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Yoann Blin : « Il y a deux mois, les policiers gazaient les infirmiers qui faisaient grève »

Propos recueillis par Théo Denmat
8 minutes
Yoann Blin : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Il y a deux mois, les policiers gazaient les infirmiers qui faisaient grève<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Par chance, il y avait échappé à la faveur d’un congé paternité. Mais Yoann Blin, gardien de l’ESM Gonfreville et infirmier au Centre de convalescence La Roseraie, au Havre, est retourné au travail cette semaine, au milieu des personnes âgées et d’un personnel hospitalier un peu paumé. Le 16 janvier dernier, nous interviewions Yohann Blin avant un 16e de finale de Coupe de France entre Gonfreville et Lille. Deux mois plus tard, il était nécessaire de prendre de ses nouvelles. Par SMS, il prévient : « Comme prévu, c’est la merde ».

Avant tout : bravo, tu es papa !Eh oui, je suis papa ! Elle s’appelle Louise, elle a trois semaines. L’accouchement s’est fait par césarienne, donc ça s’est super bien passé. La maman va bien, la petite aussi, tout le monde. Bon, du coup le confinement, moi ça ne me change rien. Ça fait un mois que je suis enfermé à la maternité ou à la maison à m’occuper de ma fille. Je vais au travail, je rentre chez moi, et voilà. Elle est trop jeune pour les balades en poussettes, donc on lui fait prendre l’air dans le jardin en la couvrant bien. Donc que le confinement soit prolongé de deux semaines ou d’un mois… franchement, ça ne me change rien.

Sur Twitter, on voit que tu passes des nuits courtes…Il y a eu des nuits compliquées. (Rires.) Mais là, ça va mieux, elle ne se réveille qu’une fois par nuit, c’est pas trop mal.

Tu as repris le travail mercredi et jeudi après ton congé paternité, comment tu as vécu ces deux jours de boulot ?C’est un peu la crise. Je pensais que certaines mesures seraient prises et on se rend compte qu’on est livrés à nous-mêmes.

Ça fait bizarre de laver son masque au savon. Honnêtement, on se sent un peu pris pour des imbéciles.

Les protections, tiens : moi, j’ai travaillé avec le même masque pendant 48h. Apparemment, un conseil de médecins a dit qu’on pouvait laver les petits masques chirurgicaux, bleu ou vert pour la plupart. Alors là, on nous a demandé de faire notre quart avec le nôtre, puis de le laver à l’eau et au savon le soir et de le laisser sécher dans notre casier pour le reprendre le lendemain. Bon… Hier soir en regardant les infos avec ma femme, on a vu le médecin Philippe Juvin (chef des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou depuis 2012 et maire LR de La Garenne-Colombes) qui confirmait que les masques n’étaient valables que trois heures. Ensuite, il faut les jeter. C’est sûrement parce que l’on en manque et qu’il faut trouver un moyen de les économiser, mais ça fait bizarre de laver son masque au savon. Honnêtement, on se sent un peu pris pour des imbéciles.

Ambiance étrange au travail ?(Il souffle.) À La Roseraie, ça ne nous change pas grand-chose. Pour l’instant, on n’a pas de cas de contaminés. On a quelques entrées, mais qui n’ont pas l’air de l’avoir attrapé. Pour l’instant, hein… L’avantage, c’est qu’il n’y a plus le va-et-vient d’avant avec les ambulanciers. Seuls deux ou trois rendez-vous très importants sont gardés, le strict minimum. Mais les consultations orthopédiques, les ophtalmos, dentistes… Tout ce qui n’est pas urgent est annulé. Là-dessus, les mesures sont mieux respectées.

Dans l’exercice de ton travail, c’est possible de préserver un mètre de distance avec tout le monde ?C’est impossible. On est trois aide-soignants et deux infirmiers, on ne fait que se croiser toute la journée, rentrer et sortir des chambres…

J’ai des patients à qui je dois donner des médicaments, les piquer, leur faire des pansements. Ils ne se rendent pas compte que les mesures concernant la distanciation sociale sont bonnes pour aller faire ses courses, mais elle perdent tout leur sens dans un centre comme le nôtre.

J’ai des patients à qui je dois donner des médicaments, les piquer, leur faire des pansements. Ils ne se rendent pas compte que les mesures concernant la distanciation sociale sont bonnes pour aller faire ses courses, mais elle perdent tout leur sens dans un centre comme le nôtre. La direction veut même qu’on « pause » séparément, et qu’on mange à un mètre de distance les uns des autres. Dans la salle à manger, on a installé une table de quatre mètres, alors qu’on est trois à manger. Ça fait très banquet en château, c’est spécial.

En maison de retraite, les visites sont interdites. Est-ce que c’est aussi le cas en centre de convalescence ? La seule chose qu’on autorise, c’est que les familles viennent déposer du linge propre. Nous, le linge sale, on le rend dans des sacs spéciaux, et on garde le linge propre en quarantaine pendant 24h. On ne le donne que le lendemain aux résidents.

