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Zidane, le mythe marseillais
Zinédine Zidane qui offre au PSG sa première Ligue des champions ? Début juin, c’est toute la cité phocéenne qui a fait ce cauchemar alors que le Qatar tentait tout pour séduire le double Z. Yazid, le minot de la Castellane, sur le banc du PSG aurait été vécu comme une trahison dans leur chair par la ville et ses habitants. Et que Zidane ait joué à l’OM ou non, ça n’y change degun.
Un crime de lèse-majesté. Ni plus ni moins. Vue de Marseille, l’hypothétique arrivée de Zinédine Zidane sur le banc du PSG serait une trahison absolue. Un paradoxe pour un homme qui n’a jamais porté les couleurs de l’OM, et dont beaucoup se sont moqués. Comment les Marseillais peuvent-ils se sentir trompés par un joueur qui n’a jamais revêtu leur maillot sur une pelouse ? Pourquoi le nom de Zinédine Zidane est-il associé à un club qu’il n’a pas connu ? À une ville qu’il a quittée à ses 14 ans ? Pour comprendre, il faut se plonger dans une cité qui érige ses enfants en héros. Et où, comme nulle part ailleurs en France, l’équipe locale constitue une part de l’identité de tous. Même lorsque l’on s’appelle Zinédine Zidane, qu’on a été formé à Cannes avant de défendre les couleurs du rival bordelais, puis de la Juventus et du Real Madrid.
Yazid, le minot de la Castellane
En dehors des sentiers touristiques, le quartier de la Castellane est sans doute le plus connu de Marseille, grâce à ZZ. On ne parle pas là du rond-point qui fait le lien entre le centre-ville et l’interminable avenue du Prado, mais bien de l’ensemble qui ceinture la place de la Tartane, premier terrain de jeu de Zizou, au nord de la ville et de son port industriel, le long de l’autoroute A55. Une ville dans la ville de 6000 âmes, à la frontière des 15e et 16e arrondissements de Marseille. C’est ici que Zinédine a vu le jour en 1972, après ses trois frères Madjid, Farid et Nourreddine, et avant sa sœur Lila. Fils d’un père algérien qui voulait quitter la France après neuf ans à Saint-Denis, mais tombé amoureux d’une Algérienne avant de prendre le bateau du retour à Marseille, Zinédine Zidane est avant tout un enfant de Marseille.
Avant de signer à l’AS Cannes, il a ainsi écumé les clubs locaux dès ses 14 ans (AS Foresta, US Saint Henri, Septèmes-les-Vallons), et connu les virages du Vélodrome, mais aussi le bord du terrain à l’occasion de l’Euro 1984, où il fut ramasseur de balles. Sans surprise, le petit Yazid supporte alors l’institution locale : l’OM. Son idole absolue, ce n’est pas un secret, se nomme Enzo Francescoli, mythique numéro dix uruguayen qui joua une saison à l’OM. De passage dans son quartier natal en février 2022, où son frère Madjid travaille toujours à la piscine, Zinédine Zidane rappelait que son « cœur était toujours là », même si sa carrière l’a éloigné de la place de la Tartane. « Je suis de la Castellane, j’ai grandi ici avec mes parents. Je l’aime, même si les choses ont changé », glissait-il lors de l’inauguration d’une maison médicale digitale.
En dehors de son quartier, l’éternel numéro dix a conservé un amour sincère pour sa ville, et son club, qu’il n’a jamais caché. En 2017, il rappelait à Europe 1 que l’OM était « son club de cœur ». Avant de quitter Cannes pour Bordeaux, il aurait même pu en porter le maillot, Tapie étant sur le coup. Mais l’OM a raté le train. En novembre 2021, il développait un peu pour Le Phocéen : « Pendant ma carrière, j’étais occupé, dans des clubs où j’étais bien. Avec le recul, c’est vrai, en tant que marseillais que je suis, qui était longtemps dans les tribunes avant d’aller à Cannes, mon rêve était d’être sur le terrain. J’ai supporté Marseille comme un fou, même quand je jouais. Sauf quand je jouais contre eux. Aujourd’hui, je veux voir Marseille gagner. » Un amour sincère, même si le pudique et discret Zizou ne se rend pas souvent dans sa ville, ou alors en catimini. Et pour cause : il crée l’émeute à chacune de ses apparitions. Notamment ce jour de février 2022, dans son quartier. Normal, pour celui qui est considéré comme une divinité locale.
