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Yannick Adamou : « Certains collègues ne savent pas que j’ai joué avec Icardi et Rafinha »
Trop petit pour signer pro au Barça après sept ans à la Masia, Yannick Adamou évolue désormais à l’ASL Billère, en Départemental 1. Sauveur de son équipe lors du 6e tour de la Coupe de France, le portier de 27 ans est l'atout cœur du petit poucet béarnais qui affronte ce samedi l’Aviron bayonnais (N3).
Dimanche, tu as qualifié ton équipe pour le 7e tour de la CDF lors de la séance de tirs au but, face au FC Estuaire Haute Gironde (R1). Pourtant, avant ton arrivée à la Masia en 2006, tu n’étais pas gardien. C’est vrai qu’au départ, j’étais plus sur un côté ou numéro neuf quand j’étais à la Fondation Samuel Eto’o, ou en centre de formation au Cameroun. En 2012, lors du tournoi en Espagne qui m’a permis de rejoindre le Barça, les gardiens se sont blessés, et l’entraîneur a demandé à ce que quelqu’un se porte volontaire. Et moi, ça ne m’a pas dérangé.
Pourquoi ? Tu aimais te jeter au sol et plonger ?Non, car je me disais qu’un gardien, c’est d’abord quelqu’un qui doit savoir jouer avec ses pieds. Les mains, c’est ce qui vient après. Au Barça, quand je suis arrivé, on me faisait beaucoup travailler les sorties de balle et le jeu au pied. Ce n’est qu’après que j’ai appris les prises de balle et le placement. Malheureusement, c’est la taille (il fait 1,71m) qui a un peu fait défaut.
Pourtant, quand on pense à Xavi, Iniesta et Messi, on se dit que c’était loin d’être un critère évident au Barça. Même Víctor Valdés n’était pas un géant. Certains, on ne les garde pas pour le comportement, ou les notes scolaires – qui sont très importantes au Barça -, mais moi, c’était la taille. Quand on m’a annoncé qu’on ne me garderait pas, ça a été dur. Je ne sais pas si c’est la chance, mais dans la vie, on ne peut pas tout avoir. Moi, je n’ai pas eu la chance d’être grand.
Vous étiez plusieurs Camerounais à la Masia. Comment ça se passait avec les jeunes Catalans du centre ? On n’est pas tous appelés à s’aimer à cet âge-là, mais il y avait un vrai respect, et beaucoup de complicité entre nous. J’ai joué avec Icardi, Rafinha, Deulofeu, et beaucoup de joueurs qui sont pros aujourd’hui. À l’époque, on nous surclassait toujours, que ce soit avec Marc Bartra ou Martín Montoya. En fait, au Barça, je n’ai quasiment jamais joué avec ma catégorie d’âge. Là-bas, avant d’être un footballeur, on t’apprend d’abord à être une meilleure personne dans la vie quotidienne. J’ai ce truc en moi, et dans n’importe quel stade où j’ai joué, je le ressens. Je ne crie pas et je n’insulte pas mes adversaires, et si je perds, je félicite un collègue, tranquille, ça arrive. C’est un truc qu’ils ont cultivé en moi.
Tu rentrais régulièrement au Cameroun ?Au début, je rentrais deux fois par an, entre dix et quinze jours à Noël, et un peu plus d’un mois l’été. Mais à 16 ans, vu qu’on jouait beaucoup plus souvent et que c’était plus pro, on rentrait plus tôt l’été.
Quand tu retrouvais tes potes de l’époque, les choses avaient changé ?Non, car j’ai toujours été quelqu’un qui avait les pieds sur terre. Ce n’est pas parce que j’étais à Barcelone que je me croyais au-dessus. En général, la vie en Afrique et la vie en Europe, ce sont deux choses différentes. Ici, même si tu galères en Europe, les gens vont penser que ta vie est toute rose. Alors quand j’allais au Cameroun, j’essayais de transmettre ce que j’apprenais à Barcelone, notamment lors des compétitions de quartier qu’on organisait. J’envoyais de temps en temps des crampons et des ballons à une académie, et j’essayais d’être là pour les jeunes, car on a été là pour moi. Comme Samuel, qui m’a donné l’opportunité d’être ici aujourd’hui.
