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Yannick Agnel : « La vague de l’e-sport est en train de tout emporter »
Double champion olympique à Londres en 2012 (200m nage libre et relais 4x100m), Yannick Agnel a rangé son maillot de bain en 2016 à l’âge de 24 ans. Mais le Nîmois n’a pas chômé pour autant puisqu'il s’est rapidement rapproché de sa seconde passion : les jeux vidéo. Au point de devenir le directeur sportif de l’équipe d’e-sport MCES, où il bosse notamment avec l'ancien footballeur Guy Demel.
Quel est le premier jeu auquel tu as joué ?Je suis né avec une manette de jeux vidéo dans les mains, même si mes parents me donnaient des tranches de 30 minutes maximum par jour pour y jouer. J’ai d’abord joué à la Megadrive : Sonic, le Roi Lion, Aladdin. Et puis rapidement cela a évolué. Il y a d’abord eu la première Playstation qui était clairement une révolution avec Crash Bandicoot ou encore Tomb Raider. Et puis derrière la GameBoy avec Pokémon et compagnie. Je me rappelle qu’on se cachait sous le préau pour éviter les surveillants et on sortait nos GameBoy pour s’échanger des Pokémon avec le câble Link.
Est-ce que tu avais le temps de jouer aux jeux vidéo pendant ta période de sportif ?Pendant un championnat, je n’avais clairement pas le temps. Ni d’ailleurs pendant les quelques semaines de préparation en amont. Mais le reste de l’année, j’y jouais. Quand on s’entraîne entre 6 à 8 heures par jour et qu’on rentre chez soi lessivé, il y a peu de choses que l’on est en mesure de faire, si ce n’est de s’affaler sur son canapé et prendre une manette. Et c’est bien, car ça me permettait de décompresser et de retrouver des amis qui étaient un peu partout en France et à travers le monde. Je pouvais alors m’amuser et m’évader un petit peu.
Est-ce que tu es mauvais joueur aux jeux vidéo ?Je n’ai jamais été compétitif sur les jeux vidéo, car je ne suis pas suffisamment bon. Et comme je suis relativement perfectionniste, je n’aime pas me donner corps et âme dans un truc où je ne suis pas talentueux. Mais pour autant, les jeux vidéo ont toujours fait partie de ma vie et ils continuent. C’est quelque chose d’important pour moi, c’est un milieu socialisant. C’est un lien fort avec mes amis, car étant itinérant depuis plusieurs années, c’est plus facile de se connecter avec mes amis que j’ai à Nice, Nîmes, en Alsace ou aux États-Unis.
Quel est le jeu auquel tu as le plus joué avec tes amis justement ? C’est une bonne question, car on change souvent de jeux. On a fait pas mal de MMO comme World of Warcraft. Personnellement, j’adore les MMO, donc j’ai beaucoup joué à Guild Wars par le passé et plus récemment à Final Fantasy XIV. Je teste à peu près tout ce qui bouge dans le secteur ou presque. Évidemment, nous avons aussi joué à League of Legends. Mais aussi des itérations. Que ce soit les Call of Duty, les Counter Strike, Overwatch et plus récemment Valorant. On est un peu touche-à-tout. Je me plais autant sur les jeux en ligne que sur les jeux solos comme Zelda : Breath of the Wild, Uncharted ou The Last of Us. Là, le dernier en date que je me suis fait, qui est dans un tout autre genre, c’est Ori and the Blind Forest. C’est enchanteur et vraiment dur à la fois. C’est une belle expérience.
Tu joues plus sur la console ou sur PC ?Ces dernières années, je suis beaucoup plus sur PC, car c’est là où la majorité des jeux en ligne se jouent. Mais j’ai les deux. Actuellement à la maison, j’ai le PC, la PS4 et la Switch que je trouve extraordinaire. Nous sommes quand même à une période où nous vivons dans des prisons dorées avec tout ce qu’on a. Et la capacité avec la technologie de pouvoir se contacter les uns les autres, de pouvoir se voir même sans se toucher fait que ce confinement est une épreuve, mais une douce épreuve.
D’ailleurs, c’est quoi le meilleur jeu pour un confinement ?Ça pourrait être un Journey ou un Breath of the Wild. Quelque chose qui te fasse vagabonder l’esprit et qui donne de l’air.
