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Youri Djorkaeff : « Mes grands-parents ont vu des atrocités »

Propos recueillis par Alexis Buisson, à New-York
Youri Djorkaeff : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Mes grands-parents ont vu des atrocités<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

On retrouve Youri Djorkaeff dans un café chicos de Midtown Manhattan, où il a ses habitudes. Il arrive avec le portable à l'oreille. Son fils Oan, en centre de formation à Évian Thonon Gaillard, est au téléphone. « Les occasions de parler sont trop rares », dit-il. Youri est comme on l'imagine : souriant, décontracté. Il s'installe sur la banquette et commande un thé vert. Retraité du foot depuis 2006, quand il a raccroché les crampons de son dernier club, les New York Metrostars, le champion du monde a refait sa vie aux États-Unis. Les heures exaltantes de l'Inter, du PSG, de Monaco et de l'équipe de France sont derrière lui, mais l'appel de la pelouse reste fort pour « The Snake », qui pourrait bien y succomber à nouveau.

Ton truc, quand tu étais gamin, ce n’était pas le foot, mais le judo et la natation.

Le foot était dans ma famille par mon père et mon grand frère. Pour moi, le foot est venu petit à petit, grâce à mon grand frère qui jouait en Division 3. On jouait souvent ensemble dans le jardin. J’allais taper le ballon avec lui. Comme tous les grands frères, il me mettait dans le but et frappait. J’ai commencé à jouer avec les plus grands à l’UGA Décines (club d’Arméniens en banlieue lyonnaise, ndlr), le club où j’ai eu ma première licence. Mon père était entraîneur. Il y avait tous les gars du quartier. On jouait dans la rue et puis, à 17h, on allait à l’entraînement. Il faut remettre tout ça dans son contexte : aujourd’hui, il y a des jeux vidéo, internet. Nous, quand on a commencé, il y avait les vélos et le foot. On faisait des buts avec les plots. On aimait bien « chiller » tous ensemble. Après l’école, on faisait les devoirs à l’arrache et on sortait jouer. J’aimais jouer au foot, mais j’aimais surtout être avec les grands. Le foot m’a pris petit à petit. Je n’ai jamais eu la révélation du foot. Certes, j’allais regarder les matchs, je soutenais une équipe comme tous les gosses, j’accompagnais mon frère qui était un vrai mordu, mais je faisais plus du foot par plaisir. Mon truc, c’était plutôt les sports perso.

À quel moment est-ce que le foot est devenu une ambition pour toi ?

Quand j’ai commencé à faire des essais pour entrer dans les centres de formation. J’étais en moins de 15 ans à Villeurbanne, un club très regardé par les recruteurs. J’étais un très bon joueur là-bas. J’ai eu beaucoup de propositions. J’ai compris que le foot pouvait devenir important.

Ton père t’a encouragé à te lancer ?

C’était une ambition individuelle. Et c’est pour ça que ça a marché. J’espère que ça sera comme ça pour mon fils, qui est en formation à Philadelphie. Dans ce sport, quand tu es jeune, tu as beaucoup de désillusions. J’en ai eu tout au long de ma carrière. Il faut vraiment vouloir réussir pour s’accrocher. Mais mon père m’a conseillé pendant toute ma carrière. C’était un privilège de l’avoir à mes côtés. Il assistait à quasiment tous les matchs. Il regardait, critiquait, rectifiait, me donnait sa vision du terrain. J’ai beaucoup appris en écoutant mon père.

On raconte que ton père était assez dur avec toi quand il t’entraînait à Décines.

Quand tu es le fils l’entraîneur, c’est délicat. C’est vrai ! En plus, j’étais le plus jeune, il ne laissait rien passer. Mais d’un autre côté, ça me plaisait, et en plus, j’étais le chouchou des plus grands.
Mon père assistait à quasiment tous les matchs. Il regardait, critiquait, rectifiait, me donnait sa vision du terrain.

Pourquoi aimais-tu passer du temps avec les plus grands ?

J’étais mature assez tôt. J’avais toujours des amis plus âgés que moi. Toute ma vie, j’ai toujours été avec des personnes plus âgées. J’avais envie d’apprendre vite. Et le meilleur moyen d’apprendre vite, c’était d’être avec les adultes.

