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Yannis Salibur : « Connaître un entraîneur humainement, c’est très important »
Yannis Salibur, ancienne pépite du centre de formation lillois, s’éclate aujourd’hui à Guingamp, après un passage par la Ligue 2. Un mec qui n’a plus envie de regarder dans le rétroviseur, et préfère savourer l’instant présent.
La saison dernière, Guingamp terminait 16e du championnat avec tout juste le nombre de points pour se maintenir. Et cette saison, avec un effectif similaire, vous oscillez entre la 5e et la 8e place. Qu’est-ce qui a changé ? C’est un nouveau cycle. On arrive plus à emballer les matchs. Quelques joueurs cadres sont partis, on a eu quelques doutes, mais ceux qui sont arrivés se sont bien fondus dans l’effectif et nous apportent beaucoup. Il y a aussi un nouvel entraîneur. On a bien commencé, on a fait une bonne première partie de saison, ce qui nous a permis d’être bien classés. La deuxième partie est pour l’instant plus délicate, mais il n’y pas de doutes, parce qu’on sait ce qu’on sait faire. Il y a de bonnes bases, on va bientôt recommencer à gagner des matchs.
Tu me parles d’Antoine Kombouaré. Qu’est-ce qu’il a apporté de nouveau dans sa méthode ?Je n’aime pas trop comparer les coachs, ce n’est pas mon truc. Chacun sa méthode. Avec Jocelyn Gourvennec, ce sont deux coachs différents. Et Gourvennec fait du très bon boulot à Bordeaux, comme Kombouaré fait du très bon boulot à Guingamp. J’ai une très bonne relation avec lui, que ce soit sportivement ou humainement.
Il y a pas mal de matchs où vous étiez malmenés en première mi-temps et où vous revenez avec un visage complètement différent après la pause, comme lors de la victoire 3-1 contre Lyon.C’est vrai. Et l’exemple de Lyon est parlant, parce que franchement, il suffisait juste d’un changement d’état d’esprit. On était menés à la mi-temps, et je me souviens que l’entraîneur nous a bougés et nous a dit qu’il fallait aller les chercher, les harceler. Il a su trouver les mots parce qu’à peine de retour sur le terrain, on presse très fort d’entrée, on provoque une perte de balle et on marque. On défendait en avançant, c’était parfait. De toute façon, on est bien meilleurs quand on arrive à emballer le match, car on a des joueurs qui se projettent très vite.
C’est ta deuxième saison en Ligue 1. Finalement tu es arrivé tard au plus haut niveau. Tu as douté à un moment ?Non, franchement jamais. Parce que je suis sûr de mes qualités. Le football, ce n’est pas forcément toujours comme on veut. J’ai joué avec des joueurs qui avaient énormément de talent et qui auraient mérité de réussir aussi. Mais j’ai toujours cru en moi, et j’espère que je vais continuer à être performant et à toujours aller plus haut.
Après tes débuts en région parisienne et ton passage à Clairefontaine, tu arrives au centre de formation de Lille. Là-bas, tu côtoies un certain Eden Hazard et il paraît que tu es considéré comme son égal en matière de talent pur.(Rires) On me le répète tout le temps, je n’y fais plus trop attention. C’est vrai que l’on était tous les deux les gros espoirs du club à l’époque, mais chacun son parcours. Comme je l’ai déjà dit, avant tout, Eden, c’est un ami proche. On a des liens amicaux très forts, on a plein de points en commun, dont la passion pour le football bien sûr. Je ne regarde pas en arrière, je suis content de ma carrière. Je ne me dis pas : « Mince, Eden est un des meilleurs joueurs du monde et pas moi. » Aujourd’hui, je suis avant tout très content pour lui, quand je le vois réussir dans des gros matchs. Je le regarde de cet œil.
Ton fils s’appelle Eden. Si ça, c’est pas une belle preuve d’amitié.(Rires) Oui c’est vrai, c’est un petit clin d’œil. Après, c’est un beau prénom, que j’aimais bien à la base.
