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Yann Bodiger, la patte gausse ne rit plus
Il y a un an, il était un héros. Il y a quatre jours, il n'est devenu qu'un nez bouché. Mis à l'écart du groupe pro toulousain après la débâcle contre le PSG, l'éternel sourire de Yann Bodiger serait sur le point de quitter le club qui l'a vu grandir. Et ça ne fait plus marrer personne. Où est passée la Ligue 1 qui se souciait de ses symboles ?
Pourquoi personne n’a crié ? Entre bûcherons, il est convenu de hurler « timber ! » à travers bois pour prévenir de la chute imminente d’un grand arbre en cours d’abattage. Mais que crie-t-on lorsqu’un Bodiger tombe ? Rien. Rien, parce que Bodiger n’est pas un grand arbre. On ne hurle pas pour un joueur de football, excepté lorsqu’il marque. Alors peut-être n’a-t-on pas crié pour Bodiger parce que personne n’avait récupéré sa voix depuis le 14 mai 2016 et les jours qui suivirent ? Car pendant que la quasi-totalité de la France a arrêté depuis belle lurette de se chauffer au bois, lui préférant ce chaleureux feu numérique trouvable sur Netflix, Yann Bodiger vient d’être envoyé couper des bûches avec la réserve du Téfécé. Enfin « vient » , la nouvelle date d’il y a quatre jours. Mais autant vous dire qu’il a bien fallu ces 86h de latence pour digérer la nouvelle. Qu’est-ce que l’on a fait, bordel, depuis le 14 mai 2016 ? Pourquoi personne n’a crié ? Avoir l’esprit occupé par les plus gros transferts de l’histoire est une chose, mais la Ligue 1 se doit, par identité, de se retourner sur son tracé, et sur les héros du passé qui jonchent le sol. Car « Le Nez » , comme il se faisait gentiment chambrer par les supporters toulousains à cause d’une cloison nasale bien développée, en est un. Un « putain de bon gamin » comme ne l’a jamais dit Dupraz alors qu’il n’en pensait pas moins. Pourquoi personne ne hurle pour les bons gamins ?
La course folle de Yoann Lachor
Peu s’en souviennent, mais le 9 mai 1998, Béatrice Schönbeg ouvrait le journal de 20h de France 2 de la manière suivante : « Dans le Sud de l’Italie, sauvetage inespéré d’un homme enseveli sous la boue depuis trois jours. Il a 22 ans et sur son lit d’hôpital, ce miraculé témoigne. » Dans le reste de l’actualité, le 43e concours de l’Eurovision de la chanson – « 600 millions de voix pour un seul lauréat » –, Patrick Bruel devient le premier Français à s’imposer en finale des World Series of Poker, Nasser est un tennisman paumé, la France n’est pas encore championne du monde, Stéphane Guivarch s’apprête à devenir le meilleur buteur de D1, l’OL va terminer hors du top cinq du championnat pour la dernière fois avant 19 ans de fête. Clôture du journal, on zappe, début de la dernière soirée de Ligue 1. À la 57e minute d’un Lens-Auxerre décisif pour le titre, le jeune arrière gauche Yoann Lachor inscrit le but du titre pour les Sang et Or. Il raconte : « Je me suis mis à courir comme un fou, j’ai crié. J’ai pensé à mes copains et à mes profs qui, lorsque j’étais gamin, se moquaient de moi quand je disais que je voulais être footballeur professionnel. » Il a 22 ans, devient un héros, mais sera barré par Benoît Assou-Ekotto, s’envolant dans l’anonymat en 2006 pour Sedan puis Boulogne deux ans plus tard.
Y a-t-il une malédiction pesant sur les héros de la dernière journée ? Une malédiction sur les « pattes gauches » ? Sur le club des 22 ans ? Sur les gens dont le prénom commence par un « Y » et termine par « NN » ? Pourquoi et comment la vie de Yann Bodiger est-elle partie en vrille ? Il y a six mois à peine, il prolongeait son contrat de deux ans avec le Tef’. Il devait rester jusqu’en 2020, et est maintenant sur les tablettes du Celtic et « a des touches » en Espagne. A priori, pas de rupture amoureuse dans sa vie personnelle. Pas de déclaration professionnelle suicidaire non plus. Toujours le même nez, toujours le même smile. Il est rare de voir un joueur autant sourire, aussi souvent, même lorsqu’il n’y a pas de raison. Quand J+1 l’interrogeait sur son faible temps de jeu, il râlait avec les yeux qui souriaient. On l’y voyait, interpellé au moment des autographes, dans la rue : « Hey, bien joué petit pour le coup franc. » Une tape sur l’épaule, un mot glissé, un regard bienveillant. Un type à l’humour balourd débarque, Bodiger s’enfuit en riant : « Eh non j’y étais pas à Angers, moi. » Il y était pourtant.
Foutu au placard
Dans deux jours, il ne sera probablement plus là. Mis au placard avec Zinédine Machach comme Harry Potter après ses premiers tours de magie, Bodiger restera peut-être à jamais ce type à qui l’on rappellera son unique fait de gloire, comme l’œuvre de Descartes restera résumée à son « Je pense donc je suis » . Formé au club, symbole du club, élève du lycée Bellevue, la légende raconte que lorsqu’un Toulousain tape « patte gauche » dans sa barre de recherche Google, le nom de Bodiger apparaît. Mieux, une autre histoire chuchote qu’il suffit de prononcer trois fois son nom devant un miroir pour l’y voir s’y incarner. Bodiger est une légende, comme la Dame Blanche, mais à sa manière. En 2013, questionné par So Foot sur les tristes saisons qui se suivent et se ressemblent à Toulouse, le président Olivier Sadran déclarait ceci : « Mais on a eu des émotions. On a terminé troisièmes, notre gardien a mis un but de la tête à la dernière seconde, on en a pris cinq à la maison contre Rennes dernièrement. C’est aussi une putain d’émotion, ça. » Yann Bodiger est une putain d’émotion. Son coup franc était sans aucun doute la plus « putain » des émotions de ces dernières années en Ligue 1. Le Nez provoque toujours le sourire, parce qu’il a sauvé Toulouse sur son premier but en Ligue 1. Il est aussi le symbole d’une mission impossible réussie, d’une hype Dupraz, d’un discours d’avant-match que certains se sont tatoués sur le corps. Il est un type qui s’est battu avec son talent, sûrement pas suffisant, mais qui mérite mieux qu’un silence. Peut-être même un « timber ! » hurlé dans les bois, tiens. Mais pourquoi personne n’a crié ?
Par Théo Denmat