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Yoann Court : « Je ne sais pas défendre debout »
Auteur d’un doublé contre Lyon, son club formateur, lors du dernier match disputé à Francis-Le Blé, Yoann Court (29 ans) est l’homme en forme du début de saison d’un Stade brestois qui peine à transformer en points ses bonnes intentions. Avant la réception de Metz, l’ailier breton raconte sa réputation de tacleur fou, son retour en Ligue 1 et sa maladie.
Il paraît que tu es surnommé « Looping ». C’est quoi cette histoire ?C’est Michel Padovani (qui a suivi Jean-Marc Furlan à Auxerre, N.D.L.R.) qui a commencé à m’appeler comme ça la saison dernière. Il n’arrêtait pas de dire que j’étais fou et que je lui faisais penser au mec de l’Agence tous risques, donc c’est resté. (Rires.)
Pourquoi ?Parce que je ne fais que tacler, tout le temps !
Justement, si on regarde les stats, tu es le joueur du Stade brestois qui tacle le plus par match (2,8 tacles/match en moyenne depuis le début de saison) alors que tu es ailier droit. Quand il était entraîneur à Brest, Furlan s’amusait même à parier sur le moment où tu ferais ton premier tacle. Ça vient d’où cet amour de la faucheuse ?J’ai toujours été comme ça en fait… Ça s’explique simplement : je ne sais pas défendre debout. Du coup, souvent, je me jette. Je ne sais pas faire autrement et c’est vrai que parfois, ce n’est pas trop maîtrisé. C’est évidemment quelque chose dont on parle avec le nouveau coach, Olivier Dall’Oglio, qui nous demande de faire beaucoup d’efforts sur les ailes. Il ne m’interdit pas de tacler, mais il essaie de m’apprendre à davantage travailler en « recul frein » , histoire d’éviter de créer des décalages pour l’adversaire.
Après le match contre Lyon, il est surtout venu te demander de ne pas te mettre de limites. On a l’impression qu’il cherche à
faire sauter les barrières mentales que tu t’étais fixées. C’est comme ça que tu le ressens aussi ? Oui, bien sûr. Lorsqu’il est arrivé, on a discuté de ça, des limites que je pensais avoir, et lui m’a dit qu’il pensait être capable de me faire franchir un palier cette saison. D’entrée, il m’a demandé d’avoir confiance en moi, en mes capacités, il m’a dit que j’étais un joueur de Ligue 1 à ses yeux et, forcément, quand tu es joueur, ça te touche. Le résultat de tout ça, c’est ce match contre Lyon, où je ne me suis pas trop posé de questions, où j’ai frappé, marqué… Le coach veut que j’arrête de réfléchir en fait.
Ça se passait comment dans ta tête, avant ?Je ne suis pas encore totalement soigné. (Rires.) Mais quand je rate une passe ou une occasion, j’ai tendance à ne retenir que ça et à ruminer. Peu importe si je fais un bon match dans l’ensemble, je ne retiens que le mauvais.
Tu étais reparti de ta première saison de Ligue 1 il y a trois ans avec un bilan pas simple à digérer : aucun but, aucune passe décisive, une place de 20e avec Troyes, lors d’une saison où vous aviez encaissé 83 buts… Au fond de toi, tu pensais encore être un joueur capable de briller en Ligue 1 ? Je ne savais pas, j’étais curieux, mais avec Troyes, ça n’a pas été simple à vivre. On a connu un début de saison très compliqué (aucune victoire avant la 22e journée, N.D.L.R) et ma situation n’étais pas hyper stable : je jouais, je ne jouais plus, je jouais, je ne jouais plus… Le coach Furlan est parti en décembre. Bref, c’était très dur, je me suis posé pas mal de questions et je suis reparti en Ligue 2 pour travailler. Là, c’est différent. Je pense qu’on a une meilleure équipe avec Brest qu’avec Troyes en 2015-2016 et le contexte est plus favorable. Il suffit juste de venir à Francis-Le Blé pour voir que tout va bien chez nous.
Qu’est-ce que tu as trouvé à Brest que tu n’avais pas trouvé ailleurs ?L’équipe est tellement portée par ses supporters ici que tu es obligé de te défoncer. Honnêtement, si on en est là, qu’on n’a toujours pas perdu à domicile cette saison, qu’on n’a connu que deux défaites à Francis-Le Blé la saison dernière, c’est en partie grâce à eux. Ils nous poussent, même quand on perd, donc c’est forcément un plus. Je me sens bien ici, vraiment, et même quand on marche dans la rue, on se rend compte que quelque chose se passe, que les gens s’intéressent à nous, qu’ils veulent absolument qu’on reste en Ligue 1.
