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Xavier Monnier : « Pape Diouf est fasciné par sa propre intelligence »
Xavier Monnier est connu pour trois choses : avoir fait tomber Pape Diouf de sa présidence, révélé le contenu des gardes à vue de Vincent Labrune en 2014, et donné « Marseille » comme troisième prénom à son fils. Avant cela, le journaliste est surtout proche du milieu marseillais comme personne et auteur de deux plongées dans la citée phocéenne : Marseille, ma ville et Les nouveaux parrains de Marseille. Bref, un type qui a plus d'ennemis que la moyenne.
Dans Marseille, ma ville, vous racontez que vous avez un jour proposé à Vincent Labrune de prendre la présidence du club. C’était une grande blague avec mes potes, on se disait que notre but, ce serait d’accéder à la présidence de l’OM. Et puis un jour, c’était entre Diouf et Dassier, il y avait des discussions, ils ne savaient pas trop qui prendre. Je discute avec Labrune et je lui dis : « Voilà, je pose officiellement ma candidature. » C’était une blague, évidemment. Il m’a regardé et il a dit : « Je suis sûr qu’on rigolerait beaucoup, mais pas certain que ce soit le mieux pour l’OM. »
Comment entre-t-on dans les coulisses de l’OM ?
Je suis entré derrière le rideau quand j’ai commencé à travailler comme journaliste. J’ai commencé à proposer des sujets côté banditisme, parce que c’était amusant. Côté politique aussi… et naturellement, ça m’a amené à connaître des gens et avoir des infos sur ce qui se passait à l’OM. Parce que tout ce petit monde se retrouve au Vélodrome, gravite autour du stade. Pas simplement pour faire des affaires, mais parce que c’est un symbole de la ville. Et les symboles de la ville, tout le monde essaye de les accaparer. Donc par la voie politique puis judiciaire, je suis rentré à l’OM.
Le Vélodrome, c’est Wall Street ? Il doit y avoir un nombre fou de contrats qui se règlent dans les travées… Le nombre de discussions qu’il peut y avoir dans les tribunes présidentielles oui, c’est assez impressionnant. Que ce soit l’OM ou le Vélodrome, c’est un concentré de Marseille. Il n’y a qu’à voir les problématiques actuelles autour de la question du stade, du BTP et autres, pour retrouver du politique, du financier… Pas encore de grand banditisme, mais peut-être qu’on en retrouvera. Pendant un moment, la sécurité du stade était quand même gérée par une société qui s’appelle « Alba Sécurité » , et qui appartenait à la femme de Bernard Barresi, un type en cavale. Donc il y a des liens qui se retrouvent, si tu veux. Disons que l’OM est à la croisée de beaucoup de chemins à Marseille.
Vous avez justement côtoyé la figure de Jean-Luc Barresi, agent de joueurs très influent à l’OM et frère de Bernard, fiché au grand banditisme depuis 2006…Côtoyé c’est un grand terme, mais disons que je l’ai rencontré, oui.
Il vous a menacé.Non.
Il vous dit : « Fais tout de même attention, minot. »
Oui, mais ça, c’était plutôt paternaliste. Il dit de faire attention avec les autres, pas avec lui. Non, Jean-Luc Barresi, c’est quelqu’un de très impressionnant. J’ai rencontré peu de gens qui avaient un tel charisme. Je l’avoue hein, la première fois que je l’ai rencontré, je ne faisais pas le malin. Et les autres fois non plus, on ne fait jamais le malin avec Jean-Luc Barresi. Mais quand j’ai des question à lui poser, je lui pose.
C’est quelqu’un qui en impose physiquement, pour commencer.C’est pas une montagne, mais il a une bonne carrure de troisième ligne. Il a fait du rugby. Moi, j’ai fait du handball et j’étais ailier, en jeunes. Je suis un peu crevette par rapport à lui.
Beaucoup disent de vous que vous avez contribué à la chute de Pape Diouf par le biais de vos articles. C’est vrai ?(Silence) C’est qui beaucoup ?
C’est la réputation qui vous suit à Marseille, vous devez le savoir.Oui, oui. C’est-à-dire que moi, contrairement à beaucoup d’autres… (Il s’arrête.) J’ai eu des rapports très très conflictuels avec Pape Diouf pendant un moment. On a même une vidéo où il m’insulte, il me traite de « saloperie » , ce qui m’a plutôt fait marrer.
Pape Diouf, c’est quelqu’un de très intelligent, et qui est fasciné par sa propre intelligence. J’ai été assez taquin avec cela, tout en enquêtant sur lui. Sur son conflit avec l’actionnaire, avec Labrune, Gerets… J’estime que j’ai fait un boulot normal de journaliste, qui ne prenait donc pas pour argent comptant ce qu’il racontait. Après, c’est aussi le plus grand président que l’OM ait connu depuis Bernard Tapie. Le plus charismatique, et celui qui avait la meilleure cote de popularité. Mais Pape Diouf a quand même raconté des trucs qui étaient des craques. Et moi, c’est vrai, j’expliquais que c’était des craques. Est-ce que ça a contribué à sa chute ? Sans doute. Mais mon rêve n’était pas de faire tomber Pape Diouf.
