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Youssouf Fofana, à charge de revanche

Par Matthieu Darbas
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« Ce n'est pas stupide de penser à la Coupe du monde, je vais jouer mes cartes à fond. » Cette phrase, Youssouf Fofana n'aurait pas imaginé pouvoir la prononcer il y a six ans, quand il tenait à bout de bras l'équipe réserve U17 de Drancy. Pourtant, après une première convaincante et pleine de personnalité avec les Bleus ce jeudi contre l’Autriche (2-0), le milieu de l'AS Monaco de 23 ans peut clairement espérer attraper le train vers le Qatar. Rescapé d'un parcours du combattant pour atteindre le monde pro, le Parisien de naissance pourrait pour une fois profiter d'un raccourci.

Youssouf Fofana, à charge de revanche

Il est 16 heures dans le nord-est parisien, et l’ébullition est totale au stade Paul-André qui s’apprête à recevoir pour la dernière fois de l’année les U17 de la JA Drancy. Ce dimanche 8 mai 2016, les jeunes joueurs de Saloum Coulibaly, pensionnaires de la DHR (Division honneur régionale), vont tenter de se qualifier pour la finale de la Coupe de Paris-IDF. Jour férié, gradins remplis, la joute ultime se déroule dans des conditions parfaites, où le mercure pointe à tout juste 30 degrés. « C’était vraiment chaud, une ambiance tendue », se rappelle Saloum. Menés par deux fois, les Drancéens reviennent à deux partout à dix minutes de la fin. « Dans les tribunes, c’était un bordel, le stade était bondé ! » À la dernière seconde du match, la JAD obtient un penalty. Cette fois-ci, l’enceinte est plongée dans un calme plat, camouflant difficilement une tension extrême. Le capitaine, un certain Youssouf Fofana, a au bout de son pied le but de la qualification et la revanche de toute une génération. « Fallait le voir : il était serein, il a posé le ballon et a sorti une panenka. » L’actuel pensionnaire de l’AS Monaco peut alors se jeter dans les bras de tous ses coéquipiers. « Tenter ce genre de geste dans un match si important, c’est aussi prodigieux que révoltant. Parce que tous les joueurs jouaient leur saison et plus encore. Dans cette équipe 2, je n’avais que des gamins qui n’ont pas eu leur chance avec les U17 nationaux du club ou qui sortaient de déception ailleurs », pointe Seloum Coulibaly. Et bien que la Jeanne d’Arc ait perdu la finale quelques semaines plus tard face au Paris FC, le natif du 19e arrondissement de Paris a à cette occasion redonné un véritable coup de boost à un début de carrière laborieux et provoqué sa chance de côtoyer le monde professionnel. Si personne dans l’assemblée n’aurait parié le voir défendre six ans plus tard les couleurs de l’équipe de France A, le fait qu’il ait débuté son aventure internationale avec autant de sang-froid ne surprendra personne.

Les voies de la Jeanne d’Arc

Pour Fofana, « ça n’était pas gagné », confie Morad Djeddi, le président de l’Espérance Paris 19e. Après avoir fait toutes ses classes dans le club de son quartier, Fofana avait pris la direction de l’Institut national du football de Clairefontaine, le pôle espoirs du football français. Malheureusement, il quitte l’INF en 2014, la tête basse, sans club, alors que la quasi-totalité des membres de sa promotion foncent vers les centres de formation. L’été précédent, il portait encore les couleurs du Red Star, d’où le milieu de terrain était reparti rapidement. Pour faire face à cette déception, Fofana accepte alors de faire deux pas en arrière pour espérer tenter ensuite le grand saut. « Et c’est comme ça qu’il arrive à Drancy à l’été 2014. En U16 d’abord, puis en U17 avec moi », reprend le coach Coulibaly. Choix étonnant, le coach des U17 nationaux ne le retient pas dans son groupe et l’envoie en réserve. Une nouvelle déconvenue qui ressemble bien au coup de grâce. « Pour lui, c’était un drame, reprend Saloum. Il n’avait toujours pas digéré la fin de son aventure à Clairefontaine, et il y a eu ce nouveau coup de massue. Je ne vous cache pas qu’il a failli arrêter le football après tout ça. » Touché, Youssouf rentre souvent de l’entraînement avec le masque. Les chemins en RER sont longs et remplis de discussions. « C’était vraiment un profond dégoût pour lui, un choix difficile à accepter. »

