- SoFoot n°64
- Avril 2009
Y’a bon les Noirs
Le football moderne – Ligue 1 en tête– a choisi : le joueur d'aujourd'hui et de demain est, et sera, noir. Parce qu'il est censé être plus vite, plus loin, plus haut, plus fort. Et aussi plus vendeur...
Le monde se divise en deux catégories de personnes: ceux qui comptent le nombre de Noirs en équipe de France et ceux qui ne comptent pas. Et les premiers ont gagné la bataille puisqu’ils forcent les deuxièmes à répondre à une question à laquelle ils ne voulaient pas répondre. Oui, pourquoi tous ces Noirs? Dans le football français, en club, pire, en équipe de France, partout, de plus en plus. Quand même, ce n’est pas sérieux, cela ne fait pas très France éternelle, cet alignement de Sénégaulois, d’ultramarins qui ne font que narguer cette majorité de souchiens relégué au rang de minorité presque invisible dès lors qu’elle chante la Marseillaise en short. Pourquoi? Une question que le monde du foot ne se pose pas, retranché derrière l’invariable et très méritocratique ligne de défense « on prend les meilleurs » ? On peut penser que la justification est franche. Quel entraîneur ou sélectionneur serait bien assez con pour aligner un mauvais Noir juste pour le plaisir d’emmerder Éric Zemmour ou Georges Frêches?
Car à défaut, c’est le hors-champs –médias, politique, bar du commerce– qui s’est emparé du sujet et apporte ses explications culturello-sociales à un sujet estampillé « miroir de la société » . Bien entendu, puisque derrière la proportion entre la menthe et le réglisse, il y a le symbole, la représentativité. Il en va de l’image de la France à l’étranger. Il y a pourtant peut-être une réponse du côté du foot, du terrain, du recrutement dans les centres de formation, de ses critères de sélection. Une histoire de 20 ans qui revient à poser la question: est-ce que l’évolution du jeu, depuis deux décennies, n’aurait pas favorisé l’émergence d’un profil de joueurs pouvant expliquer que finalement les joueurs noirs soient les élus de ce système ? Une histoire qui raconterait peut-être, en creux, aussi l’obsession pour le combat physique. Et à ce petit jeu, le joueur noir, entre sa qualité individuelle et la mythologie qu’on lui associe, est devenu, si l’on peut dire, le produit de tête de gondole.
Un coureur de 400 mètres
L’explication sous-entend une théorie a priori foireuse. Blancs et Noirs seraient génétiquement différents, une prédisposition de l’inné par rapport à l’acquis. Dans les clubs de football, la question ne semble plus se poser. Fabrice Briand, docteur du FC Nantes pendant 25 ans. « Nous ne possédons pas tous le même patrimoine génétique, notamment dans la distribution des fibres musculaires rapides et lentes. Sur ce sujet, les personnes originaires de l’Afrique de l’Ouest ou des Caraïbes ont généralement, plus de fibres musculaires rapides qu’un Eurasien. Ce n’est pas une loi mathématique mais on l’a observé, c’est comme ça. Après on va aussi trouver des Blancs véloces et des Noirs endurants. Ensuite, l’être humain n’est pas masochiste. Il se tourne souvent vers une activité pour laquelle il a des dispositions. Si on prend du plaisir à courir c’est parce que notre corps nous en offre la possibilité physique. Il y a sûrement des raisons culturelles qui expliquent pourquoi la Guadeloupe est une terre d’athlétisme mais c’est aussi parce que les gens ont des dispositions naturelles » . Même son de cloche à Chelsea, dans un club où le suivi médical était devenu, notamment sous Mourinho, une obsession: « Si je compare Michael Essien à Frank Lampard, Michael a effectivement plus de densité physique et osseuse que Frank » , résume un membre du staff médical: « Pour atteindre le même niveau de forme physique, Lampard est obligé de travailler plus longtemps. Sa phase de récupération est aussi plus longue » . « Désormais le profil du joueur de football moderne, c’est un coureur de 400 mètres » , conclut Fabrice Briand: « Il faut des joueurs rapides qui puissent conserver l’avantage quand une équipe a réussi un décalage » .
