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Yann M’Vila, à la recherche du temps perdu
Parti se faire oublier du côté de la Russie après des déboires extrasportifs, il a fallu un prêt chez les Chats noirs de Sunderland cet été pour que Yann M'Vila se refasse la cerise. Une belle prouesse. Une belle promesse aussi. Son cousin Bryan, son ancien coach Fred Antonetti et le patron de la formation rennaise, Patrick Rampillon, reviennent sur le phénomène M'Vila et son parcours tortueux.
Quand l’annonce du prêt de Yann M’Vila du côté de Sunderland a été officialisée, le 6 août dernier, de nombreux observateurs se sont montrés sceptiques à l’idée de voir l’ex-future étoile de l’équipe de France retrouver le haut de l’affiche. Et pourtant aujourd’hui, même si les Black Cats sont encore loin de tutoyer les sommets et s’apprêtent même à vivre une – nouvelle – saison compliquée, le milieu de terrain français est en passe de revenir à un niveau plus en adéquation avec son talent originel. C’est bien simple, depuis le début de la saison, Yann M’Vila s’est imposé comme un titulaire indiscutable au sein du 11 type des Chats noirs. Pour quelqu’un qui sort de plusieurs mois sans jouer, comme ça a été son cas avec un « prêt » au Dinamo Moscou dans les circonstances – hallucinantes – que l’on connaît, cela n’a rien d’anodin. Frédéric Antonetti, le coach qui l’a lancé dans le grand bain à Rennes au début de la saison 2009-2010, ne l’a pas encore vu évoluer sous ses nouvelles couleurs, mais il se souvient de ses rares apparitions sous le maillot nerazzurro de l’Inter (M’Vila a été prêté 6 mois en Italie lors de la saison 2014-2015) : « J’ai trouvé qu’il avait toujours cette capacité à faire en sorte que les ballons partent bien, cette fameuse première relance qui a toujours été sa qualité première. En revanche, je trouvais que, physiquement, il était en dessous de ce qu’il pouvait faire et quand vous n’êtes pas au top à ce niveau, c’est vite difficile. »
La revanche du vilain petit canard
Partant de là, le voir quelques mois plus tard évoluer avec un tel coffre dans le championnat probablement le plus exigeant en matière d’engagement confine au miracle. Ou au travail. « Il s’est vraiment pris en main pour être prêt dès le début de la saison et ne pas avoir de retard sur ses nouveaux coéquipiers, nous confie Bryan M’Vila, son cousin qui vit toujours dans la banlieue de Rennes. Il a beaucoup bossé avec son préparateur physique et ça se vérifie sur le terrain. » Après s’être perdu en chemin depuis son départ du championnat de France (malgré quelques mois corrects lors de son arrivée à Kazan), l’ancien diamant brut de la Piverdière est aussi animé d’un sentiment de revanche, histoire de rappeler à tout le monde qu’avant d’être le vilain petit canard décrit dans les médias, il est avant tout un joueur hors du commun. Son cousin, toujours : « Avec tout ce qu’il avait derrière lui, les affaires médiatiques et tout ça, il voulait prouver aux gens qu’il avait vraiment sa place en Premier League. » Et quoi de mieux pour y parvenir que de rejoindre une ville calme, à dimension humaine, et un club sain, loin de l’agitation médiatique qui bride parfois les talents ? « Je suis allé le voir là-bas il y a environ un mois et c’est vrai que c’est un cadre de vie idéal pour se concentrer à 100% sur le foot. C’est pour ça qu’aujourd’hui, je ne suis pas impressionné par ce qu’il fait sur le terrain. » « Pour qu’il réussisse, il lui faut justement retrouver cette stabilité sportive, mais aussi personnelle, appuie Antonetti. Il avait une vie, et il le sait parfaitement, qui ne correspondait aux exigences du haut niveau. J’espère qu’il a définitivement réglé ses problèmes et si c’est le cas, on va vite retrouver le joueur incroyable qu’il était à Rennes. »
Sunderland, le contrat de confiance