Ça se voyait qu’il était au-dessus du lot. Il n’avait rien à faire avec moi. Grâce à lui, on a survolé le championnat. Sur le terrain, c’est une tout autre histoire : le jeune joueur de 17 ans s’amuse complètement une fois les deux pieds sur la pelouse. « Ça se voyait qu’il était au-dessus du lot. Il n’avait rien à faire avec moi. Grâce à lui, on a survolé le championnat et on va donc au bout de cette coupe de Paris », lance Saloum, forcément heureux de pouvoir compter sur un tel profil dans ses rangs. Mois après mois, brassard de capitaine autour du bras, Fofana va manger son pain noir et avancer. À l’aise avec le ballon, le jeune numéro 10 fluidifie le jeu de son équipe et se retrouve souvent impliqué dans le dernier ou l’avant-dernier geste. À côté de ses trois entraînements par semaine, le joueur n’hésite pas « à prendre ses baskets, aller courir seul sur la piste et avaler les kilomètres » pour mettre toutes les chances de son côté. Après deux revers, Fofana travaille, garde la tête haute et ne tombe pas dans un trou duquel il ne se serait sûrement jamais relevé. À l’issue de cette saison, le Parisien file en U19 et voit, enfin, son rêve s’accomplir.

Youssouf de soulagement

« Il faisait de très bons matchs, était suivi par de nombreux recruteurs », se rappelle Saloum. Jusqu’à taper vraiment dans l’œil de Pascal Droenhlé, une des paires de jumelles du Racing Club de Strasbourg, qui passaient un jour dans le coin pour observer un coéquipier de Fofana, Emmanuel Zunon. « Il est revenu à Strasbourg en me disant :« Il y a un autre joueur super intéressant, il faut essayer de le faire rapidement », se rappelle François Keller, directeur du centre de formation alsacien et frère de Marc. Alors il y est retourné une dernière fois, juste pour Fofana. » Le recruteur ne fera pas le retour les mains vides : le capitaine drancéen a signé un contrat stagiaire de deux ans « sans se poser de questions ». Dans le Bas-Rhin, Youssouf Fofana va alors grimper les étages avec brio sous ses nouvelles couleurs. « Tous les mardis, on avait pris pour habitude de faire des séances avec les cinq plus jeunes joueurs de l’effectif pro, et les cinq gamins les plus prometteurs de l’équipe réserve. Il y avait souvent les mêmes joueurs comme Mohamed(Simakan, NDLR)et Youssouf évidemment », se souvient Thierry Laurey, entraîneur du RCS entre 2016 et 2021.

Il était focus sur sa progression. À tel point qu’on était allé le voir pour lui demander de faire venir sa famille, comme on le propose à tous les jeunes. Il avait refusé, nous expliquant qu’il s’était dispersé à l’INF, pas cette fois-ci. Par sa technique et son caractère, le Parisien commence à faire parler de lui et à entrer dans les petits papiers du tacticien français. « Il était focus sur sa progression. À tel point qu’on était allé le voir pour lui demander de faire venir sa famille, comme on le propose à tous les jeunes. Il avait refusé, nous expliquant qu’il s’était dispersé à l’INF, pas cette fois-ci », s’étonne encore François Keller. « De mon côté, j’ai vu dès le début que c’était un garçon sur qui on pouvait compter à l’avenir, admet Laurey. Et puis petit à petit, il a intégré mon groupe. » À deux reprises très exactement : retenu pour la première fois en équipe première en mars 2018 à l’occasion d’un déplacement à Toulouse, Fofana effectue ses grands débuts en Ligue 1, en entrant au Groupama Stadium, fin août, pour le compte de la troisième journée de la saison suivante. Cette fois-ci c’est sûr, Laurey l’intègre complètement dans ses rangs et le joueur signe officiellement son premier contrat professionnel mi-septembre.

Ce n’est que la première cerise sur le gâteau. La deuxième, elle, tombera dans la bouche du jeune espoir quelques jours plus tard quand Bernard Diomède, le sélectionneur des U19, puis des U20, envoie un petit message à Losseni Sy, conseiller de Fofana, pour lui assurer qu’il suit de près les performances de son protégé et qu’il peut s’attendre à faire partie du groupe des jeunes Bleus en mars 2019, pour préparer la Coupe du monde l’été suivant. Heureux, excité, prêt à gagner sa place en sélection, c’est peut-être tout ça à la fois qui a permis au jeune Youssouf de rendre des copies aussi parfaites les unes que les autres jusqu’à ce rassemblement. « Je me souviens l’avoir lancé pour la première fois en tant que titulaire contre Lille en seizièmes de finale de la Coupe de la Ligue. Il décoche un missile dans le premier quart d’heure et hop, but. Il avait vraiment marqué les esprits ce soir-là », explique Thierry Laurey, toujours un peu surpris de la maturité et de l’évolution de Fofana. Des performances qui lui ouvrent les portes de la Ligue 1 où son match contre l’AS Monaco (1-5) en janvier 2019, auréolé d’une réalisation et d’une passe décisive, restera son plus grand fait d’armes pour sa première saison professionnelle. Au total, Fofana va disputer 22 matchs, remportera la Coupe de la Ligue avec le Racing et sera sélectionné pour le Mondial U20 où il marquera son premier but lors du match d’ouverture contre l’Arabie saoudite. « C’est bon, avec tout ça, tu peux dormir tranquille », en avait conclu Fofana au micro de Moment à part.