80% des effectifs des centres de formation
Le football moderne, côté profil physique, ne jure aujourd’hui que par le couplage puissance-vitesse, ce qu’on résume par le mot « explosivité » . Une qualité devenue incontournable, à la fois conséquence et instrument de l’évolution globale du jeu. Réduction des espaces, accélération du rythme, omniprésence du duel et importance de la phase de récupération. « Le football a évolué dans ce sens. Il requiert plus de mobilité et d’impact physique puisque l’accent est mis sur la conquête du ballon » , confirme Fabrice Briand: « Il est donc logique que le profil du joueur de haut niveau ait changé » poursuit-il. « À Nantes, nous avions senti venir cette évolution dès 87 en affrontant les équipes italiennes ou allemandes en coupe d’Europe. Peut-être que les Italiens se nourrissaient de pâtes survitaminées mais on voyait bien que la force physique était en train de modifier la donne. Avec Coco Suaudeau, on avait essayé de trouver une parade par le mouvement, courir ensemble, intelligemment face à des adversaires qui insistaient sur la percussion. D’autres clubs, en France, notamment Lens avait eux décidé de suivre une autre voie en recrutant des joueurs pour le combat physique » .
« Je le regrette mais l’évolution est évidente. On prend de plus en plus des athlètes en essayant d’en faire des joueurs de football » , ajoute Laurent Guyot, son ancien collègue, toujours en charge du centre de formation du FC Nantes: « On a trop tendance à généraliser l’aspect physique. Au niveau de la formation, dans chaque génération d’âge, les joueurs nés dans le dernier trimestre sont moins nombreux que les autres. Cela signifie qu’un écart de croissance de quelques mois devient rédhibitoire. C’est un phénomène qui s’amplifie. Donc, les plus forts émergent » . « Et comme les jeunes Noirs atteignent généralement la puberté plus jeunes, ils finissent par représenter 80% des effectifs dans les centres de formation français » , ajoute Fabrice Briand. « C’est symptomatique du regard que l’on porte sur eux et d’une vision à court terme » renchérit Guyot: « Au-delà des qualités de footballeurs, on pense qu’en mettant les plus grands, on va gagner plus facilement des matchs » .
Onze Eto’o
« Il ne faut pas confondre morphologie et puissance athlétique » , estime de son côté Patrick Rampillon, responsable du centre de formation du Stade Rennais. « On ne recrute pas à la taille ou à la couleur de peau. Quand vous voyez des Lemoine, Marvaud ou Danzé, ils sont loin d’être des géants. Que dire de Messi? » Rampillon admet que certains puissent faire « le choix de la masse au détriment de l’intelligence » mais « n’y croit pas. Si je fais le bilan, depuis huit ans, nous n’avons recruté que deux joueurs africains dont Stéphane M’Bia. C’est vrai qu’il apparaît, avec sa puissance, comme le profil type du joueur moderne. Mais à l’époque, il nous avait plu pour son sens de d’anticipation, sa capacité à casser les lignes adverses. Même si on pouvait deviner son développement musculaire quand nous l’avons supervisé, son potentiel ne vient pas de sa morphologie » . Pour l’ancien joueur nantais des années 80 tout est question d’équilibre: « Si vous alignez onze Rod Fanni, cela ne fonctionne pas. C’est pareil avec onze Samuel Eto’o. Quand on parle de la qualité de jeu du FC Barcelone, on oublie que tout l’axe central, du gardien de but à Yaya Touré, est composé de joueurs forts physiquement. Et si je compare Thierry Henry, Anelka ou Hoarau, ce sont quand même des profils différents » .