Yann M’Vila est un garçon qui marche à la confiance et qui a besoin de se sentir aimé et soutenu pour laisser libre cours à son talent sur le pré. Une confiance qui s’était fait la malle depuis son épisode périlleux en Russie, où il était allé « se faire oublier après tout ce qu’il s’était passé en France » , dixit cousin Bryan. Et ça tombe plutôt bien, puisque c’est exactement ce qu’il a trouvé en débarquant sur les bords de la Wear. « Je peux vous dire qu’il s’éclate vraiment. Il n’a jamais été aussi heureux sur un terrain depuis son départ du Stade rennais, se réjouit Bryan. Il joue, l’entraîneur lui fait confiance, et même si le club a changé de manager en cours de route (Sam Allardyce a remplacé Dick Advocaat le 9 octobre 2015, ndlr),ça ne change rien à sa situation. Il se sent important dans l’équipe, il a la confiance de tous ses coéquipiers et c’est ça qu’il lui fallait. » Jusqu’ici, tout le monde est unanime outre-Manche : M’Vila détonne en ce début de saison et sa marge de progression est énorme. Un bon signe, d’autant qu’il ne semble pas parti pour s’arrêter en si bon chemin. C’est en tout cas ce que pense le cousin resté en France : « Je l’appelle après chaque match pour connaître un peu son ressenti, et ce qui est bien, c’est que malgré ses bonnes performances, il se remet toujours en question. Il veut toujours faire mieux de match en match, et ça, c’est super positif pour la suite de la saison. »
« Tout est arrivé trop vite pour lui »
L’expérience ne s’acquiert pas d’un simple claquement de doigts, et comme le disent nos grand-mères le dimanche autour du café, « il faut que jeunesse se fasse » . Les conneries et les mauvais choix, mieux vaut les faire le plus tôt possible afin de pouvoir en tirer des leçons positives pour l’avenir. De son passé houleux, de ses décisions parfois étonnantes, Yann a beaucoup appris. Sans forcément s’éterniser sur le sujet, Bryan a tout de même souhaité rembobiner la cassette : « Il a clairement gagné en maturité. En fait à Rennes, tout est arrivé trop vite pour lui. Le premier contrat pro, l’équipe de France, l’argent, donc peut-être qu’inconsciemment, il a eu du mal à appréhender tout ça d’un coup. Mais là, avec l’expérience, il va faire les bons choix et il sait surtout qu’il ne refera pas les mêmes erreurs que par le passé. » Quand on demande son avis sur la question à Patrick Rampillon, ex-directeur du centre de formation des Rouge et Noir qui a vu éclore la bête, le son de cloche n’est pas tellement différent : « Si on a peut-être commis des erreurs avec lui à Rennes, je pense qu’il est conscient que son entourage et lui aussi en ont fait. C’est ce qui a fait qu’il n’a pas réalisé la carrière qui devait être la sienne. Mais de la même manière, je pense que ça sera grâce à son entourage et à lui s’il revient au premier plan. »
2015, l’année des revenants
Mieux vaut tard que jamais, donc. Et rien n’est encore joué, bien au contraire. Car comme le rappelle Fred Antonetti, « il n’a que 25 ans et il rentre là dans ses plus belles années. Il a encore 7 à 10 ans à jouer, donc aujourd’hui, c’est à lui de savoir ce qu’il veut en faire. » Ce parcours, que tout le monde imaginait pavé d’or et de succès après avoir été titulaire en équipe de France à seulement 19 ans, est loin d’être achevé. « On a aussi l’exemple de Ben Arfa en ce moment, embraye l’ancien coach rennais de 2009 à 2013, qui comme Yann est un joueur très talentueux et est en train de retrouver du plaisir sur le terrain après des années compliquées. Bon, c’est dommage que M’Vila ait perdu un peu de temps, mais il n’est jamais trop tard pour rattraper tout ça. On parle tout de même de quelqu’un de très, très, très doué. Avoir des joueurs comme ça devant la défense qui sont capables de ressortir les ballons aussi proprement, ce n’est pas donné à tout le monde. Il n’y en a d’ailleurs pas des masses dans le foot aujourd’hui. » Adulé par le public du Stadium of Light – lequel a déjà inventé une chanson à sa gloire –, M’Vila se sent comme un poisson dans l’eau en Grande-Bretagne. Reste désormais à maintenir ce haut niveau de performances sur toute une saison. Si tel est le cas, il n’est pas stupide de penser que de nouvelles portes, plus clinquantes, s’ouvriront peut-être à lui. Une vision que partage Bryan : « Si tout se passe bien, pourquoi pas intégrer une équipe du top 5 de Premier League à l’avenir ? » Et l’équipe de France ? « Tout est possible, mais dans un premier temps, il veut surtout se concentrer sur ce qu’il a à faire avec son club. Il est très reconnaissant envers Sunderland qui l’a approché malgré tout ce qui s’était passé auparavant. Il a conscience de la chance qu’il a de jouer dans ce championnat et il sait à qui il le doit. Après, si, un jour, il est rappelé en Bleu, ça sera le premier content. En continuant dans cette voie, je ne vois franchement pas ce qui pourrait l’arrêter. » Un revenant, un de plus.
Par Aymeric Le Gall