Après le Barça, la découverte du monde pro a été difficile puisque tu as joué à Villafranca (D3 espagnole), puis tu as fait un essai de six mois avec le Standard de Liège.À mon retour de Bruxelles, alors que j’attendais un collègue qui venait me chercher à la gare de Barcelone, je me suis un peu assoupi et en me réveillant vingt minutes après, je me suis rendu compte que je n’avais plus ma valise, où il y avait mon passeport et mon titre de séjour que je devais renouveler. Ça m’a énormément pénalisé, j’étais perdu dans la nature et je ne savais plus quoi faire. Donc je me suis rendu au centre de formation, et coup de chance, la secrétaire de Samuel est arrivée. On a discuté, elle m’a grondé comme une mère crierait sur son fils et m’a dit : « On verra ce qu’on peut faire, je vais en parler avec Samuel. » Samuel m’a appelé, il m’a crié dessus aussi : « Vous êtes têtus, vous ne voulez jamais écouter. » Je n’y étais pour rien, mais c’est vrai que quand on voyage, il ne faut jamais laisser ses papiers dans sa valise. Après ça, j’ai eu des aventures en Espagne, le temps que Samuel me fasse mes papiers et m’aide à avoir mon titre de séjour.
C’est là que tu viens jouer en France ?J’ai d’abord été six mois à Málaga, puis un pote m’a donné l’idée d’aller en France, et m’a parlé de la ville de Pau, que je ne connaissais pas. Je voulais essayer de jouer au Pau FC, prouver d’où je viens et qui j’étais, mais je n’ai pas eu cette opportunité. Je suis donc allé dans un club voisin, à Jurançon, puis à Sendets, en D1. Il y avait déjà des gardiens, et l’entraîneur a vu en moi un bon joueur de champ, et j’ai marqué 26 ou 27 buts. Je n’ai pas terminé la deuxième saison et le 23 janvier 2018, le jour de la naissance de ma fille, j’ai rejoint le FC Argentan en Normandie, avec Olivier Moussima, qui était au Barça avec moi.
Après, tu es revenu à Pau. Pourquoi ? Vu que j’avais un peu de revenus après mon passage à Argentan, je suis revenu où il y a mes potes. J’ai fait des essais, j’ai démontré ce que je valais, mais en tant que libéro, latéral gauche et défenseur central. Quand suis arrivé à Billère, ils m’envoient avec la B et je me dis : « Oh putain, quel manque de respect, avec la B de Billère en plus ? Bon… Je vais prendre sur moi, je ne vais pas faire la grosse tête. » J’ai demandé à jouer sur le terrain, et l’entraîneur de la B a dit : « Mais il mérite pas d’être en B, lui. » Avec la première, l’entraîneur doutait, mais on lui a parlé de moi. On a eu une conversation, et il m’a dit : « On va te faire une licence. » Aujourd’hui, ça fait trois ans que je suis là. Cette année, j’ai eu des propositions au niveau régional, et je voulais partir, mais le coach a tenu à ce que je reste. Je lui ai donné ma parole, et je l’ai tenue.
Ce n’est pas courant d’avoir un joueur ou un coéquipier qui a été formé au Barça. Oui, il y a beaucoup de curieux, et certains disent : « Mais qu’est-ce que tu fous ici ? Ta place n’est pas ici. »
Tu leur réponds quoi ?« Je suis là les gars, je profite, je suis avec vous. » Mais ils disent : « Quand même, quelqu’un qui s’est entraîné avec Messi, ce n’est pas commun. » Je comprends bien, puisque je l’ai vécu. Et dans mon cœur, ça me faisait grave plaisir de m’entraîner avec lui ou Víctor Valdés. Mais je ne le montrais pas, car je savais qu’il fallait que je bosse pour devenir comme eux. À Billère, ce sont des amateurs, ils ne rêvent pas, même s’il y a quelques jeunes qui croient et ont envie de goûter au monde pro, et c’est beau. J’essaye de leur communiquer ce que j’ai appris au cours de ma carrière, et dimanche, quand deux collègues ont pleuré dans mes bras et m’ont remercié pour les tirs au but, c’était magnifique.
Tu as imaginé jouer contre Icardi et Rafinha si vous continuez votre parcours en Coupe de France ?Si ça arrive, ça serait extra. Quand ils sont arrivés, je leur ai envoyé un message, ils m’ont dit que quand je voulais, je pouvais monter sur Paris. On reste une famille, il n’y a pas de grosses têtes. Je suis content pour eux. S’ils m’invitent à venir voir un match, tant mieux, si ce n’est pas le cas, ce n’est pas grave. Parfois, je regarde leurs matchs à la télé avec des collègues, certains ne savent même pas que j’ai joué avec eux. (Rires.)
Avant d’espérer affronter un club pro, vous allez devoir sortir l’Aviron bayonnais (N3). C’est une occasion pour toi de te montrer, et d’atteindre le monde semi-pro ?Franchement, tous les matchs que je vis avec Billère, surtout en Coupe de France, sont une finale. J’y crois encore, j’ai toujours la niaque et je veux prouver, que ce soit en France ou en Espagne, que la taille ne fait pas forcément un bon gardien. Pour moi, l’excuse de la taille c’est bidon.
Propos recueillis par Maxime Renaudet