Ultimate fighting
Bon indicateur de ce « puissance toute » qui semble servir de boussole au football français, le profil de joueur recherché au-delà des frontières. Karel Brokken est le directeur de l’Académie de football que Feyenoord a ouvert il y a quelques années au Ghana. Accessoirement, il sert aussi d’intermédiaire pour de nombreux transferts de l’Afrique de l’Ouest vers l’Europe. « Je constate que les joueurs africains évoluant en France possèdent tous ce profil extrêmement physique. Contrairement à la Belgique où on retrouve un peu plus de diversité, y compris des joueurs petits et techniques. Je crois que Jean Marc Guillou a marqué les esprits en démontrant qu’on pouvait avoir des très bons joueurs qui n’étaient pas forcément des monstres du temps où il avait ramené les académiciens de l’ASEC à Beveren. Mais c’est vrai que j’ai regardé le dernier PSG-OM et j’ai eu l’impression d’avoir assisté à un combat d’ultimate fighting » . Paradoxalement, le mythe du Noir doté d’aptitudes physiques exceptionnelles prend du plomb dans l’aile dès lors que les recruteurs mettent un pied en Afrique, continent qui fournit 50% des étrangers du championnat de France. « Au même âge, un jeune Africain pèse de 10 à 15 kilos de moins qu’un jeune européen » observe Karel Brokken. « La croyance en la puissance naturelle des Noirs ne prend pas en compte les questions de nutrition. Un gamin d’Abidjan ou Accra qui a grandi avec un repas par jouer n’a rien à voir avec un Antillais ou un Français d’origine africaine » .
Le petit Gervinho
Il y a huit ans, Jean-Marc Guillou, après le succès de l’Académie Mimo Sifcom d’Abidjan, avait monté une structure du même type à Madagascar. Sans l’espoir de bénéficier des mêmes retombées que le projet fondateur: « L’académie Ny Antsika a permis au football malgache de passer un cap. Mais nous savions que la morphologie des Malgaches, plutôt petits et quelles que soient leurs qualités de footballeurs, serait un frein à leur départ vers les meilleurs championnats européens » admet Guillou. Aujourd’hui un seul joueur sorti de l’académie malgache évolue en Europe, à Romorantin, en CFA. En attendant peut-être mieux. « C’est toujours la même histoire » , estime Patrick Liewig, entraîneur de l’ASEC Abidjan et ancien responsable de la formation du PSG: « On vient toujours chercher ailleurs le joueur que l’on ne possède pas chez soi. Tous les clubs européens sont à la recherche de deux profils type. L’attaquant vif et rapide et le défenseur, milieu défensif axial qui va s’imposer physiquement. C’est le stéréotype du joueur qui va réussir en Europe. Son talent s’exprimera grâce à sa vitesse et son explosivité. Conséquence: les Africains ont intégré ces critères. Si je veux aligner un petit gabarit, il faudra vraiment qu’il démontre une aisance technique supérieure. En Afrique, les spectateurs utilisent d’ailleurs un euphémisme pour ce genre de joueur. On dit d’un petit gabarit qu’il n’a pas la ‘condition physique’ » .
Cela n’a pas empêché Le Mans de faire venir de Beveren le petit Gervinho, ancien académicien formé à Abidjan. Mais le staff technique a eu le nez de repositionner le joueur en tenant compte de sa morphologie atypique au regard des canons actuels. « Nous pensions qu’il manquait de poids et d’adresse pour évoluer dans l’axe. Donc on l’a mis sur le côté droit » rappelle Alain Pascalou, le directeur technique du club sarthois. Le Mans avait fait de même, quelques années auparavant, avec Romaric, antithèse du joueur explosif. « Nous l’avons fait reculer parce qu’il avait besoin d’avoir de l’espace devant lui et d’être face au jeu. Il possède une incroyable vision et une telle précision dans les passes. Mais si vous le mettez dans une position plus offensive, vous ne verrez que sa lenteur. Je dirai que globalement, le gabarit et la taille, on s’en fout même si je pense que Didier Drogba reste le plus grand joueur passé par le Mans et qu’il incarne quelque part ce profil tant recherché aujourd’hui » . « Quand les clubs forment ou achètent des joueurs, ils réfléchissent déjà aux opportunités de revente » résume de son côté Jean-Christophe Thouvenel, agent de joueurs adepte de la thèse industrielle (matière première-transformation-vente du produit fini): « Qu’est-ce qu’ils se disent? Où est l’argent? En Angleterre… Et là-bas, à moins d’1,80, tu ne passes pas » .
Par Joachim Barbier
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