- Un jour, un transfert
- Épisode 33
Yoann Gourcuff à l’OL : un mariage de déraison
Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. Pour ce 33e épisode, place au transfert de l'été 2010 dans l'Hexagone. Celui de Yoann Gourcuff, 24 ans et promis à un avenir radieux au moment de passer des Girondins de Bordeaux à l'Olympique lyonnais. Un mariage qui aura duré cinq ans, sans trop de frissons et avec de nombreuses déceptions.
Un an après le départ de la légende Juninho, l’Olympique lyonnais profite de l’été 2010 pour partir à la recherche d’une nouvelle idole, capable de transcender les foules et de permettre au club rhodanien de retrouver sa couronne de roi de France, laissée ces deux dernières années aux rivaux bordelais et marseillais. Quelques mois après avoir disputé sa première demi-finale de Ligue des champions (perdue contre le Bayern), l’OL a encore des arguments solides pour séduire les meilleurs joueurs de l’Hexagone. Jean-Michel Aulas, lui, a une idée et surtout une grande envie que ce gros coup soit Yoann Gourcuff, 24 ans et incontournable en Ligue 1 depuis deux ans sous le maillot des Girondins de Bordeaux. Bingo : le 23 août, l’international français pose ses valises dans la capitale des Gaules pour ce qui ressemble au transfert de l’été après une opération séduction intense, menée aussi par Hugo Lloris et Jérémy Toulalan, tous les deux proches du milieu. Le coût est estimé à 26 millions d’euros, bonus compris, ce qui fait de lui le deuxième joueur le plus cher de l’histoire de Lyon derrière Lisandro López, arrivé un an plus tôt. « L’investissement sur Yoann est un investissement à moyen et long termes qui a en premier lieu pour objectif d’essayer de gagner la Ligue des champions dans la période qui nous reste avant la construction du stade », assume sans sourciller Aulas au moment de faire les présentations à la presse. Le club phare de la dernière décennie ne pouvait pas passer à côté du joueur de celle à venir. « On voyait ça aussi comme le fait de piquer le meilleur joueur de Bordeaux qui était un concurrent au classement, explique Rémy Vercoutre, Gone de 2002 à 2014. On avait affaibli un rival pour le titre et on se renforçait, c’était parfait. »
Une rock star à Gerland
Le mariage entre le meilleur joueur de la saison 2008-2009 et le club sacré sept fois champion de France dans les années 2000 ne pouvait pas commencer autrement que par une cérémonie grandiloquente. Le 25 août, l’OL donne rendez-vous à ses supporters à Gerland pour la traditionnelle présentation de l’équipe, et surtout pour accueillir le Breton dans son nouveau jardin, Aulas souhaitant un show « à la Barcelone ». « Je m’en souviens très bien, le club avait voulu marquer le coup, se rappelle Aly Cissokho. C’était spécial, c’était un accueil en grande pompe pour un grand joueur. » Après avoir introduit Cris, Miralem Pjanić, Ederson, Bafétimbi Gomis et compagnie, le speaker annonce le nom de Yoann Gourcuff, qui déboule au milieu d’une haie d’honneur composée de jeunes fans et sous les hurlements d’un public comblé de pouvoir admirer l’artiste sous la tunique lyonnaise. « Ils étaient beaucoup plus que 15 000, il avait même fallu ouvrir une tribune supplémentaire », rembobine Rémy Vercoutre.
La doublure d’Hugo Lloris n’avait jamais vu un tel engouement pour une recrue, et se dit maintenant, avec le recul, qu’il aurait peut-être fallu procéder autrement pour le bien de l’ancien Girondin : « Je crois qu’il l’avait mal vécu. Il était plutôt gêné de tout ça. Je ne suis pas sûr que ça l’ait aidé. À l’époque, tout le monde trouvait ça logique vu l’ampleur du transfert. Mais on ne connaissait pas Yoann, on ne savait pas qu’il n’était pas à l’aise avec tout ça. » Des années plus tard, lors d’une interview diffusée sur France 2, le principal intéressé confirme ce malaise face à cet accueil digne d’une rock star internationale : « Ce n’était pas vraiment moi, ça ne me ressemble pas. J’ai plus subi les choses, je n’ai pas choisi que ça se passe comme ça. C’est sûr que j’aurais préféré que ce soit plus discret et que ça corresponde à ce que je suis. Ça me gêne plus que ça ne me fait plaisir d’être surexposé. »
Le corps et l’esprit