Si tu devais partir sur une île déserte et que tu pouvais embarquer avec toi une seule console et 3 jeux, tu prendrais quoi ?Je prendrais sûrement la PS2. Pourtant, c’est une console que je n’avais pas à la maison au début. J’avais la GameCube, car j’étais plus jeune, et auprès des parents, ça passait mieux. On jouait à Zelda, Pokémon Colosseum, Luigi’s Mansion et même Metroid Primequi était beaucoup plus adulte. Mais je prendrais quand même la PS2 avec un Final Fantasy. Probablement le X. Ce jeu a été ma première grosse claque. Ça a été une découverte incroyable. Je pense que je prendrais aussi Shadow of the Colossus qui est juste extraordinaire. Et puis un Grand Turismoou un Half-Life. Je pense que je serais pas mal. Un GTA ? Ça me fait marrer 5 minutes, mais après, ça me gonfle un petit peu. C’est un jeu que je compare, même si c’est très éloigné à Minecraft, car quand tu as fini l’histoire, tu es balancé dans un monde où tu n’as pas grand-chose à faire. Et puis j’ai du mal avec les jeux comme GTA qui sont violemment réalistes.
Pourquoi il n’y a eu que très peu de jeux sur la natation ?C’est mon grand regret dans ma vie : celui d’avoir pratiqué un sport qui n’est absolument pas transposable en jeux vidéo. Ce ne sont que des QTE absolument affreux. Le genre de jeux auxquels je ne joue jamais, même si apparemment, ils se sont améliorés en la matière. Tu as par exemple des Mario et Sonic aux Jeux olympiques qui sont beaucoup plus fun que des simples QTE qu’il y avait à l’époque.
D’ailleurs, parmi les nageurs, il y a d’autres gamers? Oui, il y en a plusieurs. J’ai le souvenir de sessions de jeux avec des nageurs de l’équipe de France. Ou encore avec Michael Phelps. À l’époque, on se fritait un peu à Call Of Duty. Et ce n’était pas forcément plus simple de le battre à Call of que dans un bassin. (Rires.) On se marrait bien en tout cas.
Pourquoi avoir foncé dans l’e-sport à la fin de ta carrière sportive ?Cela s’est fait par le biais d’une rencontre. Une personne avec qui je travaille qui s’appelle Pascal savait que j’avais une forte appétence pour les jeux vidéo et l’e-sport de manière générale. Il m’a alors dit qu’il avait rencontré quelqu’un qui lançait un projet. Cette personne-là, c’était Romain Sombret qui, avec sa femme Sandra, a monté tout le projet MCES. Et alors que c’était encore à l’état de projet, on s’est rencontrés, et ça a de suite cliqué entre nous. Et depuis, nous ne nous sommes pas lâchés. Il avait vraiment envie de monter une académie qui ferait office de quartier e-sport et de monter une vraie structure professionnelle qui serait le fer de lance de cette académie.
C’est quoi ton rôle exact au sein de MCES ? Tu es directeur sportif, c’est ça ?Je suis en charge de toute la méthodologie en lien avec la performance en dehors du jeu vidéo. Je ne suis pas un expert au sein même du jeu vidéo. Ce dont j’ai la charge, c’est la performance qui entoure toute leur pratique : c’est-à-dire l’activité physique quotidienne, le suivi nutritionnel, médical et psychologique. Que ce soit les échauffements, la récupération, mais aussi l’équilibre des joueurs. Nous attachons autant d’importance à l’école, l’éducation et leur équilibre que pourrait le faire une structure de formation de haut niveau en natation ou en football. Nous partons du principe que c’est en étant des gens équilibrés avec des valeurs qu’ils pourront être plus performants et plus longtemps.
Tu appuies beaucoup sur l’équilibre d’un joueur. C’est important pour toi ?C’est primordial. Notre intérêt n’est pas de faire bosser les joueurs 15 heures par jour pour que derrière, ils se crament et que dans deux ans, ils soient dégoûtés du jeu vidéo et qu’ils n’aient plus envie de toucher une manette de leur vie. La prévention du burn-out est vraiment importante, donc on fait gaffe à tous ces éléments. Nous ne transigeons pas non plus sur les études. Surtout chez les jeunes joueurs, car ça leur assure un filet de sécurité et un lien social constant. Ça leur permet de sortir la tête des écrans de temps en temps et cela peut être salvateur. Ce qui est bien, c’est que les joueurs montrent l’exemple sur les réseaux sociaux et auprès de l’académie de MCES. Les jeunes générations entendent donc que pour être performant il faut faire du sport, bien manger, se coucher tôt. Cela va permettre aux jeunes joueurs de pouvoir durer plus longtemps que leurs aînés. Comme ça a été le cas en sport. En natation par exemple, il y a 20 ans, on pensait qu’à 25 ans un nageur était en fin de carrière. Sauf qu’aujourd’hui, ils sont nombreux à traverser les 30 ans sans problème. Le e-sport a cette chance d’avoir des moyens qui lui permettent de se professionnaliser plus rapidement que les autres et de bénéficier de toute l’expertise du milieu sportif.
