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Pourquoi beIN Sports ne pourra pas diffuser six matchs de Ligue des champions
Si beIN Sports devait retransmettre 104 matchs de Ligue des champions cette saison, le groupe n'en diffusera finalement que 98. En cause : une injonction de la DGCCRF relative au sponsor controversé des Young Boys, Plus500. Secrétaire générale de beIN Media Group, Caroline Guenneteau fait le point sur ce dossier.
Comment et quand avez-vous appris que vous ne pourriez pas diffuser les matchs des Young Boys de Berne cette saison ?
Tout remonte à une injonction de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qu’on a reçue en novembre 2022. Cela faisait suite à la finale de la Ligue Europa 2018, impliquant l’Atlético, qui était sponsorisé par Plus500. Sur la base de ce qu’elle a constaté à l’époque, la DGCCRF a décidé, quatre ans après, de ne plus autoriser la diffusion des matchs impliquant cette société. En vertu du code de la consommation, elle considère que la retransmission irait à l’encontre de l’interdiction de la publicité pour une plateforme spécialisée dans des services d’investissement portant sur des contrats financiers risqués. L’injonction s’applique à toute diffusion d’un club qui porterait un maillot avec le sponsor Plus500. Il pourrait y avoir un effet de contagion. Aujourd’hui c’est beIN, mais à partir du moment où on ne contrôle pas le signal des matchs qui se jouent sur un territoire autre que la France, ça peut s’étendre à d’autres télédiffuseurs.
Cela vous semble injuste ?
On a du mal à comprendre pourquoi cette injonction nous a été délivrée. On peut retrouver le maillot des Young Boys, avec le sponsor Plus500, dans des couvertures de presse, sur les services de pari en ligne, etc. C’est une très grosse distorsion de concurrence, qui nous paraît inexplicable. Comment expliquer que l’on cible une chaîne comme beIN Sports et que d’autres médias ne soient pas contraints par une quelconque interdiction de diffuser ou de reproduire le joueur qui porte un maillot Plus500 ?
beIN Sports avait déjà été privé de la retransmission des rencontres de l’Atalanta la saison dernière en Serie A. Vous n’avez pas trouvé de solution ?
On ne peut pas interférer sur le signal, et le match a lieu en dehors de la France. Malheureusement, on ne fait que subir cette situation. La seule action possible, pour éviter toute sanction, c’est de ne pas diffuser les matchs. Quand les Young Boys rencontrent Manchester City (le 25 octobre puis le 7 novembre, NDLR), pour le coup, ça nous occasionne un dommage assez important. Vous imaginez que nos abonnés aimeraient avoir accès à ce match.
Communication à l’attention de nos abonnés pic.twitter.com/7r7BYkFUTg
— beIN SPORTS (@beinsports_FR) January 20, 2023
Vous avez engagé des recours ?
Bien évidemment, on n’est pas d’accord avec l’analyse de la DGCCRF. On a beaucoup d’arguments : est-ce que c’est une publicité interdite, est-ce que c’est une publicité indirecte, Plus500 ne propose pas que des produits financiers risqués… Nous contestons beaucoup de choses autour de cette injonction, qui porte atteinte à la liberté du commerce. On a déposé un recours hiérarchique auprès de la DGCCRF, sans recevoir de réponse, mais toute absence de décision est considérée comme un rejet implicite. Nous sommes allés devant le tribunal administratif, qui a rejeté notre demande, et nous sommes maintenant devant la cour d’appel. On ne lâchera pas sur le terrain juridique.
Il y a des chances que cela aboutisse ?
On a saisi l’Arcom (l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, NDLR) et on a mis en avant tout ce que je vous ai décrit : le risque de contagion, le fait que le télédiffuseur ne maîtrise pas le signal et n’a aucun outil technique pour pouvoir flouter les maillots – en plus, on n’en a pas le droit car le signal ne nous appartient pas. Là où nous sommes très optimistes, c’est que l’Arcom a décidé d’ouvrir des groupes de travail. Elle nous a toujours énormément appuyés précédemment, par exemple sur le piratage. L’Arcom est très pragmatique, elle a une vision opérationnelle de nos métiers. On est confiants sur le fait que ces groupes de travail prendront en considération l’intérêt du consommateur et des diffuseurs. Je suis sûre qu’on arrivera au principe de la non-interdiction de la diffusion de ces matchs. Ça prendra du temps, mais on est plutôt optimistes.
Vous avez un calendrier pour la réunion de ces groupes de travail ?
Cette semaine. Cela va réunir Bercy, l’Autorité des marchés financiers (AMF), le CSA, la DGCCRF et tous les diffuseurs, parce que ça ne concerne pas seulement beIN(1). On va pouvoir débattre tous ensemble.
Vous faites d’ores et déjà une croix sur les six matchs de poule des Young Boys ?
Malheureusement, oui.
Vous espérez que ça se débloque en 2024 ?
Oui, il y a quand même des précédents en matière d’alcool ou de tabac. Cette expérience pourra nous aider à trouver un terrain d’entente. Il faut être pragmatique, prendre en considération la bonne foi, un principe de tolérance, nos contraintes techniques. En tant que télédiffuseur, il n’est pas question de complaisance pour des produits financiers qui pourraient remettre en cause la sécurité des consommateurs. Nous sommes prêts à jouer le jeu. L’Arcom peut nous être d’une grande aide afin de trouver un compromis, dans l’intérêt du respect du consommateur et de la liberté de diffusion.
À quel point est-ce pénalisant pour beIN Sports ? Avez-vous chiffré l’impact sur les recettes publicitaires ou le nombre d’abonnements ?
On n’a pas du tout chiffré, mais c’est extrêmement pénible de ne pas pouvoir proposer aux abonnés ce qu’on leur avait promis.
Si les Young Boys venaient jouer un match en France, on peut imaginer que le sponsor serait retiré du maillot pour l’occasion (comme cela a pu être le cas avec Liverpool et son sponsor Carlsberg dans le passé), et que la rencontre pourrait être diffusée ?
Oui, ce serait le cas.
Puisque vous avez payé pour 104 matchs et que, pour une raison extérieure, vous ne pourrez en diffuser que 98, allez-vous demander des compensations à l’UEFA ?
On s’est déjà rapproché des ayants droit en leur disant : « Mais attendez, vous nous vendez des compétitions qu’on ne peut pas diffuser ! » Eux nous disent qu’ils ne peuvent pas agir. À partir du moment où le sponsor n’est pas interdit dans le pays où la compétition est produite, l’ayant droit ne peut pas intervenir. C’est évident que si la situation perdure, que si on n’arrive à rien dans le cadre de ces groupes de discussion, on retournera voir l’UEFA et on discutera de l’impact de ce type de régulations.
Propos recueillis par Quentin Ballue
(1) Plus500 sponsorise également le Legia Varsovie, qui reçoit Aston Villa en C4 ce jeudi. RMC Sport n'a pas répondu à nos demandes pour savoir si le match serait diffusé. "Si c'était le cas, on serait dans le cas d'une distorsion très importante de concurrence", signale Caroline Guenneteau.