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Yoann Lemaire : « La communication de Lloris est lamentable »
Yoann Lemaire, fondateur et président de l'association Foot Ensemble, n'a pas digéré de voir Hugo Lloris rejoindre le discours déconnecté de Noël Le Graët sur le port du brassard arc-en-ciel au Qatar. Il estime que ce manque d'initiatives du football français est destructeur pour ceux qui luttent au quotidien contre l'homophobie.
Comment avez-vous accueilli les propos d’Hugo Lloris, qui a dit rejoindre le président de la FFF Noël Le Graët en ne souhaitant pas particulièrement porter le brassard arc-en-ciel contre les discriminations au Qatar ? Pire, il dit qu’il doit respecter leur culture et leurs règles, en gros, ça veut dire respecter l’homophobie. J’ai été écœuré, j’étais en pleine visio avec des jeunes footballeurs pour parler du sujet au moment où j’ai reçu plein de SMS sur cette déclaration. Ça m’a perturbé parce que j’ai vraiment cru qu’il allait le faire, même si pour l’avoir rencontré pour parler de ce sujet, j’avais vu que ses réponses n’étaient pas réfléchies, travaillées, mais plutôt décevantes. Porter un brassard, ce n’est pas grand-chose, même les États-Unis vont le faire, et il faut bien s’engager de temps en temps, même avec modération. On peut penser que le pays champion du monde et des droits de l’homme montre qu’il n’accepte pas que l’on mette des gens à la marge dans la société, sans pour autant mettre le bazar. Il y a eu Noël Le Graët, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra il y a quelques semaines, et maintenant Lloris qui prend position… Qu’est-ce qu’il y a derrière ça ? Ça me dépasse un peu. On passe pour des guignols, et ça donne une fois de plus une très mauvaise image du foot, un milieu dans lequel on voit pourtant tous les jours de nombreux efforts dans les clubs professionnels et amateurs. Et là, l’exemplarité plus haut est catastrophique. J’ai honte pour notre pays.
Vous dites avoir été déçu lors d’un entretien avec Hugo Lloris, comment ça s’est manifesté dans ses réponses ? On était cinq, dont un journaliste de France 3 et des techniciens, et j’avais été particulièrement agacé, voire énervé par les réponses de Lloris. Je peux comprendre qu’il ne soit pas à l’aise avec le sujet, mais ça donnait des réponses parfois ridicules. Il estimait par exemple que les insultes homophobes sur un terrain ou en tribune faisaient partie du folklore. Quand je lui ai demandé s’il avait déjà été confronté en tant que capitaine à un début de confidence d’un coéquipier, il ne comprenait pas que l’on puisse parler de ça dans un vestiaire. Pour lui, c’était de l’ordre de l’intimité. Il y a pourtant une vie sociale autour des clubs, c’est normal. Bien sûr, il nous a dit qu’il fallait respecter tout le monde, mais ça ne va pas plus loin.
Il a aussi été question d’un clip tourné pour lutter contre l’homophobie avec des joueurs de l’équipe de France, mais celui-ci n’a toujours pas été diffusé. Pourquoi ? On avait un accord avec la FFF qui était le fruit d’un long travail, mais je ne vois même pas pourquoi on continuerait notre partenariat avec la Fédération aujourd’hui, on va continuer sans eux. Ce jour-là, trois joueurs des Bleus ont participé : Jonathan Clauss qu’ils ont envoyé au casse-pipe pour sa première sélection et il a été très sympa ; Jules Koundé, très à l’aise sur la question, au point que j’étais en admiration devant son discours ; et Hugo Lloris, le capitaine. On avait demandé une liste entière de joueurs, puis on nous a dit : « Non, lui a mal a une dent », « Il est trop connu, on ne va quand même pas lui demander de participer »… C’était vraiment pitoyable. On a fait le tournage en mars et on m’a filé un prémontage de quatre minutes plutôt bien il y a un mois. Depuis, je n’ai plus de nouvelles. Je ne suis pas très surpris. Quand j’entendais des personnes travaillant à la communication à la FFF dire : « Je suis allé à Doha, on n’a pas de leçons à leur donner. » Comment peut-on dire que nous sommes des donneurs de leçons ?
Le paradoxe, c’est qu’en septembre dernier, la France faisait partie des huit fédérations européennes à faire part de leur volonté de voir leurs capitaines porter le brassard arc-en-ciel en Ligue des nations et au Mondial. Comment expliquer ce revirement de situation ? On passe pour des guignols, il n’y a pas d’autres mots. Ils ne maîtrisent pas le sujet, ils ne comprennent pas son importance. Mais que s’est-il passé entre-temps ? S’il faut fermer notre gueule parce qu’on fait beaucoup d’argent avec le Qatar, qu’on le dise, que ce soit clair. Lloris se réfugie derrière la FIFA qui n’a pas encore donné son accord, c’est une fausse excuse. D’autres pays vont le faire, et si c’est refusé deux heures avant une rencontre, on le saura. Si un match ne peut pas se jouer à cause d’un brassard, ce serait incroyable quand même. J’aurais préféré qu’on évite d’anticiper la réponse de la FIFA et qu’on prenne une position claire. Mais ça reste un sujet épineux dans le foot, et le sport en général… On voit tellement d’efforts dans les clubs professionnels, amateurs et même à la LFP qui est d’une grande aide. C’est incomparable avec la FFF, où la gouvernance est catastrophique à ce niveau. C’est dégueulasse pour toutes ces personnes qui montrent l’exemple.