Ça ressemble à quoi, les cours de sport des gamers? Ça peut être des exercices de type crossfit par exemple. On va faire pas mal de cardio aussi pour les maintenir en forme. Pas mal de nos joueurs vont à la salle à côté, car ils aiment se maintenir en forme. Et dès que les beaux jours arrivent, on a l’occasion de faire des activités un peu différentes. Que ce soit du vélo ou alors utiliser la piscine d’une villa qu’on a pour loger des joueurs. Essayer de rendre cela plus ludique. Ce qu’on leur propose est ce qu’on appelle du corps en musculation. Je travaille avec l’ancien footballeur Guy Demel, nous sommes tous les deux en charge du sport chez MCES. L’idée de coupler un footballeur et un nageur est d’avoir à la fois le pendant collectif et individuel de la préparation physique et sportive. Guy est formidable, c’est un érudit de la préparation. L’idée est de trouver une préparation physique qui soit adaptée aux joueurs et aux joueuses. Ce n’est pas de dire « Faites moi 50 pompes et derrière allez faire une partie. » Cela n’a aucun sens. On prend en compte l’état physique de chacun des joueurs qui rejoignent le programme, et ensuite on leur construit un programme adapté.
Un joueur en forme physique a donc plus de chance de gagner qu’un joueur pas en forme ?C’est important d’avoir la forme pour être un bon gamer, oui. Ils sont mobilisés pendant plusieurs heures, donc plus tu es aguerri physiquement et plus tu es en mesure de durer et performer sur la durée. Sachant qu’une compétition peut durer quatre heures d’affilée… Et c’est bien d’être performant la première heure, mais ce qui compte, c’est de l’être pendant la dernière !
Du coup, j’imagine que vous faîtes attention aussi à la nutrition des joueurs.On essaye au maximum, oui. On a un traiteur qui vient livrer des repas le midi. Ça nous permet d’avoir la mainmise sur l’équilibre alimentaire. Nous sommes prévoyants et prévenants sur ce sujet, on a un discours que les joueurs entendent et comprennent au sujet de la nutrition. Après, charge à eux derrière de respecter ou non. On ne peut pas être derrière la brosse à dents de chacun. Mais aujourd’hui, tout le monde comprend très bien qu’il faut un minimum de préparation physique, d’hygiène de vie et d’équilibre pour être performant.
Ça doit être galvanisant d’être au milieu d’un secteur en pleine expansion…C’est sûr que c’est exaltant d’être au début d’une aventure. Je me plais vraiment à suivre l’évolution de tout ce milieu-là. De voir grandir et performer les joueurs. De voir des jeunes vivre de leur passion au quotidien. Le e-sport fait appel aux mêmes émotions que le sport traditionnel. D’ailleurs, je ne peux que conseiller dès le confinement terminé et les évènements sportifs rouverts de se rendre à une compétition d’e-sport. Se rendre sur place et voir à quel point les émotions ressenties sont puissantes afin de mieux comprendre pourquoi la vague de l’e-sport est en train de tout emporter. C’est un bonheur au quotidien d’avoir toute cette énergie positive, de travailler avec des gens qui ont envie, qui se donnent, sont ambitieux et performants. Pour toutes ces raisons-là, pour rien au monde je n’échangerais ma place.
Quel est l’objectif de MCES dans les mois et années à venir ?Le but est d’étendre notre académie, de créer des clubs de quartier partout en France et en Europe. On considère qu’il manque cruellement une scène amateur ou en tout cas des lieux de sociabilisation pour tous les gamins, notamment ceux qui n’ont pas les moyens de se payer un ordinateur ou une connexion dantesque et qui ont envie de toucher à cet univers de l’e-sport de près. Au niveau professionnel, l’objectif est de gravir les échelons au niveau international et pourquoi pas décrocher nos premiers titres mondiaux, même si nous avons déjà fait plusieurs podiums internationaux sur Fortnite et Clash of Clans.
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Propos recueillis par Steven Oliveira