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Malouda : « Concernant Knysna, il y a plusieurs vérités »
À trente-six ans, Florent Malouda s'approche tranquillement de la fin de sa carrière. Fort de ses quatre-vingts sélections, il revient sur son parcours en Bleu, entre capitanat, débats tactiques et Knysna.
Est-ce que le foot est un sport individuel ?C’est un sport collectif, mais à l’intérieur, chacun personne doit être compétitif. On va dire qu’il y a une utopie de sport collectif, mais c’est très très individuel. Je parlais de la remise en cause : si un joueur ne se remet pas en cause, sa carrière peut vite se terminer. Ça peut être très brutal. J’ai grandi en Guyane et c’est quelque chose que j’ai découvert à quinze ans. Je me souviens au centre de formation, lorsqu’au mois d’avril, on te dit : « Toi, on te garde, toi tu pars. » J’avais un partenaire qui venait de Martinique, on lui a dit : « Tu veux un billet de train pour Paris ou d’avion pour Fort-de France. » À ce moment-là, tu te rends compte que t’es seul. Tu réalises que tu dois te prendre en charge et que tu es dans une compétition, même avec tes partenaires.
Tu as la réputation d’être quelqu’un d’assez franc…
Je dis ce que je pense, ou je ne dis rien ! (rires) C’est aussi parce que j’ai basé ma carrière sur mes compétences. Je n’ai pas basé ma carrière sur un réseau. Au niveau de l’image, je n’ai pas eu besoin de plaire pour m’imposer dans les équipes où j’ai joué. Que ce soit dans un vestiaire ou lors d’une prise de parole publique, je ne cherche pas à faire des remous. Lorsque je m’exprime, c’est pour dire ce que je pense, pas pour suivre un courant. Sinon, je préfère ne rien dire.
En équipe de France, est-ce qu’on a vraiment le temps de bosser la tactique ou est-ce qu’on est plus dans la gestion de groupe ?Les deux sont très importants. Mais il faut différencier les rassemblements pendant les périodes d’activité en club et la préparation des compétitions. Dans ce dernier cas, il y a plus de temps pour mettre en place des choses tactiquement. Ensuite, tu t’adaptes aux joueurs que tu as, à leurs spécificités. Si les joueurs n’adhèrent pas et que ça ne leur correspond pas, ça va coincer. C’est aussi l’implication des joueurs qui permet à un entraîneur de travailler tactiquement. Et puis, il y a les ambitions. Quand tu es l’équipe de France et que tu veux gagner un tournoi, tu ne peux pas jouer comme une équipe qui veut juste passer le premier tour. Ça ne marche pas. Le temps est court, il faut faire appel à l’intelligence des joueurs. Quand tu as des joueurs très intelligents comme Makelele, pas besoin d’un stage de vingt jours après une discussion tactique avec lui pour qu’elle soit appliquée.
La génération post-98 a tâtonné pour trouver un capitaine, et on a l’impression qu’il y avait la place pour toi. Pourquoi ça n’a pas fonctionné ?Honnêtement, je ne me suis pas posé la question, et je n’ai pas ressenti de frustration par rapport à ça. Pour moi, c’est une fierté déjà d’avoir été capitaine une fois. Et les capitaines ne sont pas les seuls leaders. Ça se passe souvent bien quand il y a un groupe de capitaines. Le capitaine, c’est plus pour l’image, car il faut un leader pour les médias, pour le symbole. Mais une équipe avec un seul leader et un capitaine seul, ça ne marche pas. Il faut qu’un groupe de joueurs soit investi, parce que c’est épuisant, surtout en équipe de France où tu as tellement de choses à gérer. Donc personnellement, je suis plus fier des quatre-vingts sélections que d’avoir été capitaine une fois (contre la Biélorussie, en septembre 2010, ndlr). Même si je remercie Laurent Blanc de m’avoir confié le brassard, c’était d’ailleurs une très bonne période avec lui. J’ai apprécié. J’étais content, même sans le brassard, car ce n’était pas facile après Knysna.
Avant la Coupe du monde 2010, tu confiais au Guardian qu’il fallait que l’équipe de France revienne à ses traditions, c’est-à-dire un jeu discipliné, avec des contre-attaques rapides. Pourquoi alors dans l’imaginaire, tout le monde attend une équipe flamboyante ?
