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Zidane en bon patron de gauche ?
L’élimination de l’équipe de France, après un match sans saveur contre une Espagne finalement prenable, a déjà commencé à produire son petit torrent de commentaires outragés et autres analyses « de bon sens » en cascade. Parmi ce déluge de belles paroles, la question du comportement des joueurs et de leur attachement au maillot (bref, de leur patriotisme) revient en force, faute sûrement d’avoir grand-chose à expliquer sur le jeu. Au même moment, Zidane fêtait ses 40 ans en livrant dans la presse ses états d’âme citoyens, pendant que Cantona continuait à endosser son manteau de révolutionnaire du ballon rond en assurant la promotion de son DVD Les rebelles du foot. Une concordance des temps qui prend des allures de choc des générations ; ou quand les anciens comprennent mieux le monde que les modernes...
Les Bleus ont donc été éliminés, sans surprise, mais non sans déception dans l’Hexagone, simplement parce qu’ils ne croyaient pas en leur victoire. C’est presqu’aussi basique que cela. Avant de mobiliser toutes les ressources de la sociologie et de la science politique, il importe de souligner que nous n’étions pas favoris et que l’Euro reste une compétition sportive avant de représenter une bataille d’orgueil national. Les joueurs n’ont pas traîné des pieds par manque d’amour pour la patrie, mais d’abord sans doute parce qu’ils ne s’imaginaient pas capables de réaliser un exploit – et que l’objectif affiché, les quarts, était déjà atteint.
Ils ont peut-être davantage conscience que nous d’appartenir à une génération moyenne où seuls un excellent gardien de but et un très bon Benzema, voire Ribéry, peuvent prétendre s’asseoir à la table des hautes instances. Leur insupportable satisfaction de samedi soir n’était pas feinte. Ils avaient, à juste titre, l’impression d’avoir poussé au maximum leurs compétences et donc, à leur façon, d’avoir honoré leur cape. Prendre en compte ce facteur sportif, c’est aussi signaler aux âmes indignées qu’avec exactement le même état d’esprit, ils ont pu enchaîner 23 matchs sans défaite et que, s’ils avaient triomphé du tenant du titre, personne ne s’intéresserait à leurs bonnes ou mauvaises manières d’après-match.
Le discours de Cantona
Une fois la situation dédramatisée, est-ce une raison pour oublier que si le bât blesse à ce point chez nous avec notre sélection nationale, ce n’est pas tant à cause du manque d’abnégation patriotique de nos joueurs que de leur difficulté à se penser comme des pros. La France continue à former, dans le foot, des sportifs de haut niveau qui vont gagner beaucoup d’argent, et non pas des professionnels dans un secteur économique très compétitif et surtout extrêmement populaire. Le rapport à la presse et au public en découle, puisque nos stars à crampons sont encore convaincues que leurs revenus proviennent de leur talent (comme un perchiste ou gymnaste) et non pas d’une réalité financière qui gonfle la bulle salariale du football de droits télés et de sponsors, qui s’orienteraient ailleurs sans la passion du public, leur premier patron quelque part, devant leur club et leurs agents. Le discours d’Éric Cantona dans Le Monde sur le sujet prend alors tout son sens : « Le vrai danger pour le football, c’est que les gens modestes, le peuple, ne peuvent plus aller au stade, c’est devenu trop cher. Puisque les fédérations vendent les droits télés pour autant d’argent, pourquoi est-ce qu’on n’imposerait pas aux clubs de réserver une partie du stade à des prix accessibles ? »
Autant, en effet, investir dans la recherche fondamentale et conserver ses clients les plus fidèles si on veut garder un peu d’avance sur les autres. Adopter ce raisonnement inverserait le rapport entre des joueurs qui donnent l’impression de rendre service à une équipe de France, alors que cette dernière (par le biais des primes, des dédommagements de l’UEFA et de la FIFA aux clubs ou bien de la plus-value d’une sélection lors du mercato) les paie, en retour, plutôt grassement. Ce n’est pas leur conduite de petits gosses surgâtés qui se révèle problématique. C’est surtout qu’ils n’arrivent pas à endosser la tenue de patron de PME qu’ils sont à titre personnel, ce qui les amènerait à un peu plus de responsabilité civile dans le travail. Et à se sentir un peu plus concerné par ce qui se passe dans la société qui les fait vivre.