Jean-Michel Vandamme, votre formateur, disait qu’il vous plaçait à l’opposé sur le terrain pour que vous ne jouiez pas qu’entre vous. C’est vrai ?Oui, c’est vrai. On avait un coach très rigoureux, très strict. Quand on était tout jeunes, on se comprenait vraiment bien sur le terrain, on avait la même philosophie de jeu, alors on se cherchait beaucoup. C’était super facile de jouer avec lui parce qu’il était déjà très mature dans son jeu. Du coup, il nous recadrait souvent à la mi-temps et nous disait de ne pas jouer tout le temps tous les deux sur le même côté, pour l’équilibre de l’équipe. Alors il nous séparait sur le terrain.
Tu as signé pro très tôt, à seize ans. Mais pendant qu’Eden commençait à avoir beaucoup de temps de jeu avec le LOSC, tu as dû te contenter de deux petits matchs de Coupe. Comment tu expliques ça ?Tout simplement parce qu’il était plus mature que moi. Il avait un jeu qui correspondait plus au LOSC de cette époque et surtout, il a su saisir sa chance au bon moment. Moi à l’époque, j’avais quelques problèmes de comportement. J’étais fautif, et il y avait aussi certaines personnes du club qui sont aujourd’hui parties qui n’étaient pas forcément d’accord avec le fait que je reste. Mais comme je le répète, je ne regarde pas trop vers le passé. Je regarde de temps en temps Lille parce que j’ai encore quelques amis là-bas. Mais sur le terrain, après, il n’y a plus d’amis. Et puis, j’ai toujours une très bonne relation avec Jean-Michel Vandamme qui était l’un des seuls à me soutenir.
Qu’est-ce qu’on te reprochait en matière de comportement ?À l’époque, j’étais un peu plus impulsif, un peu plus nerveux et un peu plus rancunier. Je n’aimais pas l’injustice, j’étais plus jeune et je démarrais au quart de tour. Comme plein de jeunes de mon âge. C’est pas forcément passé auprès de certaines personnes au club, et c’est normal. Ce sont des erreurs qui m’ont permis d’en tirer des leçons, c’est bien aussi. Je préfère raisonner comme ça et travailler dans mon coin tranquillement. Je suis quelqu’un d’assez réservé.
Régis Brouard, qui t’a coaché à Clermont, nous disait que si tu n’avais pas percé à Lille, c’est parce que tu manquais de « gnaque » . Tu as ce sentiment ? Ça a pu m’arriver de choisir mes matchs, c’est vrai. Surtout en Ligue 2. Mais avec Régis Brouard, c’était différent. On avait une relation particulière. J’ai toujours senti qu’il avait une profonde affection pour moi, et quand il dit ça, c’est pour mon bien. Et c’est réciproque. Il a appris à me connaître, ce que d’autres dans le passé n’avaient pas fait. Connaître un entraîneur humainement, surtout au niveau professionnel, c’est très important pour moi. Il m’a permis de faire ma première saison très aboutie dans le monde pro, parce qu’il m’a toujours fait confiance. Même parfois une confiance aveugle (rires). Il m’a beaucoup fait évoluer.
C’est grâce à lui que tu as changé de comportement ?J’avais déjà changé avant d’arriver à Clermont, parce qu’il y a plein de choses qui se sont passées dans ma vie qui m’ont fait relativiser. Il y a eu la naissance de mon fils et d’autres choses un peu plus personnelles. Mais c’est vrai qu’il y a eu des personnes qui m’ont marqué dans mon parcours comme Pascal Plancque à Lille, puis Régis Brouard.
Tu parles de Pascal Plancque. C’est lui qui t’a fait venir à Boulogne après ton départ de Lille ?Oui, à la fin de mon aventure lilloise, c’était peut-être le seul qui croyait encore en moi et en ma capacité à percer. Ça a été important pour moi parce que quand j’arrive à Boulogne, personne ne me connaît. Grâce à lui, ça s’est bien passé, malgré la descente en fin de saison. Donc sportivement, il fait partie des personnes qui m’ont permis d’en arriver là, et je suis toujours très content d’avoir encore de ses nouvelles.