De l’Espérance à revendre

« Tout ce qui lui arrive aujourd’hui, il le mérite. Il a bossé, il n’a rien lâché, applaudit Morad Djeddi, le président de l’Espérance Paris, qui a croisé Youssouf Fofana pour la première fois sur un palier de porte. J’ai le souvenir de le croiser avec ses parents dans la cage d’escalier, dans l’ascenseur, il apprenait tout juste à marcher. » C’est là, dans ces quartiers du nord-est de la capitale, que Fofana touchera ses premiers ballons quelques années plus tard, entre la station de métro Riquet, le quartier des Orgues de Flandre et le city-stade coincé entre les immeubles. « Et puis un jour, mon petit frère Salim joue avec lui en bas de chez moi, monte vite me voir, et me dit : “Le petit voisin il est vraiment bon, mais il n’a que 6 ans”, se souvient Morad. Très vite, je vois qu’il a effectivement quelque chose, donc naturellement je l’amène à l’Espérance dont je m’occupe déjà. On le faisait jouer avec des gamins qui avaient un an voire deux de plus que lui. Et avec un short trop grand, il faisait ce qu’il voulait. » À 7, 8 ans, le petit Youssouf impressionne déjà tout son monde et grandit aux côtés de Moussa Diaby ou encore Yahia Fofana, actuel portier du SCO d’Angers. Avec cette équipe, il gravira des sommets inespérés. Morade Djeddi se souvient particulièrement de cette finale de Seine Saint-Denis disputée au Stade de France en 2010 : « À la mi-temps, on est menés 4-1. On a fini par l’emporter 6-5, grâce à un quadruplé de Moussa et un doublé de Youssouf. Fofana avait de l’or dans les pieds. Il était bon à l’école, très intelligent, et ça se ressentait beaucoup sur le terrain. Il analysait le jeu, voyait avant les autres et était tactiquement en avance. » Les années passent, et les deux pépites de cette équipe intègrent logiquement Clairefontaine jusqu’en 2014, et donc le premier coup d’arrêt de Fofana. « Je ne comprends toujours pas pourquoi personne n’a foncé sur lui à ce moment-là, j’avais envie de leur dire : “Oh, mais vous avez de la merde dans les yeux !” », se fâche encore Morade à l’autre bout du fil. Finalement, le temps a bien fait les choses. Fofana est aujourd’hui une référence dans le club, et certains enfants arborent le blanc et rouge de l’AS Monaco avec le 22 dans le dos le mercredi après-midi.

Performant à Strasbourg, le milieu français a vite grimpé un échelon en prenant la route de la Principauté à l’hiver 2020 contre un chèque de quinze millions d’euros. « De toute manière, s’il ne partait pas en janvier, ça aurait été au mois de juin, confie Thierry Laurey, aujourd’hui au Paris FC. Il était en grande forme, on ne s’est pas opposé à sa volonté. Et puis, de toute façon, il avait un niveau qui ne demandait qu’à rejoindre un groupe plus performant. » Après deux saisons pleines à l’AS Monaco et un gain d’expérience avec les Bleuets de Sylvain Ripoll qu’il a rejoints depuis le mois de novembre 2019, Youssouf Fofana a donc été appelé par Didier Deschamps le 15 septembre dernier pour disputer les deux matchs de la Ligue des nations face à l’Autriche et au Danemark. Titulaire pour le premier rendez-vous, le Parisien a particulièrement réussi ses débuts aux côtés de son pote Aurélien Tchouaméni. « Je ressens beaucoup de fierté. C’est un accomplissement pour un joueur professionnel de représenter son pays, mais c’est aussi particulier pour moi, car j’ai fait deux ans ici à l’INF, a lancé avec beaucoup d’émotion Fofana en conférence de presse mardi dernier. Je passais tous les jours devant le château. » Après l’avoir longtemps regardé, le voici enfin à l’intérieur.

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Par Matthieu Darbas

Tous propos recueillis par MD sauf ceux de Youssouf Fofana.

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