« Je l’aurais détesté, malgré tout ce qu’il représente »
Il suffit de voir l’émoi suscité par sa possible signature au PSG pour le mesurer. Pendant plusieurs jours, toute la cité phocéenne en parlait, et même ses ambassadeurs. L’adjointe au maire Samia Ghali l’appelait à la raison sur Twitter : « Zizou, ton histoire est ici, et elle ne peut pas s’écrire ailleurs. » Soprano confiait lui avoir mis un petit coup de pression amical. Impossible d’imaginer le visage du double Z, celui qui a longtemps trôné sur une façade de la corniche, associé au rival parisien. Vice-président de l’OM de 1995 à 1997, et aujourd’hui président (LR) de la région, Renaud Muselier en sourit : « J’ai tweeté un emoji cœur brisé. Il a fait un tabac ce tweet ! Beaucoup plus que quand je parle politique ou de choses essentielles pour la ville. Ça montre que c’est un sujet extraordinairement sensible. » Parler avec les supporters de l’OM suffisait à lui donner raison : « Je l’aurais haï, vraiment » , pèse l’insider Emboucaneur. Un autre supporter, anonyme, s’est lui rassuré en allant au Z5 d’Aix-en-Provence pour sonder le grand frère, Nourreddine : « Il m’a dit qu’il n’irait jamais de la vie à Paris. »
Tous les moyens sont bons pour se rassurer sur le Vieux-Port, et c’est pour ça qu’on parle déjà du possible mariage entre Zidane et la capitale au passé. « Ça aurait été une trahison inédite, mais la vraie crainte, c’est que Zidane aurait pu leur ramener la C1 ! », résume Guy d’Endoume, membre fondateur du Commando Ultra 84. Une peur qui a déferlé sur la ville, même si certains ont tenté de garder raison, à l’image de Smaïn, membre des MTP : « Je n’y croyais pas. Je connais des employés à lui, je sais qu’il est attaché à la ville. Et puis, il est trop intelligent pour aller à Paris. D’un point de vue sportif, il n’avait aucun intérêt à y aller. Il avait tout à perdre. Après ce qu’il a fait au Real, il n’attend que les Bleus. » On se souvient pourtant de Laurent Blanc, ancien capitaine de l’OM, entraîneur successif de Bordeaux et Paris. Mais pas Zidane. Pas maintenant, pas après tout ce qu’il a fait. « C’est comme si Tapie avait repris le PSG », se marre Guy d’Endoume, en rappelant que ZZ a des affaires dans la région, notamment ses salles de futsal : « Tout le monde aurait boycotté ses Z5. » Renaud Muselier, lui, préfère se méfier : « Quand on connaît le monde du foot, on peut tout croire. Le monde politique à côté, ce n’est rien. »
L’égal de Fernandel, IAM et Pagnol
Et si la trahison était aussi douloureuse à envisager, c’est parce que Marseille se voit en Zidane. « C’est un minot de la cité de la Castellane qui a fini par être un des plus grands joueurs du monde. Zidane, c’est le monument de Marseille, pose Guy d’Endoume. C’est comme la Bonne Mère, tu ne vas pas la déménager à Paris ! » « Avec son accent, son histoire, on s’identifie à lui. On peut nous traiter de ridicule, mais c’est juste de l’amour, confirme Smaïn. « Vous croyez qu’un Barcelonais irait entraîner le Real ? En tout cas, qui s’agenouille pour faire venir un Marseillais à tout prix pour apprendre à gagner ? » « C’est le premier Marseillais de naissance qui a été Ballon d’or, il a écrit l’histoire du football français. Et dans son caractère, c’est le vrai Marseillais. Sa famille est encore ici. Rien que pour eux, il ne pouvait pas signer au PSG », rappelle Emboucaneur. Lui aussi amoureux de l’OM, Renaud Muselier tente d’expliquer l’adoration qui entoure Zizou : « Il n’est pas prétentieux, contrairement aux Parisiens, il jouait remarquablement bien, il vient d’une cité populaire… Il représente la modestie, la victoire, le talent, la reconnaissance internationale, la valorisation d’un territoire. C’est une icône. » Et Ramzi de conclure : « Zidane, c’est un dieu du football, qui est la religion de Marseille. »
Plus que la Bonne Mère ou le Vieux-Port, Zizou est par la force des choses devenu un ambassadeur de Marseille. « Comme Defferre, Tapie en politique, Soprano ou IAM en musique, Pagnol, Fernandel ou Dumas avec le comte de Monte Cristo », énumère Muselier. « Au-delà du foot, on est toujours fiers des mecs qui nous représentent, assure le MTP Smaïn. Les petits Kebbal (Reims) et Magnetti (Brest), on en est fiers aussi. » Mais alors comment expliquer que la rumeur qui envoie Christophe Galtier, autre enfant de Marseille, au PSG n’agace pas les locaux ? Smaïn enchaîne, les deux pieds décollés : « Galtier, il a déjà entraîné à Lyon, Saint-Étienne et aujourd’hui Nice. Il a fait le triangle des Bermudes de nos rivaux. Tu ne peux pas faire pire. Qu’il aille au PSG, on s’en fout ! » Et tant pis si Galette a lui porté le maillot de l’OM, contrairement à Zizou.
Par Adrien Hémard-Dohain
Tous propos recueillis par AHD.