Ça dépend souvent des résultats. Les gens ne se rendent même pas compte qu’on jouait comme ça ! Si on demande comment on jouait en 98, peu de gens se souviennent que l’équipe de France était assez solide et qu’elle se faisait aussi démonter dans les médias pour ça. (Rires) Les résultats ont fait oublier cette identité. On a souvent eu une culture tactique avec des joueurs athlétiques. Même en 2000, avec Henry, Anelka, Pires, Vieira… On avait une force au niveau athlétique et dans la vitesse. Il y a la science tactique française, alors qu’on parle souvent des Italiens. On est pas mal là-dedans, mais plus dans la contre-attaque. D’ailleurs, la plupart des équipes maintenant jouent en contre-attaque. Et il n’y a pas de honte à ça.
C’est ce que vous aviez réussi à faire en 2006…Oui, la Coupe du monde 2006 s’est très bien passée comme ça. À part Zidane qui était libre, c’était un peu un jeu d’échecs. Même Thierry Henry avait très peu de libertés, et pourtant il était très efficace. Tout le monde se souvient de 2006 comme une très belle épopée et personne ne se plaignait. Mais on a eu du mal à sortir des poules ! Après, on a battu les meilleures équipes de monde avec un style de jeu qui fait l’identité française. Avec cette rigueur-là, on a archidominé physiquement nos adversaires. Ce n’est pas péjoratif de dire que, physiquement, on était compétitifs. Même la nouvelle génération ! Regarde Pogba, Martial ou Coman, ce sont quand même des monstres.
Tu as senti un retour des Bleus à ce style pendant l’Euro cet été ?Forcément, une équipe de Didier Deschamps, tactiquement, t’es au point ! Après, ce qui était beau, c’était la vitesse des enchaînements et des transitions. On a vu que cette équipe, bien organisée, peut mettre de la vitesse et être dangereuse. On a battu les champions du monde allemands dans un match de très haute intensité. Et il n’y avait rien à dire.
En équipe de France, personnellement, tu retiens plus une épopée comme 2006 ou un fiasco comme 2010 ?Être en équipe de France, ça marque. En 2006, tout s’est bien passé au prix de beaucoup d’efforts. On parlait de sport individuel tout à l’heure. Moi, en 2006, j’ai perdu un cousin qui a été assassiné, j’ai eu des hémorroïdes…
Individuellement, j’ai dû aller au-delà de mes limites physiques et mentales pour quelque chose qui a été beau à la fin. C’était quelque chose de difficile pour moi. Knysna, collectivement, c’était aussi très difficile, mais je n’avais pas été perturbé individuellement. Disons que c’est un tout. Humainement, c’est très enrichissant. Quand tu as traversé ça et que tu prends le recul, tu vois que tu as réussi à digérer et encaisser beaucoup de choses en tant que personne. Que ce soit dans le positif ou dans le négatif. Après, oui, c’est plus agréable d’aller en finale de la Coupe du monde que d’être ridicules à Knysna. Mais de toute ma carrière en équipe de France, je n’ai pas envie d’enlever un mauvais moment. Quand tu portes le maillot bleu, quoi qu’il arrive, tu donnes tout, tu n’as pas le choix.
Concernant Knysna, est-ce qu’un jour un ou plusieurs d’entre vous diront la vérité sur ce qu’il s’est passé ?Ce qui est bizarre, c’est que les gens attendent une vérité. Ce qui est frappant, c’est qu’il y a autant de personnes que de points de vue. La disparité et l’éclatement du groupe font que chacun a vécu une histoire différente. Et même des fois, quand on en reparle entre nous, on apprend encore des choses. Donc, à moins de faire une série documentaire ou d’écrire des encyclopédies, il est difficile de contenir tout ce qu’il s’est passé et d’arriver en disant : « Voilà, telle est la vérité. » Ce que je ressens, c’est que chacun défendait ses intérêts. Chacun a vécu l’histoire à sa façon et chacun pensait qu’il avait raison. Il ne peut exister une seule vérité. Forcément, on attend un truc qui a tout déclenché vu l’ampleur que ça a pris, le décalage que les gens ont ressenti et qu’ils se sont dit : « Comment peuvent-ils en arriver là ? » Mais c’est une succession de choses, il n’y en a pas une pour rattraper l’autre.
Propos recueillis par Guillaume Vénétitay, à Delhi