Est-ce que tu as été surpris par la Ligue 1 que tu as retrouvée ?Non, elle n’a pas changé. Avec Troyes, on faisait des erreurs et on était directement sanctionnés. Avec Brest, c’est pareil. C’est la grande différence entre la Ligue 2 et la Ligue 1 : tu n’as quasiment aucune marge d’erreur. Là, les mecs ratent très peu devant le but, tu n’as absolument pas le droit de perdre un ballon au milieu de terrain… En Ligue 2, ça va quand même moins vite vers l’avant, et les équipes sont moins efficaces dans les deux surfaces. Je me rappelle un match contre Lens l’année dernière à domicile, où on se fait bouger pendant une demi-heure, ils ne marquent pas, et finalement, on arrive à s’en sortir. En Ligue 1, c’est impossible. Si tu laisses un espace, tu te fais allumer. On l’a vu à Nîmes (3-0), à Monaco (4-1)…
Quelque chose qui n’a pas changé entre la saison dernière et cette saison, c’est l’approche stylistique du Stade brestois, malgré le changement d’entraîneur. Comment tu as vécu cette transition ?Je ne vais pas te mentir, j’étais venu à Brest en partie pour rejouer sous les ordres de Jean-Marc Furlan, qui ne vit que pour jouer. Avec Olivier Dall’Oglio, c’est pareil. Balancer, de toute manière, on ne sait pas faire. On ne sait que jouer au foot et si on
arrive à se maintenir, ça sera par le jeu. Moi, j’aime le foot, donc automatiquement, je me retrouve là-dedans. Je ne suis pas un tricheur, je suis incapable de faire semblant : si je ne me retrouve pas dans un projet de jeu, je peux partir. À Brest, j’ai retrouvé un football de possession, des joueurs animés par le plaisir, des schémas de jeu réfléchis, et moi ça me va, parce qu’en plus je n’ai pas le gabarit pour uniquement jouer les duels.
Tu dis souvent cette phrase : « Je ne suis pas un tricheur. » Tu en as croisé beaucoup dans ta carrière des tricheurs ? J’en ai connu pas mal, oui ! Des mecs qui s’économisaient, des joueurs qui marquaient, savaient qu’ils seraient donc automatiquement titulaires le week-end suivant et ne se donnaient pas à fond, qui allaient toujours aux soins… Chacun est comme il est, mais moi, j’ai galéré, je sais d’où je viens et je ne peux pas me permettre de faire semblant. En plus, j’ai mon diabète, qui me fait encore plus avancer. Si je me bats aujourd’hui, c’est parce que j’aime le foot, mais aussi pour ma maladie. J’ai failli arrêter le foot à cause de ça, donc être toujours en Ligue 1, à 29 ans, c’est une fierté.
Tu as été diagnostiqué il y a maintenant sept ans. Est-ce que ton rapport avec la maladie a évolué ?J’en ai pas mal parlé au début parce qu’on me posait des questions. Ça n’est pas une honte pour moi d’être diabétique, c’est simplement une maladie qu’il faut savoir gérer et on le fait très bien avec le staff médical. Je sais que ma carrière peut se terminer si je fais n’importe quoi, donc c’est à moi d’être intelligent. C’est aussi un mal pour un bien parce que je mange mieux, je bois plus d’eau… C’est une routine : je dois faire attention à avoir mon matériel en permanence sur moi, je contrôle ma glycémie, je me pique après chaque repas… Quand on joue le samedi, je me fais ma piqûre à 16h30, au moment de la collation. Et si, à 19h45, je vois que ma glycémie est trop importante, je me refais une piqûre en vitesse. Généralement, je suis toujours bien parce que je mange toujours la même chose un jour de match : des pâtes, une omelette… C’est toujours pareil. Le seul truc qui change, c’est l’horaire du match.
Du coup, tu ne t’autorises aucun excès ? Après ton doublé contre Lyon, Mathias Autret t’a demandé de payer les pizzas…(Rires.) Oui, après un match, je peux me permettre de manger une pizza ! C’est pas très grave. Je peux me permettre de décompresser pendant un repas ou deux, mais pas plus quoi !
