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Y a-t-il une crise de la trentaine dans le foot ?
Alors que le gouvernement se penche actuellement sur la réforme de la loi Travail, la vie des seniors dans le foot semble de plus en plus compliquée. Car pendant que les grands clubs se disputent les jeunes pépites à prix d’or, certains trentenaires ont du mal à trouver le bon contrat. Les anciens devraient-ils faire grève ? Tentative de réponse.
Pas dit que cela plaise à tout le monde, mais c’est un fait : en cette année 2017, Karim Benzema, Jérémy Ménez, Samir Nasri ou encore Hatem Ben Arfa, membres éminents de la « génération 87 » chère au football français, fêteront ou ont fêté leurs 30 ans. Les joues rosies par cette claque dans la gueule, chacun peut désormais s’interroger sur la place des jeunes trentenaires et des presque quadras dans le football actuel. À 40 ans, Francesco Totti, empereur de Rome, s’en est allé. À 40 printemps aussi, Benjamin Nivet, prince de Troyes et duc de Caen, a repris une année pour la route. Deux titans qui font aujourd’hui office d’exception, car pendant que Kazuyoshi Miura et ses cinquante piges gambadent encore au Japon, il arrive parfois, en 2017, que des joueurs en début de trentaine soient considérés comme « vieux et vieillissants » . C’est le cas d’un type aussi fort que Dani Alves, 34 balais, qui n’a plus rien à prouver si ce n’est son côté Benjamin Button. Mais également de Thiago Motta, né en 1982, et dont l’âge a fait débat lors de sa prolongation au Paris Saint-Germain. Ou même de Luiz Gustavo, 29 ans (!), qui a lui aussi entendu parler du fait qu’il était « plus sur la fin » lors de son arrivée à Marseille. Trois exemples parmi tant d’autres trentenaires dont la place dans le football actuel semble parfois moins importante que dans les années 1990 ou le début des années 2000, où un joueur de 30 ans n’avait pas la vie devant lui, mais n’avait pas non plus de questions à se poser. Alors comme ça, on vieillirait plus vite dans le football actuel ?
Le poste et le profil comme mètre étalon
Non, selon un homme qui connaît bien le dossier. Agent de Thiago Motta, dont il vient tout juste de boucler la prolongation au Paris Saint-Germain, Alessandro Canovi sort la boîte à souvenirs pour justifier son propos : « Je ne pense pas que ça ait tant évolué que ça et je vais te raconter pourquoi. Mon père était l’agent du Brésilien Antonio Carlos Cerezo (international brésilien entre 1977 et 1985, ndlr). Et je peux te dire qu’entre cette époque-là et l’époque actuelle, la question de l’âge n’a pas vraiment évolué. Elle reste une problématique dont la solution est la qualité. » La qualité et le poste du joueur, évidemment. Canovi toujours : « Dani Alves, les clubs font la queue pour lui, 34 ans ou pas. C’est la qualité qui compte. Trop de choses rentrent en compte pour conditionner un joueur. L’âge est une donnée qui compte, mais ce n’est pas la seule. Les jeunes arrivent dans tous les métiers. Je me rappelle quand Thiago est arrivé au Barça, Cocu était titulaire à son poste. Et ça, Thiago devait le comprendre. » Ce que les plus anciens peinent parfois à comprendre, en revanche, c’est qu’en pleine force de l’âge, ils voient certaines portes se fermer à cause du fait que les clubs sont de plus en plus intéressés par une éventuelle revente. Aujourd’hui, à part quelques top clubs, nombre d’équipes sont obligées de raisonner ainsi et donc de miser sur des jeunes dont le coût est plus acceptable plutôt que de sortir le carnet de chèques pour un joueur bon immédiatement, mais irrémédiablement sur le déclin d’ici deux ou trois ans. « Ça dépend également de ton type de jeu, sabre Canovi. Si tu as basé ton jeu sur la vitesse, sur la percussion, oui, tu vieillis plus vite. Des joueurs comme Xavi, Iniesta ou Xabi Alonso ont su faire évoluer leur jeu. Ce n’est pas le cas de tout le monde. »
Quand tout va trop vite, sur le terrain et ailleurs
Et si, au fond, le vrai problème est que le footballeur vieillit plus vite qu’avant ? Bonne gueule de jeune, mais 26 printemps sur le passeport, Vincent Sasso a quitté Sheffield Wednesday cet été pour retourner au Portugal, du côté de Belenenses. Le moment idéal pour jeter un coup d’œil dans le rétro : « Vieux ? Oui, je le suis maintenant par rapport à un mec qui débute. Après, à 30 ans, tu as encore quelques années devant toi quand même(rires). À 26 ans, je pense être beaucoup plus mature, beaucoup plus serein. Tu vois les choses différemment dans ta façon de faire. Tu connais beaucoup mieux ton corps, aussi. En ça, les trentenaires sont forts et fiables. » Finalement, s’il devait noter une évolution avec le temps dans le rapport à l’âge, elle serait plus extra-sportive : « Là où le foot a peut-être évolué, c’est dans le rapport aux cadres. Avant, quand tu arrivais dans le groupe pro, il y avait un vrai respect vis-à-vis des anciens. Je ne dis pas que ce n’est plus le cas maintenant hein, mais comme aujourd’hui, tu as tout plus vite – contrat, argent, sponsors -, tu as la sensation que la différence est moins marquée qu’avant. Avant, il y avait limite de l’admiration pour les plus vieux. » Mais si l’admiration disparaît, l’expérience, elle, demeure nécessaire. « Je pense qu’il y a nécessité d’avoir un mélange. Tu as besoin de jeunes joueurs, mais rien ne pourra remplacer l’expérience d’un trentenaire. Personnellement, j’ai toujours trouvé cool d’avoir quelqu’un de plus âgé à côté de toi, qui a vécu ce que tu vis, qui a été à ta place, qui te donne des conseils. Quand j’étais jeune à Nantes, et que le club allait un peu moins bien, je me demandais pourquoi ils ne faisaient pas jouer plein de joueurs du centre. Mais avec le temps, tu te rends compte que le football, ce n’est pas que le talent et la fougue, c’est aussi dans la tête, que l’expérience est primordiale au plus haut niveau. » Un haut niveau qui a beaucoup évolué ces dernières années, notamment en matière de vitesse et de physique, là où le bât peut blesser pour les plus âgés. Vincent Sasso toujours : « L’âge est peut-être plus important dans le foot aujourd’hui, car le jeu a énormément évolué. Tout va plus vite, tout est plus physique. Alors c’est sûr que tu vas sentir une plus grande différence entre un mec de 25 ans et un mec de 35 ans. » Mais si les années passent, les souvenirs, eux, restent : « J’ai eu la chance de côtoyer des mecs comme Wiltord et Pancrate à des moments où ils étaient plus vers la fin de leur carrière, et clairement, tu comprends pourquoi l’expérience, c’est important. Toujours les premiers à rigoler et toujours les premiers à travailler, à montrer l’exemple. » Et le football aura beau rajeunir encore et encore, il y aura toujours des anciens. Heureusement.
Par Swann Borsellino