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Yassine Benzia : « Cet accident, c’est la plus grosse épreuve de ma vie »
Le 3 mars à Brest, Yassine Benzia (26 ans) a rejoué en Ligue 1, plus de neuf mois après avoir été gravement blessé à la main gauche lors d’un accident de buggy. L’international algérien de Dijon a subi plusieurs opérations, a été amputé du pouce gauche, et effectue un énorme travail pour surmonter ce qu’il qualifie de « plus grosse épreuve de (sa) vie. » Une épreuve qu’il a accepté de raconter, avec beaucoup de franchise et de lucidité.
Bonjour Yassine. Comment te sens-tu aujourd’hui ?Je vais très bien. J’ai pu refouler une pelouse de Ligue 1, à Brest, même si ce n’était que pour quelques minutes. J’ai pu reprendre mon métier, ma passion. Cela m’a encore plus remonté le moral. Le travail a payé.
Comment as-tu vécu cette soirée à Brest ?Normalement. J’espérais fortement entrer quelques minutes. Le coach (David Linarès) m’avait dit qu’il était possible que je joue quelques minutes. Évidemment, quand je suis entré, j’ai eu comme un flash. J’ai pensé à pas mal de choses, aux moments que j’ai traversés. Mais une fois sur le terrain, je me suis tout de suite senti bien. J’ai de bonnes sensations. J’avais repris l’entraînement le 31 décembre, j’ai beaucoup travaillé, j’avais également joué en février avec l’équipe réserve, lors d’un match amical à Nancy. Maintenant, j’espère juste enchaîner, jouer de plus en plus, car je n’ai pas encore quatre-vingt-dix minutes dans les jambes, et redevenir titulaire.
Lorsque que tu as rejoué, as-tu eu du mal à retrouver certains repères ?Non, pas du tout. J’ai fait du foot toute ma vie. C’est comme le vélo, ça ne se perd pas. Que ce soit à l’entraînement, ou lors des deux matchs que j’ai disputés, je n’ai ressenti aucune régression.
Ni appréhension, ne serait-ce que pour ton bras gauche ? Pas particulièrement. Lorsque je joue, je ne pense pas à ma main. J’ai une protection au bras quand je suis sur le terrain, et je pense qu’il faudra que je la garde longtemps. Quand j’ai repris l’entraînement collectif, au début, c’était plus des jeux, de la course, il n’y avait pas trop de contacts. Puis, lors des premières oppositions, mes coéquipiers faisaient peut-être un peu plus attention dans les duels, il y avait de la retenue, mais aujourd’hui, je m’entraîne normalement. J’ai eu un grave accident, je dois vivre avec, mais je considère qu’il faut avancer. Et chaque match que je jouerai sera un pas en avant.
Revenons sur cet accident du mois de mai. Un accident de buggy, dans la campagne côte-d’orienne, juste après la fin du confinement, qui tourne au drame. Tu as perdu un doigt, subi onze opérations, des greffes de peau…C’est la plus grosse épreuve de ma vie. C’est le destin, et le destin, j’y crois beaucoup. J’ai eu cet accident, avec ce buggy que j’avais acheté peu de temps avant. Je faisais une balade avec des proches. Il y a eu un virage mal maîtrisé, le buggy s’est renversé, et en voyant ma main, j’ai tout de suite compris que c’était grave. La douleur était très forte. J’ai été emmené au CHU de Dijon. J’ai été opéré, et je me souviens encore des douleurs. C’était terrible, insupportable. Je n’ai jamais eu aussi mal de toute ma vie. J’étais sous morphine, mais malgré cela, j’avais mal. Une douleur horrible. Je suis resté un mois et demi à l’hôpital. C’est long, très long. D’autant plus qu’à cause de la crise sanitaire, j’avais droit à très peu de visites. Heureusement que ma femme était là, tous les jours, pour me soutenir. La douleur était toujours là, et moi, je me sentais coupable…
Pourquoi ?J’avais l’impression d’être un fardeau. Pour ma famille, pour mes amis, pour qui je devenais un motif d’inquiétude. Pour mon club, le DFCO, qui avait fait des efforts pour me recruter, en janvier 2020, et qui comptait sur moi. Oui, je me suis senti coupable.
As-tu ressenti le besoin d’en parler à d’autres personnes qu’à celles de ton proche entourage ?Oui. Quand j’étais à l’hôpital, j’ai demandé à rencontrer une psychologue, j’ai un peu échangé avec elle, à une seule occasion. Mais heureusement, je suis très bien entouré. Ma famille, mes amis sont très présents pour moi.
As-tu craint de ne jamais pouvoir rejouer au football ?Non. J’ai toujours su que j’allais rejouer. Le foot, c’est ma passion, mon métier. J’ai relativisé, en me disant : « Ce n’est qu’une main… » Je ne suis pas basketteur ou handballeur, ma blessure est grave, mais j’ai toujours su que j’allais rejouer. Je savais aussi que ça allait être long.
As-tu été rassuré par le personnel médical ?À Dijon, on m’a dit que je ne rejouerai pas cette saison. Moralement, ça a été dur d’entendre cela. Mais je voulais y croire, et après être sorti du CHU de Dijon, je me suis rendu à Lille, où j’ai vu un médecin, le docteur Guillaume Wavreille, qui m’a donné des échéances et des dates, pour que je puisse rejouer. Cela m’a fait beaucoup de bien d’entendre cela. Il a sauvé ma main. Mais je savais que ça allait prendre du temps. Après l’accident, je suis resté plusieurs mois sans activité physique, c’était la première fois que cela m’arrivait. J’ai travaillé avec un préparateur physique, afin de pouvoir retrouver une vraie condition. Il y a ce que je fais en club, mais aussi en dehors. Je sais qu’il faut que je travaille beaucoup pour espérer enchaîner les matchs. Que je sois encore plus exigeant sur la récupération, par exemple.
Tu as été amputé du pouce gauche. Y-a-t-il des choses que tu ne peux pas encore faire ?Oui. Je ne peux pas faire mes lacets, je ne peux pas porter des choses avec ma main gauche. C’est handicapant, mais je fais des séances de kiné tous les jours, du lundi au samedi, pour retrouver davantage de mobilité. Je progresse tous les jours. Et puis, je suis droitier, ce n’est pas ma main forte.
Quand tu as couru pour la première fois après cet accident, as-tu ressenti un déséquilibre, à cause de l’amputation de ton pouce gauche ?Non. Quand j’ai commencé à recourir, j’ai ressenti une douleur dans la main gauche, ce qui est normal, mais aucun déséquilibre, aucune difficulté à courir en raison de cette amputation.
As-tu reçu de nombreuses marques de soutien de la part du milieu du football, depuis cet accident ?J’ai reçu beaucoup de messages de sympathie, de soutien, des gens qui voulaient avoir de mes nouvelles. Cela m’a fait beaucoup de bien. J’ai été beaucoup soutenu par le DFCO.
Tes coéquipiers te posent-ils des questions sur ton accident et ta blessure ?Très peu. J’ai l’impression qu’ils n’osent pas me demander, qu’ils ont peur de m’embêter. Que ça les bloque de parler de tout cela, ce que je peux comprendre. Mais moi, je n’ai aucun tabou sur ce qui m’est arrivé, je réponds à toutes les questions !
Propos recueillis par Alexis Billebault