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Youssef Msakni, souk machine
Le magicien des Aigles de Carthage semble enfin avoir trouvé avec cette Coupe d'Afrique des nations une scène à sa taille. Ce dimanche face au Sénégal, Youssef Msakni compte bien laisser derrière lui les coups d'arrêt et les coups du sort pour voir enfin sa carrière décoller.
La barque d’Alain Giresse tangue un peu moins. À la tête de la Tunisie pour une quatrième CAN avec une quatrième sélection différente (le Gabon en 2010, le Mali en 2012 et le Sénégal en 2015), l’entraîneur français a connu sa première victoire dans la compétition depuis 2012, avec une large victoire 3-0 contre Madagascar. Opposés ce dimanche au Sénégal, les Aigles de Carthage retrouvent les demi-finales après 15 ans d’absence, alors qu’Alain Giresse a dans le même temps calmé les voix discordantes à la Fédération tunisienne. Celles-là même qui réclamaient sa tête alors que la sélection venait de valider son ticket en huitièmes grâce à trois matchs nuls. Ce jeu décevant et ces résultats ternes ont conduit au limogeage du préparateur mental David Le Goff, proche du coach. Mais Gigi est toujours à la barre.
Msakni touche du bois
Face au Ghana en huitièmes (1-1, victoire aux tirs au but), le Français a pu noter « une prise de conscience par rapport aux prestations fournies, qui n’étaient évidemment pas satisfaisantes » . Mais alors que l’horizon tunisien s’est un peu plus dégagé, un homme continue de chalouper. Son nom : Youssef Msakni. Brassard autour du bras, l’offensif du KAS Eupen multiplie les caresses techniques, les dribbles déroutants et les décalages astucieux. Jeudi contre les Malgaches, le numéro 7 de la sélection a servi pour sa 56e cape une partition délicieuse, ponctuée par le but du break (son 10e en sélection), reprenant avec panache une frappe de Wahbi Khazri repoussée par le portier des Banea, Melvin Adrien. Tout ça en une petite heure, alors que sa présence était incertaine, après une blessure face au Ghana. Mais quand Youssef va, difficile de comprendre comment cela peut ne pas aller pour cette équipe pétrie de techniciens.
Mais tout n’a pas toujours été si simple pour le chouchou des supporters tunisiens. Alors que ses partenaires retrouvaient le gratin mondial l’an dernier en Russie, celui-ci devait faire l’impasse à la suite d’une blessure aux ligaments croisés. « Ce n’est pas si grave. Mais là, deux mois avant la Coupe du monde, c’est dur, soufflait-il à l’époque. C’est le foot, il faut l’accepter. Qu’est-ce que tu veux faire d’autre ? » Resté proche du groupe, Msakni a rongé son frein, conscient d’avoir « manqué quelque chose de grand » . Un an plus tard, cette frustration fait toujours écho. « Je ne me pose pas la question de savoir s’il est revanchard, assurait Giresse à Goal.com. Il a surtout envie de retrouver la compétition et le haut niveau. Il est avide de ça. Ça n’annulera pas ce qui lui est arrivé avant la Coupe du monde. On ne peut pas le consoler. Maintenant, il se projette sur cette CAN et il doit avoir le rythme nécessaire pour cette compétition. » De toute façon, à 28 ans, le natif de Tunis n’a plus de temps à perdre.
Youssef dans le vent
Formé au Stade tunisien, Msakni a forgé sa popularité à l’Espérance sportive. Il brille notamment en Ligue des champions africaine lors des saisons 2010-2011 et 2011-2012, où il est successivement vainqueur et finaliste. À ce moment, les sirènes européennes se font entendre, notamment en France où on parle de lui à Lorient, Lille, Monaco et même Paris. Pourtant, Youssef empruntera à 22 ans un chemin alternatif, l’emmenant au Qatar et au club de Lekhwiya, sur les conseils de son entraîneur Nabil Maâloul. « En janvier 2013, je sens que j’ai fait le tour à l’Espérance de Tunis, récapitule-t-il. Mon président me dit :« OK, je te vends, mais tu restes encore six mois pour finir la Ligue des champions africaine. » Cela a refroidi tous les clubs qui me voulaient de suite, sauf un : celui au Qatar. Je n’avais pas le choix. » Avec 11,5 millions d’euros d’indemnités, c’est un transfert record pour un club africain.
Mais ce choix laisse sceptique au pays. « Tout le monde m’a dit que j’allais perdre mon niveau, déplorait-il. Mais on l’a vu, avec l’équipe nationale, j’ai marqué des buts, j’ai répondu présent. J’ai même progressé au Qatar, même si j’y suis resté cinq ans. Chaque année, j’ai reçu des offres. Mais elles n’étaient pas assez bonnes. C’était n’importe quoi. Ce n’était jamais assez bien, ni pour moi, ni pour le club. » Les portes vers l’Europe seront finalement poussées en janvier dernier. Si Cardiff et Brighton se sont renseignés sur son profil (déclenchant l’enthousiasme surréaliste de la communauté tunisienne et la curiosité des locaux), c’est finalement en Jupiler League que Msakni pose ses bagages, plus précisément au KAS Eupen, grâce au partenariat qui lie le club belge germanophone au Qatar. « L’objectif, ce n’est pas de rester à Eupen. C’est de partir ailleurs. Tout le monde est au courant, avançait-il. J’ai 28 ans. Et alors ? Drogba a percé sur le tard(l’Ivoirien avait signé à Chelsea à 26 ans, N.D.L.R.). Tout peut aller très vite. Je suis sûr qu’il y aura quelque chose de bien pour moi. Ici, c’est un tremplin. Tout le monde regarde la Belgique. Enfin, toute l’Europe, du moins. » Mais en pleine période de mercato, le Vieux Continent a aussi un œil attentif sur cette CAN et difficile de trouver plus rebondissant qu’une finale, où il pourrait retrouver Djamel Belmadi, coach qu’il a connu dans les Émirats. Ne reste plus qu’à mettre l’affaire dans le Msak’.
Par Mathieu Rollinger
Propos de Youssef Msakni tirés de Sport/Foot Magazine et La Dernière Heure.