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Zidane-Mbappé, les voix royales
Le hasard a voulu que Kylian Mbappé et Zinédine Zidane accordent chacun une interview cette semaine, l'un à BFM TV face caméra, l'autre à L'Équipe pour ses 50 balais. Et s'il y a bien un aspect de leur métier sur lequel les deux superstars sont en désaccord, c'est leur rôle à jouer en tant que bête médiatique, en dehors de la sphère footballistique. Le premier se targue d'user de sa notoriété pour tenter de faire bouger les lignes, le second cultive la discrétion, et avoue bien se garder de l'ouvrir en public dès lors que le ballon rond ne constitue plus le vif du sujet. Deux écoles, qui présentent chacune leurs vertus, mais témoignent aussi d'une évolution des mentalités.
Contrairement à une récente rumeur, Kylian Mbappé et Zinédine Zidane ne seront certainement pas réunis à l’entraînement dans un futur proche. Du moins pas au Paris Saint-Germain. Comme si l’heure de voir le premier sous la houlette du second n’était pas encore venue. Même si chacun sait qu’un jour ou l’autre, les deux décrocheurs des deux étoiles qu’arbore la tunique au coq se trouveront. Pour le moment, en avant-goût de l’été, c’est le chassé-croisé qui est de mise entre les deux hommes, jusque dans les médias. Le premier à dégainer fut le double Z, pressé à sec pour L’Équipe à l’occasion de son cinquantième anniversaire ce jeudi, suivi le lendemain par le Bondynois, qui a répondu aux questions de BFM TV sur sa fondation IBKM (Inspired by Kylian Mbappé). Ressortent de ces deux entretiens quelques inévitables poncifs, deux âmes d’entrepreneur, mais surtout deux visions radicalement opposées de leur job, une fois loin de la pelouse. Exprimées si clairement qu’on croirait presque qu’elles se répondent, bien que les deux intéressés précisent qu’ils ne jettent absolument pas la pierre à ceux qui ne verraient pas les choses du même œil.
Différencier l’homme de l’artiste ?
Interrogé sur la ténacité de l’amour que lui portent les Français malgré son exil en Espagne, Zinédine Zidane répond donc : « Je n’aime pas me mettre en avant. Il y a des gens qui aiment s’exposer, parler, donner leur avis. Ce n’est pas une critique, mais ce n’est pas moi. » Avant d’en remettre une couche, une question plus tard : « Si je dois prendre la parole sur un sujet important, croyez-moi, je n’ai pas de problème. Mais pourquoi, sous prétexte que j’ai réussi dans mon domaine, on voudrait que je prenne la parole sur tout ? Parce que je suis connu ?[…]Même si socialement, financièrement, j’ai évolué, je devrais donner mon avis sur tout ? Non, non, non. » Suffisant pour mettre en relief la position de Kylian Mbappé, tout aussi affirmée. « Je n’ai pas envie de me contenter de jouer au football et de rentrer chez moi », lâchait ainsi le Parisien au micro. « Je suis un peu la voix des gens qu’on n’entend pas » , lâchait-il encore.
La divergence est limpide. Elle en effraie certains, comme Éric Carrière, qui n’avait d’ailleurs pas caché son « dépit » au moment de quitter son poste de consultant chez Canal+, en pointant au passage les comportements individualistes en vogue dans le football moderne, notamment ceux de… Kylian Mbappé. L’ancien Nantais verrait, dans l’envie dévorante de ce dernier de peser hors de son champ de compétences, un cruel manque d’humilité. Rien de bien choquant là-dedans. Il est cependant possible d’identifier dans cette inquiétude une brisure générationnelle, accentuée par les caractères bien particuliers des deux stars.
Quelle différence entre l’interview de Zidane dans @lequipe et celle-ci. Deux visions : une que je préfère de loin. L’autre est inquiétante. https://t.co/gUGzDuIVwM
— Éric Carrière (@carriere_eric) June 24, 2022
Joue-la comme LeBron
Le culte de la discrétion et de la simplicité, entrepris tout au long de sa carrière et assumé par le prince Yazid, brosse en effet le portrait d’un homme conscient de sa réputation, mais qui éviterait de se servir de celle-ci pour clamer haut et fort ses convictions. Mais est-il pour autant impossible de saluer l’humilité et la clairvoyance de l’ancien Madrilène, et en même temps d’apprécier de voir un joueur de l’envergure de Mbappé prendre position sur certains sujets de société ? À 23 ans, l’étoile parisienne s’est déjà faite l’avocat de plusieurs causes contemporaines, des violences policières au mouvement Black Lives Matter, et l’affaire des droits à l’image en sélection le concernant témoigne de sa débordante volonté de soigner sa notoriété. Et pour comprendre l’homme, regardons ses modèles : LeBron James, Mohamed Ali, bref, des monstres sacrés à la voix portant bien au-delà des cordes de leur ring, ou des lignes de leur parquet.
Le jeune Kylian, éperdument amoureux des sports américains – qui donnait précisément son interview à New York, où il s’était rendu pour assister à la draft NBA -, s’est inspiré de ses icônes, dans un pays où voir les personnalités publiques se positionner est tout sauf rare. Dernier cas en date : Megan Rapinoe, qui n’a pas manqué de critiquer la décision de la Cour suprême de révoquer l’arrêt Roe versus Wade, laissant les États libres d’interdire le droit à l’avortement. Plus que le fait de se positionner, c’est plutôt le fait de ne pas se positionner qui pourrait, à l’avenir, desservir le Bondynois. La délicate position qui serait la sienne, en cas de saillie au sujet de la condition des ouvriers sur les chantiers qatariens, ou autour de la posture de l’État organisateur vis-à-vis des minorités sexuelles, laisse ainsi entrevoir une limite à son pouvoir d’intervention. Mais celui que l’on se poile à désigner comme étant en campagne pour 2027 pourrait bien nous surprendre. Loin du terrain ou non, il n’en serait pas à son coup d’essai.
Par Paul Citron