Zidane : « Je n’ai jamais eu de problème avec le fait de payer des impôts »
Il faut analyser en ce sens l’étrange outing politique de gauche de Zinedine Zidane dans Le Monde, en s’exprimant comme il l’a fait sur les deux principaux axes qui clivent la droite et la gauche, c’est-à-dire la fiscalité sur les hauts revenus et le droit de vote des immigrés*. En ce qui concerne la fameuse taxe à 75%, le soutien de Pape Diouf ou de Vikash Dhorasoo n’avait surpris personne, dans un concert assez unanime de réprobation larmoyante. En revanche, la déclaration assez sommaire, en écho lointain aux embardées de l’exilé fiscal Nicolas Anelka, du tout nouveau quadra détonne notablement : « Je n’ai jamais eu de problème avec le fait de payer des impôts, de reverser 50 centimes pour 1 euro gagné. Je ne vis pas en France, mais je ne vis pas dans un paradis fiscal. Je vis en Espagne, je paye mes impôts comme tout le monde. Aujourd’hui, avec ce qui se passe, on va demander de l’argent à ceux qui en ont. C’est logique. »
Plus que des convictions civiques, on contemple surtout une perception assez lucide d’un climat économique, particulièrement détérioré de l’autre coté des Pyrénées et en Liga. Un peu comme ces seize grands patrons qui demandaient, en août dernier, à payer plus d’impôts… La position de l’ancien meneur du Real Madrid est à rapprocher de ce qu’il raconte également dans GQ cette fois, à propos de son passage à la Juventus Turin et de ce qu’il y avait appris : « Certains joueurs venaient tous les jours en costard-carvate à l’entraînement ! Ils imposaient aussi le respect comme ça. » L’habit fait le moine au fur et à mesure que l’on monte les échelons sociaux. Il serait temps de le comprendre, chez les Bleus…
Bons patrons de gauche
Ce qui manque au foot français, c’est peut-être de se mettre au diapason de cette culture capitalisto-sportive qui a transformé le patriotisme affectif en un rapport économique « gagnant-perdant » à sa nation et donc déplacé les lignes de fracture. Si la droite ne s’en satisfait pas et entonne le discours de la démagogie populiste tricolore, qu’elle se pose d’abord la question de son rôle dans cette dérive. Éric Cantona ne reproche pas à ces « rebelles du foot » d’avoir, souvent, excessivement bien gagné leur vie. Il met en avant le fait que, pour autant, ils n’ont pas oublié qu’ils étaient des acteurs du monde où ils vivaient, comme n’importe quelle rock star ou acteur de cinéma.
Pour que l’équipe de France recommence à gagner, il faut que les footballeurs pros deviennent enfin de bons patrons de gauche… avec la dose de paternalisme caritatif et de démagogie médiatique que cela implique. Et, pourquoi pas, songer à accorder le droit aux résidants étrangers présents depuis dix ans sur le territoire d’être sélectionnés, qui seraient peut-être bien plus heureux de cette reconnaissance que des « nationaux » qui s’en foutent. Et c’est d’ailleurs leur droit.
Par Nicolas Kssis-Martov
* Alors que la personnalité longtemps préférée des Français avait toujours été des plus discrètes sur la question et que, désormais, en bon libéral, il explique seulement que « quelqu’un qui contribue, en payant ses impôts, à la vie active du pays a le droit de voter. C’est juste ce que je pense » ; comme s’en acquittent déjà les citoyens de l’UE aux élections municipales et européennes.
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