Comment tu l’as vécu ce match contre Lyon, qui est ton club formateur et d’où tu es parti parce que Claude Puel ne croyait pas en toi ?Déjà, je voulais être titulaire, ce que j’ai été. Ensuite, bien, parce que si j’en suis là, c’est aussi grâce à l’OL, j’y suis quand même resté cinq ans, c’est là-bas que j’ai beaucoup appris au niveau technique, tactique, mental… Surtout, si tu n’es pas motivé pour jouer Lyon, quand est-ce que tu seras motivé ? Tu joues contre une équipe qui joue la Ligue des champions, tu dois te lâcher. C’est ce qu’on a tous fait et moi, j’ai eu la chance de marquer ce doublé. Le premier but, c’est un drôle de centre tir, que Charbo (Gäetan Charbonnier) ne touche pas, donc merci à lui ! (Rires.) Et le second, j’ai juste tenté et c’est rentré. Forcément, beaucoup d’émotions, surtout qu’il y avait ma famille, c’est le but du 2-2, ce n’est pas rien et ça prouve aussi qu’on ne sera pas simple à battre.
Vous pensiez être capables d’une telle performance ?Bien sûr, surtout que c’était un match en semaine, qu’ils venaient de jouer le PSG… En voyant les compos, j’ai aussi vu que Depay, Aouar et Reine-Adelaïde étaient sur le banc. Puis, sur le terrain, on a rapidement senti que ce n’était pas le grand Lyon, que certains joueurs n’étaient pas à leur meilleur niveau. Finalement, on fait 2-2, on les a bougés, mais on a presque des regrets sur ce match, même si on aurait signé pour un 0-0 au début du match. On a pris deux buts sur deux erreurs bêtes. Mais c’est le risque quand tu veux trop jouer, aussi. On sait qu’on fera d’autres erreurs, mais il faut en faire le moins possible.
Tu as discuté un peu avec ton pote Anthony Lopes ?Avant le match, je lui ai dit : « Laisse-moi marquer s’il te plaît. » (Rires.) On a été formés ensemble, je sais que c’est un bon gars, un grand gardien. Il a pris deux buts, ça arrive, mais à la fin, il était un peu énervé, donc on n’a pas trop discuté du doublé. Je lui ai juste souhaité une bonne saison.
Justement, la tienne commence bien : deux buts, trois passes décisives. C’est quelque chose qui compte pour toi ? Je n’y prête pas trop attention en réalité. Mon objectif, c’est d’être titulaire, que le collectif tourne bien, aider l’équipe et si
je peux faire marquer mon collègue, je suis aussi content. Un but, une passe décisive, c’est bien pour le moral, mais ça passe bien après trois points.
Gaëtan Charbonnier n’est pas trop jaloux ?Je préfère le faire marquer ! (Rires.) Si j’ai un deux-contre-un à jouer avec lui, je préfère le voir finir le mouvement. Il le sait : à Monaco, on a eu une occasion comme ça et j’ai essayé de le trouver. Bon, j’ai raté ma passe, mais c’est toujours Charbo d’abord.
Qu’est-ce que Dall’Oglio te demande concrètement ?Il voulait que je joue comme la fin de saison dernière et que j’aie des stats. Il souhaitait que je me libère, que j’apporte ma générosité au service du collectif, il connaissait mon profil et il savait déjà que j’étais capable de faire des efforts, toujours. Sa consigne a été simple : fais-toi plaisir avec le ballon. Avant, j’oubliais cette notion, je me concentrais sur le négatif, comme je t’expliquais.
Tu revois tes matchs ?Pas en entier, mais je revois des séquences, oui. La veille du match, je regarde des vidéos de l’adversaire aussi. C’est important, comme ça, j’arrive armé sur le terrain.
En juin dernier, tu t’es retrouvé au milieu d’une drôle d’embrouille entre ton agent et Grégory Lorenzi, le directeur sportif du Stade brestois. Il paraît que tu avais reçu une offre de Turquie, de Kayserispor. Tu as vraiment pensé à partir ?Il y a eu une incompréhension et ça a mis le feu aux poudres, oui. J’ai bien reçu une offre, mais je n’avais pas pris de décision. Je suis bien à Brest, je voulais rester. Cette histoire a juste pris une ampleur qu’il ne fallait pas. On a dit que je voulais partir à tout prix, mais ce n’était pas le cas, pas du tout.
Propos recueillis par Maxime Brigand