Et c’est utile ?Je ne sais pas, mais au moins, il y a une mesure qui a été prise. C’est peut-être pour se donner bonne conscience… Apparemment, le virus resterait quelques heures actif sur des objets. (Les études sur le sujet varient énormément, de deux à quatre jours sur le plastique pour cette étude américaine, jusqu’à neuf jours pour celle-ci, anglaise, N.D.L.R.)

Pardon, mais vous avez l’air assez mal informés sur la situation… Vous ne savez même pas si ce que vous faites est utile ou pas.Nous, on n’est pas trop au courant. Malheureusement, on ne connaît pas grand-chose sur ce virus, il reste assez récent. On en apprend tous les jours, donc on prend des mesures par rapport aux autres virus que l’on connaît. Je ne dirais pas que les mesures sont prises au hasard, mais c’est un peu : « Faisons avec ce qu’on sait et on verra plus tard si ça fonctionne. »

Comment réagissent les patients aux absences de visites ?Il y en a qui sont totalement au courant de ce qui se passe, qui ont peur pour leur santé et qui comprennent tout à fait. Et d’autres qui ne veulent pas accepter, qui ne comprennent pas, qui ne se rendent pas compte. Et enfin ceux qui n’ont malheureusement plus leur tête et qui ne se rendent compte de rien.

Tu nous disais il y a deux mois que tu étais un peu lassé de ton travail. Là, tu te retrouves dans la sauce…Je me retrouve dans la sauce et je suis encore plus dégoûté. On est vraiment mis de côté. Je suis toujours en contact avec d’anciennes collègues dont les maris, qui bossent chez Total et EDF, ont une boîte de masques chacun et s’étonnent que ce ne soit pas notre cas.

Donc ça nous applaudit à 20h, super, moi je trouve ça bien. Mais ceux qui applaudissent sont les mêmes qui votent pour ceux qui ne nous écoutent pas.

Quand on voit les mesures qui sont prises par le gouvernement… Il y a deux mois, les policiers et les gendarmes gazaient les infirmiers qui faisaient grève. Mais pour nous trouver quand c’est la crise, là il y a du monde. Donc ça nous applaudit à 20h, super, moi je trouve ça bien. Mais ceux qui applaudissent sont les mêmes qui votent pour ceux qui ne nous écoutent pas. Moi, ce qui me choque, c’est de ne pas entendre le cri d’alarme des hôpitaux, des infirmiers, aide-soignants, médecins quand « tout roule » . Et là, quand il y a un virus, soudainement on débloque des fonds. On a vraiment l’impression qu’on se fout de notre gueule. Ça me dégoûte.

Et tu n’as bossé que deux jours.Et le pire, c’est que je ne suis même pas au cœur du problème ! Au Havre, c’est le HPE (Hôpital privé de l’Estuaire) et Monod (Hôpital Jacques Monod) qui en chient. Nous, on est secondaires, donc ça va. Et je vais le faire, hein, mon travail ! Mais quand tout ça sera fini, je vais chercher dans autre chose. Franchement, c’est la goutte de trop.

Du coup, les entraînements de Gonfreville sont annulés, tu arrives à garder la forme ?Rachid (Hamzaoui, entraîneur de Gonfreville) nous a envoyé un message nous disant de nous entretenir pour une possible fin de championnat cet été, mais il faut l’avouer : je ne fais rien du tout.

Déjà que je n’aime pas le footing, alors courir en rond dans mon jardin…

C’est pas le moment de penser à ça. Pour un footballeur pro, dont le corps est un outil, c’est normal qu’il se maintienne en forme. Nous, en National 3… Je ne vais pas me maintenir en forme sans savoir si le championnat va reprendre, alors que je travaille à côté et que j’ai d’autres occupations et préoccupations. Déjà que je n’aime pas le footing, alors courir en rond dans mon jardin…

Arnaud Démare a annoncé ce matin au Parisien qu’il abandonnait ses entraînements sur home-trainer, faute d’échéances et donc de motivation. Il se fait une cure mentale pour recharger les batteries. C’est un discours qui va à contre-courant de la majorité des sportifs. Mais je le comprends tout à fait. Ce sera sûrement plus dur pour lui quand il faudra reprendre, mais ce n’est pas le moment de penser au foot et au sport. Personnellement en ce moment, je suis plus focalisé sur la santé que sur le football. Alors oui, c’est dur de ne plus s’entraîner et jouer le week-end, mais là c’est vraiment indispensable de tout stopper.

Drôle d’année pour toi, non ? La Coupe de France, la paternité, le virus…On en parlait hier avec des potes en ligne : forcément, comme j’ai pas grand-chose à faire, je joue à Fortnite et FIFA. Ça a commencé avec le décès de Nathaël Julan qui jouait avec mon frère – mes parents connaissaient les siens -, puis le lendemain on se qualifie en Coupe de France à Saint-Brieuc (le 4 janvier, 1-1, 3-4 tab). Déjà, c’était un moment bizarre. Puis on joue contre Lille devant 18 000 personnes, je deviens papa, maintenant le corona… C’est un peu une année en dents de scie pour le moment. Et ça ne fait que trois mois ! On n’est pas au bout de nos peines.

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