Tu as l’air d’avoir besoin de créer des liens avec tes formateurs et tes entraîneurs pour t’épanouir pleinement.Oui, c’est vrai, je suis un joueur qui fonctionne comme ça. Après, je m’adapte à tout, je n’ai pas connu que des entraîneurs comme ça. Mais il y a forcément des mecs avec qui tu as plus les mêmes sensibilités que d’autres. C’est ce qui s’est passé avec ces coachs-là. Antoine Kombouaré est un peu comme ça aussi. Jocelyn Gourvennec m’a plus appris et m’a plus fait évoluer sur la rigueur, des choses comme ça. C’est différent, mais j’ai appris de chaque entraîneur. C’est Jocelyn Gourvennec qui me fait venir de Clermont alors que je suis en difficulté, par exemple.
Tu es parti de Clermont pour rejoindre la Ligue 1, libre de tout contrat. C’est inhabituel, qu’est-ce qui s’est passé ?C’est particulier, il y a eu quelques problèmes parce que je devais partir à l’été précédent. Finalement je suis resté, Corinne Diacre est arrivée entre-temps et ça s’est mal passé. Elle avait déjà son groupe, elle voulait que je parte. C’était un autre délire qu’avec Régis Brouard. Donc voilà, quand j’arrive à Guingamp, je n’ai pas beaucoup joué les six derniers mois. C’était un peu difficile, j’étais en manque de rythme et en plus je montais en exigence avec la Ligue 1. Gourvennec a eu beaucoup de patience et je le remercie. D’autres auraient pu m’envoyer en prêt par exemple. Mais non, lui a insisté. Quand tu ressens cette confiance, ça finit forcément par payer.
Qu’est-ce qui t’a le plus frappé lors de ce passage de la Ligue 2 à la Ligue 1 ?Le PSG. Le reste, je regardais beaucoup à la télé, j’analysais beaucoup, donc je n’ai pas été vraiment surpris. Mais le PSG … la claque, quoi. L’année dernière, c’était un rouleau compresseur, je ne comprenais rien à ce qui se passait.
Tous les entraîneurs qui t’ont eu sous leurs ordres parlent de toi comme d’un technicien hors pair, d’un dribbleur au-dessus de la moyenne. D’où ça te vient ?Je suis de la banlieue, tout simplement. Quand tu es tout jeune et que tu joues au foot dans un quartier, sans le faire exprès, tu ne travailles quasiment que ça. Tu joues entre potes pendant des heures, tu te façonnes sur des terrains durs alors ça travaille tes appuis. Et puis tu essaies d’inventer le plus de gestes possible. Si ça passe, ça passe. Si ça passe pas, ça passe pas. J’avais plein de potes comme moi. Sauf que j’ai réussi à persévérer, j’ai continué dans cette voie-là.
Dans les quartiers, il y a des petits génies dans tous les city-stades. Qu’est-ce qui fait la différence entre celui qui perce et ceux qui ne percent pas ? Il faut une part de réussite, c’est sûr et certain. Il faut un accompagnement, aussi. Moi, j’ai eu la chance d’avoir mon père toujours derrière moi. J’ai connu des potes très forts qui n’avaient pas cette chance. Mon père essayait aussi de les prendre sous son aile parce que dans les quartiers, on était comme une grande famille. Mais c’était compliqué. Entre ceux qui n’avaient pas l’accompagnement de leur père et ceux qui n’avaient pas de père tout simplement, et bah les éducateurs leur font moins confiance car il n’y a pas le cadre qui suit derrière. Après, une fois que j’étais au Red Star, il faut aussi une part de chance pour se faire repérer. Du coup, aujourd’hui, c’est un bonheur. Je sais la chance incroyable que j’ai de faire ce métier-là. On gagne bien notre vie, on fait ce qu’on aime, on est des privilégiés.
Propos recueillis par Kevin Charnay