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Zaha, la rédemption du banni
Parti à vingt ans tout juste du côté de Manchester United, le cœur plein d'espoirs, Wilfried Zaha est revenu chez lui, à Crystal Palace, il y a cinq mois et au fond du gouffre. Le fruit d'une expérience au plus haut niveau catastrophique sur le plan sportif, et destructrice moralement pour un gamin au bord de la rupture. Aujourd'hui, « Wilf » retrouve le sourire balle au pied et regagne du crédit. Entre Bergson et gros smile.
Cela ressemble au retour de l’enfant roi dans un royaume qui lui avait gardé une place toute particulière. Un siège bien chauffé près du cœur des supporters, un endroit où « il sera toujours comme chez lui » , dixit l’intéressé. À l’évocation d’un passé fait de dribbles virevoltants, de coups de génies à faire lever Selhurst Park, les supporters de Palace laissent apparaître un sourire plein d’espoir. Il y a quelques mois, leur enfant prodige, Wilfried Zaha, est revenu à la maison après s’être noyé dans le grand bain. Manchester United, ses stars, ses exigences, et l’oubli. Plus rien. « Wilf » avait disparu des radars depuis le 7 décembre 2013 et une défaite sans saveur du United version Moyes face à Newcastle (0-1). Lui, la dernière recrue de l’ère Ferguson, signée pour onze millions de livres après un rendez-vous londonien avec Sir Alex et Sir Bobby Charlton, ne sera entré que deux fois en jeu en autant d’années passées à Manchester. 28 petites minutes au compteur et une place éphémère dans l’histoire du club. Une histoire qu’il rêvait pourtant d’écrire. Oui mais voilà, comme un footballeur à la dérive, Zaha a été repêché par son club formateur en décembre dernier. Un message d’espoir en forme de rédemption : « J’ai souffert, mais je vais me relever, car maintenant je suis à la maison » .
Wilfried, le philosophe
Le jeune espoir anglais a donc parcouru un long chemin de croix pour revenir sur le pré. Dans une interview au Telegraph, Wilfried Zaha revenait récemment sur son passage à Manchester où il évoquait « ces soirs où tu te sens extrêmement seul. Tu te demandes ce que tu es exactement. Un footballeur qui ne joue pas au football ? Je passais mon temps à regarder les autres s’amuser et je ne pouvais rien partager avec eux. Alors quand, en plus, tes amis te demandent des places pour aller au match et que tu ne joues pas… » Zaha s’est alors construit en silence, dans la lecture, la philosophie. En lisant Bergson, l’ailier a engrangré du savoir, appris à remonter la pente et à surmonter une épreuve comme l’ascenseur émotionnel qu’il a connu à Old Trafford. Des lectures accompagnées de visites chez le psy dans la banlieue de Londres, histoire d’accélérer le processus de cicatrisation. Un travail de fond pour retrouver la confiance en soi, qui s’achève en beauté par l’arrivée d’Alan Pardew sur le banc de Palace début janvier.
Dès l’une de ses premières conférences de presse, Pardew évoque le cas de son joueur : « C’est sûrement l’un des jeunes joueurs que j’ai le plus suivi tout au long de ma carrière d’entraîneur. Il y a deux choses avec lui : tout d’abord, je ne le vois pas sourire suffisamment, et d’autre part, il prend chaque échec comme une énorme déception. Ce joueur a été détruit à Manchester » . Le but est alors de mettre Zaha dans les meilleures dispositions. Là aussi, la philosophie aura son rôle. Toujours en s’inspirant de Bergson, qui expliquait comment reprendre confiance après un traumatisme, Alan Pardew met en place un cadre idéal pour son attaquant. Il lui réapprend à sourire, à se libérer sur le terrain et à jouer la carte de la franchise. En décembre, il quitte Manchester United sur une poignée de main de Louis van Gaal, qui venait de lui avouer que, selon lui, « il n’avait pas le niveau pour jouer dans un club comme United pour le moment » . À peine revenu à Crystal Palace pour un prêt, il est définitivement acheté deux mois plus tard. Car sur le terrain, l’artiste est revenu.
Wilfried, l’artiste
White Hart Lane, 6 décembre 2014. À la 73e minute, l’intérimaire-coach de Palace, Keith Millen, décide de lancer Wilfried Zaha à dix-sept minutes de la fin, quelques jours seulement après son arrivée. Dix-sept minutes fracassantes où les supporters des Glaziers reprendront instinctivement le chant créé en l’honneur du gamin avant son départ pour Manchester : « La la la, la la la, Wahey Hey, Wilfried Zaha » . À la sortie du terrain, Zaha aborde un large sourire qui prouve que sa bouche renferme encore de bien belles quenottes. « Zaha est un joueur brillant, fantastique. C’est un peu notre protégé à tous dans le vestiaire, c’est un enfant du club » , lâche alors son partenaire, le milieu offensif Jason Puncheon. Une confiance footballistique qu’il décuplera dès l’arrivée de Pardew, qui le place dans un trident offensif qui fait aujourd’hui le bonheur de Crystal Palace, aux côtés de Glenn Murray et Yannick Bolasie.
Un statut qui implique désormais une exigence : celle du style. Le 21 mars dernier lors d’un match à Stoke où Wilfried Zaha marque le but vainqueur (2-1), Pardew s’attarde en zone mixte pour aborder « sa nonchalance et la volonté de le voir sourire plus » . Réponse de l’intéressé dans la presse : « Je ne veux tout simplement plus parler de Manchester United et je commence à prendre le dessus sur mon passé. Là-bas, j’étais un héros et, une minute après, j’étais un zéro. Aujourd’hui, je veux simplement jouer au football. Mon sourire revient lentement, car je reste marqué. Mais comme je ne peux sourire que sur un terrain, désormais, je souris à nouveau » . Wilf smile.
Par Maxime Brigand