Ce décalage entre les rêves de paillettes de l’institution OL et la quête d’une vie normale de Yoann Gourcuff est peut-être l’une des raisons de l’échec d’une relation qui aura duré cinq années. Quelques semaines après l’épisode douloureux de Knysna à la Coupe du monde 2010, un tas de rumeurs circulent sur l’introverti breton, qui serait incapable de se fondre dans un vestiaire. « Ça lui arrivait de sortir avec nous. Quand il débarquait en ville, c’était un peu un membre des Beatles, donc on essayait de le protéger pour qu’il soit à l’aise en se trouvant un coin discret. Puis, Yoann, quand il est avec des copains, ce n’était pas le dernier à boire une bière ou à déconner, c’était cool », pose Vercoutre. Aly Cissokho décrit tout de même un garçon « discret », mais garde aussi un bon souvenir du bonhomme. Le numéro 29 — choisi en référence au Finistère — n’a jamais caché sa gêne face au football business et sa difficulté à adopter les codes d’un milieu toujours plus individualiste au fil des années. « Cela peut poser des soucis dans le mode de fonctionnement d’un vestiaire où des égos essaient de briller. Ce qui est différent ne plaît pas toujours : il n’arrivait pas avec la plus belle montre, la plus belle voiture, les plus beaux vêtements, il était très normal, analyse Vercoutre. C’est peut-être ce qui a pu faire bizarre chez nous. Dans le foot, il y a beaucoup de mecs qui ne pensent qu’à leur gueule. Yoann préfère penser collectif plutôt que statistiques. »
La personnalité est une chose, le corps en est une autre. Au moment de s’installer à Lyon, Gourcuff est une star du championnat de France, et le milieu de 24 ans est promis à un avenir radieux. En plus d’être beau à voir jouer, le meneur de jeu est efficace et semble avoir appris de son passage à l’AC Milan, comme il l’a démontré en Gironde (24 buts et 27 passes décisives en deux saisons). Mais son aventure à l’OL aura été davantage marqué par des blessures à répétition que par une ribambelle d’exploits sportifs. La liste est longue, trop longue, pour celui qui a cumulé une vingtaine de pépins en un quinquennat lyonnais : une fissure au tendon, une blessure à la malléole, d’autres aux genoux, une déchirure des adducteurs, des problèmes au dos, etc. « Ces blessures lui ont miné le moral, pense Cissokho. Et pourtant, ça restait un très grand professionnel. Il était toujours en train de bosser à la gym, il arrivait avant tout le monde, il repartait plus tard. Mais c’était dur pour lui de revenir après l’accumulation de pépins. » Un enchaînement de tuiles provoquant des critiques incessantes sur le joueur jugé trop fragile, en mousse, et trop à l’écoute de son corps par les médias et des supporters lassés. « Il voulait que tout soit réglé pour être le plus performant possible, on a tous une relation à la douleur différente, estime Vercoutre. Il ne supportait pas de ne pas pouvoir jouer en étant à 100% de ses moyens, alors que d’autres auraient tenu leur place en étant seulement à 50%. On a peut-être aussi été un peu trop brutal autour de lui, même si lui comme le club ont fait le maximum pour que cela marche. »
Fulgurances et échecs multiples
Le constat d’échec est pourtant rapidement devenu inéluctable. En cinq ans passés sous le maillot rhodanien, Gourcuff a disputé près de 50% des rencontres possibles (128 sur 258), sans que ses prestations et ses statistiques (19 buts, 29 passes décisives) n’aient été à la hauteur des attentes liées à son grand talent. Aucun de ses entraîneurs à Lyon (Claude Puel, Rémi Garde et Hubert Fournier) n’ont trouvé la solution pour qu’il ne retrouve son niveau bordelais. Il y a eu quelques beaux moments, trop rares, comme ce centre décisif sur la tête de Jimmy Briand pour battre le rival Saint-Étienne à la 93e minute, à Geoffroy-Guichard, en novembre 2013 ( « on était tellement contents pour lui », dit Vercoutre), ou encore ce but somptueux et gourcuffien contre l’OM un soir d’octobre 2014. « L’attente était certainement trop grande, assumera Gourcuff dans Ouest-France plus de trois ans après son départ. Je suis un joueur qui s’inscrit dans un collectif, alors que l’on attendait peut-être de moi que je résolve des problèmes. J’ai fait ce que j’ai pu, je me suis donné à fond. Il y avait un environnement qui n’était pas favorable. (…) Lyon est un grand club, avec un grand président, même si on a parfois été en désaccord. »
Le président, justement, qui a toujours adopté la méthode Coué en public, défendant même son protégé après sa dernière apparition à l’OL en mars 2015, lors d’un match face à Nice, quand le milieu quitte de manière inopinée la pelouse en cours de seconde période, provoquant au passage une ultime polémique. La prolongation de la star d’antan était devenue impossible tant son salaire était encombrant pour les caisses de l’OL (450 000 euros mensuel), et Jean-Michel Aulas a fini par donner le fond de sa pensée dix jours à peine après la fin du bail du Breton, en juillet 2015, sur RMC : « J’ai joué le rôle du président qui croit en l’homme et dans le footballeur. C’est un constat d’échec sur la performance sportive et sur la relation, elle n’a souvent été que dans un sens. Pour moi, c’est un échec personnel et surtout relationnel. J’ai soutenu de toutes mes forces un garçon. Mes frustrations en disent peut-être plus que des attaques qui n’auraient pas lieu d’être. J’ai connu d’autres échecs avant. » Celui-ci aura été particulièrement marquant dans l’histoire récente de l’Olympique lyonnais.
Par Clément Gavard
Propos de Rémy Vercoutre et d'Aly Cissokho recueillis par CG