Vous avez mis longtemps avant d’accepter de venir coacher en Indian Super League ?
Cela m’a pris à peu près deux mois pour étudier tous les détails avant de prendre une décision. Qu’est-ce que j’allais trouver sur place, le tournoi, les attentes, les joueurs. Pour moi, c’est un choix important parce que c’est le lancement d’un projet. Je ne viens pas pour faire une pige de trois mois et prendre de l’argent.
L’ISL est vendu comme un projet de développement du football indien, vous croyez à ce discours ?
Ici, c’est plus du business et moins un projet de développement du football. Ils essayent d’abord de faire connaître et de renforcer leur marque, l’Indian Super League. Sur la manière, ils s’inspirent de ce qui existe déjà avec la NBA ou la NFL. Aujourd’hui, tout le monde essaye de vendre le sport comme un événement, un spectacle. Cela n’a rien de nouveau pour moi. Quand je suis arrivé au Japon, les présidents de 10 clubs de leur championnat, la J-League, sont partis aux USA pour voir comment la NBA fonctionnait en terme d’organisation et appliquer les recettes chez eux. Après, on peut essayer de faire le show, comme il le font ici, mais en le mettant au service du football et de la progression du football indien. Il faudrait arriver à concilier les trois objectifs, pas seulement la notoriété d’une marque et la visibilité des sponsors.
Les joueurs occidentaux expliquent que les joueurs indiens sont tout le temps en train de s’excuser, presque trop respectueux. Est-ce que, culturellement, vous y voyez un frein à leur progression ?
Non, c’était la même chose au Japon. Là-bas aussi, les joueurs s’excusent tout le temps. C’est le même genre de culture, avec beaucoup de respect pour les anciens, la hiérarchie. Mais je ne pense pas qu’il y existe des barrières culturelles tellement fortes qu’elles empêchent les joueurs locaux de progresser. Et au Japon, il y avait aussi des étrangers. La différence, c’est le nombre, ils étaient moins nombreux, mais très bons, donc les Japonais pouvaient progresser à leurs cotés. Ici, il y a tellement d’étrangers que ce n’est pas idéal. Les Indiens ont du mal à se faire une place. Douze étrangers par équipe, c’est exagéré. Les Indiens n’ont aucune chance de jouer.
Si vous étiez DTN du football indien, vous feriez quoi pour faire progresser le football indien ?
Je limiterais le nombre de joueurs étrangers à trois. Mais des très bons et très impliqués auprès des joueurs indiens et du projet. J’amènerais aussi des coachs. L’équivalent de Wenger, quand il a débuté au Japon, comme beaucoup d’autres bons entraîneurs. Pas seulement pour donner l’exemple au niveau professionnel, mais aussi pour développer la formation. C’est un tout. Il faut aussi mettre en place l’excellence à tous les niveaux. Pour l’instant, cela semble compliqué. La confédération indienne n’est pas très unie sur un projet commun. Il y a beaucoup de vanité et de fierté parmi les dirigeants.
Si les vaches ne traînaient pas sur la route, elles pourraient donner du bon lait aux enfants
Vous n’avez pas pu choisir les joueurs de votre effectif. Est-ce que le principe des drafts de l’ISL ne compromet pas l’efficacité de votre travail ?
Je suis très énervé. Si on avait pu avoir une équipe qui représente vraiment la ville ou l’état, on aurait pu avoir une belle équipe. Au lieu de ça, c’est une affaire de copinage et de népotisme. Les amis, c’est pour aller boire une bière, pas pour monter un club de football. À Goa, il y a trois grands clubs en Première division dans un état qui est très connecté au football. On aurait dû prendre les meilleurs joueurs de ces clubs pour constituer un effectif en ISL. À cause de rivalités de personnes, d’histoires politiques, cela n’a pas pu se faire. C’est dommage.
Vous avez été surpris par certains comportements en débarquant ici ?
J’ai vu certaines choses qu’on ne voit pas ou plus dans les pays développés. Des détails. Par exemple : trois enfants sur une moto conduite par leur père ou leur mère, sans casque. Des petites choses comme ça, rien de fou. Je me dis aussi que si les vaches ne traînaient pas sur le bord de la route, elles pourraient donner du bon lait aux enfants. Je me rappelle quand j’étais enfant : j’avais mon verre de lait à l’école. Et ils ont beaucoup de fruits ici. Ils pourraient les donner aux enfants au lieu de les laisser pourrir.
Changeons de sujet : avec le recul, pourquoi le Brésil a loupé sa Coupe du monde ?
Pour la demi-finale, rien à dire. L’Allemagne était juste bien meilleure que nous. C’est le prolongement et la conséquence d’une absence de travail et de direction claire pour notre sélection. On n’a pas fait ce constat ou on n’a pas voulu voir nos lacunes, parce que les dirigeants se sont cachés derrière la victoire en Coupe des confédérations. On a cru qu’on travaillait correctement. Et je crois qu’on n’a pas forcément sélectionné les meilleurs joueurs. Certains étaient titulaires simplement parce qu’ils évoluaient dans des grands clubs, ou tout simplement à l’étranger, sans que l’on se soucie de leurs performances réelles. Júlio César, je l’aime bien, c’est un ami, mais bon, il joue à Toronto. Marcelo ne jouait pas beaucoup au Real, pareil pour Oscar à Chelsea, Hulk avait des problèmes avec son entraîneur au Zénith, Fred a été blessé pendant deux mois avant la compétition. Le seul qui était titulaire absolu et régulier, c’était Thiago Silva. Donc, on a été surévalué. Si vous regardez : on a mal joué contre la Croatie, mal joué contre le Mexique, mal joué contre le Chili et quand l’Allemagne s’est présentée, avec son niveau de football, on a été balayés. On a pris sept buts. On aurait pu en prendre trois de plus.
Pourquoi le Brésil n’est plus une inspiration pour les gens qui réfléchissent sur le football ?
Tout simplement parce que nos joueurs quittent le pays de plus en plus jeunes et perdent la culture brésilienne du pays. Donc ils partent à 20 ans en Russie, en Ukraine, au Qatar, en Allemagne ou je ne sais où, adoptent la vision du football de l’endroit qu’ils ont rejoint, et nous, on perd notre identité. Moi, quand j’ai quitté le Brésil, j’avais 30 ans…
Les notes des Bleus