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Xavier Bedos: « J’avais jamais entendu le son d’une kalachnikov »

Propos recueillis par Pierre Boisson
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Xavier Bedos était parti en Centrafrique pour équiper la sélection nationale de football. Pris en plein conflit, cet équipementier français s'est retrouvé coincé dans un hôtel avec les Fauves du Bas Oubangui, où il a découvert la peur et le son des kalachnikovs. Entretien à la descente de l'avion.

Vous revenez tout juste de Bangui. Content d’être de retour? Ce matin j’ai pris la voiture pour aller acheter le pain. J’étais trop content. Là-bas, quand tu dois faire 500 mètres, tu sais pas si tu vas pas te faire découper. J’étais parti pour passer 4 jours là-bas et finalement je suis resté 10 jours. En fait, tout s’est enclenché quand j’étais sur place, les combats dans les rues puis l’intervention des Français. C’était mon premier voyage en Afrique. Ça a été folklorique. Mais j’ai aussi vécu des moments fabuleux avec l’équipe.

Comment se retrouve-t-on équipementier de la sélection nationale de Centrafrique quand on est une est petite boîte installée à Blagnac, en Haute-Garonne? Normalement, j’équipe quelques clubs de divisions d’honneur, des équipes de district et des clubs à La Réunion. Pour la Centrafrique, tout a commencé par un appel de mon ami Eric Descombes (ex-joueur pro Franco-américain naturalisé Mauritanien, ndlr). L’année dernière, il entrainait l’Africa Sports d’Abidjan et je lui avais donné un coup de main pour équiper l’équipe. Donc il m’appelle et me dit « je vais être nommé Directeur Technique National en Centrafrique. Ils doivent préparer la coupe CEMAC (Tournoi qui regroupe les pays d’Afrique centrale, du 9 au 21 décembre au Gabon, ndlr). Ils n’ont plus rien, il faut que tu les équipes. » En 15 jours, on a fait 30 maillots, shorts, survêts, chaussettes, avec le logo de la sélection et tout. Comme on ne pouvait pas les envoyer, le ministre des Sports a délégué une commission qui est venue me chercher. Et je suis allé amener les équipements direct là-bas.

Problème : vous arrivez dans un pays en guerre. Oui, mais quand je suis parti, j’ai même pas calculé ce qui se passait là-bas. Je suis parti comme un Français moyen, sans me renseigner sur le pays. Quand je suis arrivé, j’étais à l’hôtel avec la sélection dans leur petit Clairefontaine à eux. C’est à 11 kilomètres du centre de Bangui, pile dans le quartier où tout a commencé. À 6h du matin, on me réveille en sursaut, en me disant qu’il y a des coups de feu. Moi, j’avais rien entendu du tout, dans ma tête j’étais en vacances aux Seychelles ! J’avais jamais entendu le son d’une kalachnikov, et le premier jour ça a tiré toute la journée sans s’arrêter. C’est violent une kalachnikov. Je ne comprenais pas ce qui se passait au début. Mais comme finalement on est restés 10 jours coincés dans l’hôtel, on a eu le temps de m’expliquer (rires).

Vous avez eu peur ? Oui. Je ne me suis jamais senti en danger physiquement parce qu’on était à l’intérieur de l’hôtel mais j’ai eu peur. Le moindre mec peut se faire découper là-bas. Juste à côté de l’hôtel, les Séléka ont attrapé un type. Ils l’ont découpé un peu puis ils l’ont laissé souffrir et sont allés au bout du chemin où ils en ont tué deux autres. Nous on ne pouvait pas sortir pour l’aider, mais on entendait le mec souffrir. Il gémissait.
Après, les Séléka sont revenus et l’ont achevé.

Comment les joueurs de la sélection vivaient la situation dans l’hôtel ? C’est des mecs extraordinaires. J’ai passé huit jours avec eux, tous enfermés, et j’ai pas vu une seule engueulade entre eux. Personne n’est payé, ils gagnent 30 euros par mois mais rien, pas un mot. Les joueurs ont pas pu s’entraîner pendant 8 jours, ils couraient dans l’hôtel, faisaient des abdos, des pompes. J’ai vu des cordonniers venir pour recoudre leurs vieilles chaussures. Ils ont absolument rien. Il y a deux stades dans le pays, un terrain en synthétique et le Centre national. C’est fou parce que c’est un pays qui regorge de talents et les gens sont passionnés par leur sélection.

Vous avez senti ça même en étant bloqué dans l’hôtel ? Jeudi dernier, quand ils sont allés prendre leur avion pour le Gabon, il y avait des mecs partout pour les voir alors que c’est super dangereux d’être dans la rue. Mais ils sont quand même venus les applaudir. La Centrafrique, ça transpire le foot : regarde les vidéos du match contre l’Algérie, on dirait Saint-Étienne 1976.

Finalement, ils les ont bien aimé vos maillots ? C’est le pire dans cette histoire : ils les ont oubliés ! C’était des trucs de pros, je leur avais fait des beaux équipements. Ils avaient pas assez d’argent pour payer un billet à l’intendant : au final il y avait trois sacs de matériel et comme ils sont partis en catastrophe ils ont pris que celui avec les chaussettes et les protège tibias. L’Afrique, c’est un truc de fou ! En vérité, ils pensaient pas pouvoir arriver à temps au Gabon, ils croyaient devoir déclarer forfait. Les joueurs sont partis le jeudi à 14h, sans manger. Ils arrivent à Douala vers 17h, prennent un bus de 15h pour aller au Gabon. Ils ont pas bouffé de la journée, et sont arrivés là-bas à 11h, pour un match qui commençait à 15h30. Au final, ils gagnent 1-0 contre le Tchad et le seul musulman de l’équipe met le but. Et là ils viennent d’éliminer le Cameroun, ils jouent la finale de la coupe samedi. Énorme.

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Propos recueillis par Pierre Boisson

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