Quel impact cette absence d’initiatives à la FFF et en équipe de France peut avoir sur la lutte contre l’homophobie au quotidien dans le foot ? Ce qui se passe est destructeur pour toutes les actions de terrain. Comment parler de tout ça à des gamins et des bénévoles quand on a cet exemple ? On nous réclame des vidéos avec des joueurs de l’équipe de France pour sensibiliser les jeunes. J’ai fait beaucoup de collèges, lycées, centres de formation pour présenter mon documentaire Footballeur et homo : au cœur du tabou, et à chaque fois, la scène de conclusion avec Antoine Griezmann est marquante. Quand il dit qu’il serait fier de pouvoir aider un coéquipier homosexuel, ça laisse un silence. Et on a pu constater que ça avait un impact positif sur des gamins de 13-14 ans. Une telle vidéo serait essentielle pour la pédagogie sur le terrain, on s’en fout que ça passe à la télé.
Avez-vous encore un espoir de voir les Bleus prendre clairement position pendant cette Coupe du monde ?J’ai encore un espoir parce que je crois à la responsabilité individuelle. On est tellement ridicules, entre le président Le Graët et Lloris, à dire qu’il faut s’adapter aux règles et aux cultures des pays où l’on se rend. On se croirait à l’Assemblée nationale. Ça veut dire que si on va quelque part où on tape sur les femmes et les homosexuels, il faut respecter, c’est normal. Ils sont tellement lamentables dans leur façon de communiquer et dans leurs actes qu’ils ne peuvent pas aller plus bas. J’ai espoir qu’ils réfléchissent cinq minutes ou que des personnes leur expliquent qu’on peut s’engager de manière modérée. Personne ne leur demande de faire la révolution. Je ne suis pas résigné, je n’imagine pas un instant qu’ils ne fassent pas un minimum pour les droits de l’homme, sans que ça se concentre uniquement sur l’homosexualité, mais que ce soit un ensemble. Même si je saurais au fond de moi que c’est une question d’image et que ces personnes ne peuvent pas me faire rêver. (En réponse au communiqué de Génération 2018 qui a annoncé son soutien aux ONG :) Il faudra suivre ça de plus près, c’est facile de dire que l’on va donner des sous…
Raphaël Varane avait porté un brassard arc-en-ciel contre l ‘Autriche en septembre
En tant que passionné de foot, allez-vous suivre la Coupe du monde au Qatar, où l’homosexualité est illégale ? J’ai été footballeur avant même de me rendre compte que j’étais gay et je comptais sur ce sport pour m’aider à m’assumer. J’ai toujours regardé les matchs, mais là je n’ai pas spécialement d’envie. Il est possible que je me mette devant un match des Bleus ou un autre un soir… En vérité, ça ne ressemble à rien ce truc. Depuis la Russie, il fallait se préparer à la défense des droits de l’homme et la lutte contre l’homophobie. On en a parlé à l’Euro, en Hongrie, où on a vu Neuer porter le brassard arc-en-ciel ou l’Allemagne multiplier les symboles. Qu’est-ce qui a été fait entre-temps ? Rien, on n’anticipe pas, on ne réfléchit pas. Par passion du foot, il est possible que je m’arrête devant un match, mais je n’ai pas la flamme pour cette Coupe du monde.
Pour finir, êtes-vous optimiste par rapport à l’évolution de l’acceptation de l’homosexualité dans le foot ? (Il réfléchit.) C’est difficile à dire parce que vu les prises de position récentes, quel retour en arrière… Je suis tellement navré que j’ai du mal à vous répondre. Il y avait des avancées et des volontés politiques des clubs professionnels et amateurs. Il y a énormément de jeunes sensibilisés régulièrement sur la question, avec du personnel socio-éducatif. On voit des jeunes ouverts sur la question et qui s’interrogent. Mais tout cela reste très fragile par le conservatisme des traditions, de la culture, de l’éducation et des religions. On m’a déjà dit : « Ma tradition m’interdit d’être homosexuel, je ne peux même pas imaginer avoir un gamin homosexuel. » C’est quelque chose qui revient en force et c’est inquiétant. On devait mener des actions avec la FFF pour former des éducateurs, des arbitres… J’ai rencontré le président de la République, Emmanuel Macron, très à l’aise avec le sujet. Quand il dit qu’il faut aller chasser l’homophobie dans le sport et dans les stades, c’est génial. Mais qui fait quoi, avec quels moyens, et comment ? Mis à part la LFP qui bouge, il suffit de regarder l’inaction de la FFF et des ministres. Que fait Isabelle Lonvis-Rome, la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes ? Que fait Marlène Schiappa auprès des associations ? Les prises de position d’Amélie Oudea-Castera sont à l’opposé de celles des deux ministres précédentes, Roxana Maracineanu et Laura Flessel. Ce qui m’inquiète, c’est que la population avance pendant que les volontés politiques reculent, on n’y comprend plus rien.
Propos recueillis par Clément Gavard