Tu jouais déjà milieu offensif quand tu as commencé ?

Oui. J’étais numéro 8, un joueur polyvalent entre le 6 et le 10 qui faisait remonter la balle, mais qui était toujours placé en milieu de terrain et capable de se retrouver dans les 20 mètres. Je n’étais pas le plus rapide. C’était un bon poste pour développer mon jeu. J’étais toujours en mouvement, toujours face au jeu. Le but adverse était toujours face à toi et pratiquement toute l’équipe aussi. Ça donnait une vision large. C’était vraiment bien.

Ton premier club pro est Grenoble. Qu’as-tu appris là-bas ?

Tout. La vie, le métier, le club… Je crois que Grenoble a été une école extraordinaire. Je retiens tout de cette période. Une nouvelle vie a commencé. Pour mes 16 ans, je m’entraînais avec les pros sous la direction de Claude Leroy. C’était du bonheur. À 18 ans, j’étais capitaine.

Ce n’était pas dur d’être capitaine aussi jeune ?

Je l’ai assumé. C’est Plamen Markov, un international bulgare, qui m’a fait capitaine. Il était numéro 10. Il finissait à Grenoble, et progressivement, j’ai pris sa place sur le terrain. Il s’est retrouvé entraîneur, et le premier truc qu’il a fait, c’était de me faire capitaine. J’étais surpris, car il y avait de vieux briscards dans le club qui me regardaient de travers. Il m’a expliqué : « T’as des qualités. T’as pas encore compris toutes les qualités que tu as, mais le fait d’être capitaine va te donner des responsabilités différentes. » À l’époque, je n’avais pas compris. Être capitaine m’a permis de m’exprimer, d’être encore plus efficace, d’épurer mon jeu et ma personnalité. J’étais obligé d’aller voir l’arbitre, de lui parler. Avant j’étais plus réservé, plus timide. En étant capitane, je suis sorti de mon rôle d’aspirant du centre de formation qui voulait jouer avec les pros, qui pouvait faire la différence, qui dribblait, marquait, faisait marquer. Là, il m’a sorti de mon rôle et m’a dit : « Maintenant, t’es le leader de l’équipe ! »

Qu’est-ce qu’il a vu en toi à ton avis ?

En simplifiant, que je pouvais changer un match. Quand tu fais partie d’une équipe, tu espères gagner. Mais moi, je me suis rendu compte que je pouvais changer un match. Que sur un ballon qui traînait, tu pouvais faire la différence. Tu peux défendre pendant 90 minutes, arracher le nul, c’est super… Mais tu peux aussi défendre et en plus mettre une lucarne des 20 mètres ! Je me suis rendu compte qu’il y avait peu d’opportunités de faire cette différence-là. Tu cherches à être dans une position qui va te permettre de planter, ou être dans une position pour récupérer un ballon qui va rebondir sur un tibia. J’ai compris que tu faisais la différence quand tu étais en mouvement. Le ballon était inconsciemment toujours là où je l’attendais. Après, mon boulot était de regarder mes coéquipiers et anticiper ce qu’ils allaient faire. Et ça, c’était passionnant.

La D2 et la D3, c’était une bonne école pour toi ?

Putain, on en a mangé de la terre ! (Rires) J’avais la chance d’avoir dans l’équipe de vraies pointures respectées dans le milieu professionnel, aussi bien dans l’élite que dans les bas quartiers. On pouvait voyager de partout. Dans les coins chauds, ils disaient : « Le petit jeune, on n’y touche pas. » Il y avait du respect par rapport à mon nom et l’image de mon père. Mais j’avais toujours deux-trois gars qui arrivaient dans les moments chauds pour me défendre.
On s’est pris la tête avec Arsène Wenger, mais nous avons eu de bons échanges.

Tu as toujours eu une image de joueur modeste, dans la retenue. C’est dû à la volonté de ne pas froisser ton nom ?

Oui. Ça, et mon éducation. Porter un nom connu est à double tranchant, car si t’es un petit con, tu peux t’en prendre plein la vue. Il fallait être le plus propre possible. Après, mon éducation m’a beaucoup aidé à avoir de la retenue dans les bons et les mauvais moments. C’est lié à l’origine de mes grands-parents, surtout du côté arménien. Ils ont vu des atrocités, ils ont tellement souffert. Ils disaient toujours : « C’est pas grave, c’est pas grave, c’est pas grave » . Parfois, on avait des discussions, et on se tournait vers les grands-parents qui nous disaient : « C’est pas grave » .