En 2013, vous disiez : « La ville n’a pas encore englouti Vincent Labrune. Du moins, pas encore… » Depuis, il s’est fait engloutir. Oui, mais comme tous se font engloutir ! Depuis toujours. Que ce soit Roussier, Bouchet, Dassier, Diouf… Quand on devient président de l’OM, ce qui se passe depuis Tapie, c’est qu’on se prend pour le roi du monde. Tout le monde vous parle, veut vous faire la bise. Alors selon votre colonne vertébrale, vous dégoupillez plus ou moins vite. Ça peut quand même aller très loin. Je veux dire, Pape Diouf a quand même cru qu’il pouvait être maire de Marseille. Et il s’est présenté aux municipales.
Et Tapie avait la même certitude.Ce qui est intéressant, pour en avoir discuté avec les dirigeants actuels de l’OM, c’est qu’ils disent : « C’est fou, quand on discute avec la mairie, ils se méfient de tout. » Ils croient que quelqu’un va se présenter aux municipales, ils ont peur de l’influence de l’OM.
Labrune était un ami des journalistes, un séducteur qui créait des liens quasi amicaux avec eux. Quelle était votre relation avec lui ?
J’ai eu de bons rapports avec Vincent Labrune, mais je me suis aussi très souvent engueulé avec lui. Quand je sors l’intégralité de son audition et de l’audition de Margarita Louis-Dreyfus dans L’Équipe Mag, bon… (En 2014, il avait été placé en garde à vue, soupçonné « d’association de malfaiteurs, extorsions de fonds et blanchiment en bande organisée » , en lien avec des transferts de joueurs, N.D.L.R.) Autant vous dire qu’il n’a pas forcément apprécié. C’était pareil avec José Anigo. Je m’entendais plutôt bien, mais mon travail était clair : on discute, mais le jour où j’ai des trucs à sortir sur toi, je les sors. Parce que c’est mon boulot. Je ne suis pas l’ennemi des gens. Avec Jean-Luc Barresi aussi, je me suis engueulé. Puis après, on s’est reparlé.
Si Diouf était le mégalo ambitieux et Labrune le bobo séducteur, qu’est Eyraud ? Le businessman à l’américaine. Il a été formé par les Américains, et pour l’instant, ça file droit. C’est pas forcément très empathique, mais c’est quelqu’un qui applique un business plan qui a été validé par McCourt. On l’a vu avec les Yankees : Eyraud, quand il a décidé de couper, il coupe. On avance. C’est un président d’entreprise qui ne se croit pas spécialiste du football. En tout cas, pas du terrain. Que ce soit Diouf ou Labrune, ils s’intéressaient à ce qui se passait dans le vestiaire. Ils ne faisaient pas les compositions d’équipe, mais « peut-être que lui, il faudrait qu’il joue… » Eyraud, ce n’est pas son truc.
Pour autant, le voir engueuler une femme en tribunes contre Francfort parce qu’elle râle, ce n’était pas du cinéma.Ça, j’en sais rien. Mais évidemment qu’il soutient son équipe. Et il peut être très cassant quand il soutient son équipe. Comme un chef d’entreprise défend son client, lui, il défend son entreprise. L’OM c’est une marque, l’équipe c’est son fanion, et il faut la défendre coûte que coûte. Les critiques venues de l’extérieur ne sont pas forcément les bienvenues.
À Lyon, il y a une figure qui ressemble à celle d’un parrain… Aulas, c’est un personnage intéressant pour un journaliste d’investigation ?
C’est une figure qui est très intéressante, parce que derrière toutes les success stories il y a des rouages, des compromis. Peut-être des compromissions. Et ça, ça n’a jamais été traité, même si Lyoncapital avait sorti quelques trucs sur lui, et il les avait pourris, menacés… Après, ce qui est amusant, c’est de voir ce que sera l’après-Aulas. Apparemment, il va former son fils. Or, dans tous les régimes où l’on a vu un fils hériter de l’empire de son père, cela ne s’est pas forcément bien passé.
Ça vous botterait d’écrire un bouquin sur Aulas ?(Silence) Pour écrire un livre, il faut avoir de l’envie. L’envie d’y passer des mois et des mois. Est-ce que j’ai envie de passer des mois et des mois avec Aulas ? Ce n’est pas quelque chose qui me fait fantasmer. Mais une longue enquête oui, rien que pour une chose : qui est-ce qui ramène Aulas dans le foot ? C’est Tapie. Il y a quand même des parrainages qui sont moins sulfureux.
On est obligés d’en parler : vous avez fait la Une de l’actualité il y a exactement un an, pour avoir appelé votre fils Onken, Philip, « Marseille » Monnier. Ce qui avait été refusé en premier lieu par les pouvoirs publics.
C’est impressionnant : quand tu écris des livres, ils ne sont pas cités par La Provence. Et pour une affaire comme ça, t’es cité par toute la presse. Ça en dit quand même beaucoup sur le système médiatique français. Bref, j’ai fait des recherches dans l’histoire, des noms de gens qui s’appelaient Marseille dès le XIXe siècle, notamment pendant la période révolutionnaire, où il y a même un procureur de Marseille qui a baptisé son fils Marseille. C’était aussi une tradition en Provence, que les hommes politiques donnent à leur enfant le prénom de la ville où ils étaient élus, comme « Aubagne » , par exemple. Donc j’ai ressorti les archives, et ils ont accepté très gentiment.
Du coup ses initiales c’est OM…Disons qu’on discutait avec ma femme de l’un des prénoms possibles, et l’on voulait Onken, en rapport à ses origines africaines. Mais on hésitait à le mettre comme premier ou deuxième prénom. Quand je me suis rendu compte que c’était « OM » je lui ai dit : « Non, c’est bon, on prend celui-là. » Mais elle ne l’a découvert qu’après. (Rires.)
Propos recueillis par Théo Denmat