement national. Et qui pourrait plus que nous s’en féliciter ? La Coupe du monde est un détail de l’histoire de la guerre que se mènent les peuples sur les terrains de sport. » Très loin de l’union nationale prônée par les partis de gouvernement. Baladé au milieu de ces grands discours sans qu’on lui demande son avis, Zidane ne s’est pourtant jamais exprimé sur le sujet. Contrairement à Thuram Luther King, Zizou n’a jamais utilisé sa notoriété à des fins politiques, et il faut attendre une interview à L’Équipe en 2011 pour l’entendre revenir sur l’emballement post-98. Et Zizou s’y montrait peu sensible aux slogans de l’époque : « Ce black-blanc-beur est une invention médiatique, après coup. Nous, on se voyait comme un groupe de copains, et justement notre force, c’était ce mélange : black, blanc ou beur, ce n’était pas un sujet pour nous. On était les meilleurs à chaque poste, point. » Pourtant, au moment de la présidentielle de 2002, Zidane assurait sur France Info être attaché « plus que jamais » à ces valeurs, en ajoutant : « On ne peut pas être content de ce qui se passe. Ne pas voter, c’est grave, quand on voit qu’il y a 30% d’abstention et qu’à l’arrivée, cela fait un tête-à-tête Chirac-l’autre. Il faut penser aux conséquences que cela peut avoir en votant pour un parti qui ne correspond pas du tout aux valeurs de la France. » L’une des seules fois où on l’entendra parler de politique.

Consolé dans les bras de Chirac

Des paroles convenues, tant Zidane évite toujours d’apporter de l’eau au moulin de ceux qui veulent le récupérer politiquement. La Marseillaise sifflée et l’envahissement de terrain lors du France-Algérie en 2001 ? Aucun commentaire. Même avant le match, il avertissait en conférence de presse : « On est là pour parler du match, pas de mon pays. C’est personnel, et je ne veux pas en parler publiquement. Sinon on ne parle pas. » Zidane sort de sa réserve au printemps 2011, mais plus pour défendre son pote Laurent Blanc pris dans la tourmente de l’affaire des quotas que pour donner son avis sur le fond de l’affaire, ce que ne ce sont pas privés de faire certains de 98. L’Équipe lui demande si Blanc doit partir : « Bien sûr que non. Je pense q’il a commencé à faire un super boulot. Il faut laisser les choses à leur place, ce serait fou qu’il parte à cause de cela. Il doit continuer. » L’image fédératrice de Zidane avait de toute manière pris un coup avec le coup de boule de 2006, un geste « stigmatisé comme l’acte gratuit d’un voyou des quartiers, un an après l’embrasement des banlieues » , selon Paul Dietschy, chercheur au Centre d’histoire de Sciences-Po qui a publié sur le sujet. Mais Zidane est rapidement pardonné par un homme, Jacques Chirac en personne, qui le rejoint dans le vestiaire français immédiatement après la finale de 2006. Les témoins affirment que les deux hommes se sont isolés pour discuter seuls, sans que personne ne sache ce qu’ils se sont dit. Mais quelques jours plus tard, le président recevait les Bleus à l’Élysée et déclarait « Cher Zinédine Zidane, ce que je veux vous dire au moment le plus intense, le plus dur de votre carrière, c’est l’admiration et l’affection de la nation tout entière, son respect aussi. Vous êtes un virtuose, un génie du football. Vous êtes aussi un homme de cœur, d’engagement, de conviction. Et c’est pour ça que la France vous admire et vous aime. » La fameuse grâce présidentielle.

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Zidane, l'homme-sandwich
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