Toi aussi, c’est ta philosophie de vie : « C’est pas grave » ?

Oui, mais c’est bien aussi de pouvoir s’exprimer. J’ai la chance de pouvoir faire les deux : de pouvoir dire « c’est pas grave » et de dire quand les choses sont graves. J’ai une grande tolérance et une grande indulgence, mais je suis aussi d’une grande fermeté. Je peux être dur pour me faire respecter. Mais juste. On ne me la fait pas. On ne me la raconte pas.

Après Grenoble et le RC Strasbourg, tu arrives dans l’élite en signant à l’AS Monaco d’Arsène Wenger.

J’étais le plus grand transfert de l’ASM à l’époque. Avec Wenger, c’était super. J’avais 21 ans, j’avais une certaine forme de jeu, des automatismes. Wenger voulait des gens sur le côté, au milieu… Moi, tu m’y laissais cinq minutes sur le côté ! Ou tu me disais de rester au milieu et j’allais à droite, à gauche. On s’est pris la tête avec Arsène, mais nous avons eu de bons échanges. J’ai aussi appris le métier avec lui. Il y a des exigences à avoir sur le terrain, je les ai apprises avec lui.

En cinq saisons à Monaco, pas un titre de champion de France. C’est un regret ?

C’est un gros regret. On avait l’équipe pour y arriver, mais on s’est écroulés à la fin contre Marseille. Monaco méritait un titre. On est passés à côté de deux-trois autres évènements aussi, comme une finale de Coupe des coupes et une demi-finale de Champions League contre le Milan AC. Pour moi, c’était quand même une super expérience : une première sélection en équipe de France, des joueurs incroyables, avec un président, Jean-Louis Campora, qui était une grande figure du football français.

Tu as toujours eu de bonnes relations avec tes présidents, sauf à Kaiserslautern plus tard. Pourquoi ?

Je négociais directement mon contrat. Quand je parlais de mes contrats, il y avait mon père, mon avocat et moi. Et quand t’es face à ton président, et qu’il dit une somme et qu’il te regarde dans les yeux, et que tu le regardes dans les yeux, y a plus de bullshit. Ni lui ni moi.

Tu avais la réputation d’être un joueur perso sur le terrain. Tu trouves ça juste comme critique ?

Non, je me régalais. À un moment donné, les journalistes ne savaient plus où me mettre. À l’époque, on sortait de l’ère Platini. Il fallait une relève, un nouveau numéro 10. Je ne voulais surtout pas avoir une étiquette et être le successeur de quelqu’un. J’étais le précurseur du 9,5. Un jour on m’a demandé dans quelle position je jouais. J’ai dit : « 9,5 » . « Hein quoi ? C’est quoi ? » On me faisait chier, car il fallait expliquer. On n’a pas besoin d’expliquer. Quand t’es attaquant, ton job c’est de marquer. J’ai vu plein de jeunes joueurs arriver en équipe de France qui m’ont dit que mon comportement sur le terrain et en dehors les avait inspirés.

1995. Après Monaco vient le PSG de Luis Fernandez. Vous avez des personnalités assez différentes. Comment s’est passée votre relation ?

C’était un entraîneur avec une carrure. Luis fait partie de cette trempe de gars capables de lever une armée alors qu’on est trois pour faire la guerre. Je le connaissais bien. Mon père était l’adjoint d’Henri Michel a un moment donné. Luis était des Minguettes. Ça a marché tout de suite. C’était un entraîneur qui prenait des risques. Il allait de l’avant, il n’était pas académique. Les gens se sont arrêtés sur l’épisode Ronaldinho, mais à mon époque, il faisait des matchs à quatre attaquants ! C’était quelqu’un qui faisait des coups, qui cherchait des gens sur les couloirs, qui montaient. C’était un PSG très offensif.

C’est lui qui t’a donné le surnom de Snake.

Ça vient de Monaco, un jour Luis l’a repris.

⇒ retrouvez la suite de notre entretien fleuve avec Youri Djorkaeff

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Propos recueillis par Alexis Buisson, à New-York

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