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Wuhan, nid d’espions

Par Christophe Gleizes et Raphaël Gaftarnik. Tous propos recueillis par CG et RG, sauf ceux de Heiner-Moller tirés de Sports Illustrated.
7 minutes
Wuhan, nid d’espions

À la veille d’un match contre la Chine lors du mondial féminin 2007, le sélectionneur danois Kenneth Heiner-Moller débusque deux individus dissimulés derrière un miroir, en train d’essayer de filmer sa causerie tactique. Une certaine idée de l’espionnage...

Avec son énorme sphère placée au sommet de ses 43 étages, le Howard Johnson Pearl Plaza est l’un des plus beaux hôtels cinq étoiles de la ville de Wuhan. C’est ici, en septembre 2007, que la sélection du Danemark s’installe pour disputer la Coupe du monde féminine. Son premier match l’oppose à la Chine, pays organisateur, et représente déjà un tournant entre les deux outsiders du groupe D, dans lequel le Brésil fait figure d’immense favori. Le 11 septembre, veille de la rencontre, le sélectionneur Kenneth Heiner-Moller descend dans la grande salle de réunion, une demi-heure avant tout le monde. Il veut vérifier que tout est en place pour sa traditionnelle causerie tactique. « Tout était en ordre, donc j’ai déambulé un peu au travers de cette grande pièce, au hasard de ma curiosité. Soudain, en regardant longuement les miroirs sans tain placés au fond, j’ai réalisé qu’il y avait deux mecs en train de me fixer de l’autre côté. Ils étaient assis, et me regardaient dans les yeux, sans bouger un muscle. J’avais l’impression qu’ils pensaient que je ne pouvais pas les voir. »

Il croit même voir les intrus braquer deux grosses caméras sur la salle. Kenneth veut en avoir le cœur net : « J’ai appelé mon assistant, et on a décidé de les faire sortir. J’ai fait le tour, puis j’ai toqué à la porte. Aucune réponse. On s’est alors placés en face des miroirs et on leur a crié de se montrer. Là, ils ont rapidement éteint les caméras, ont commencé à parler et à passer des coups de fil. On avait beau insister, ils ne voulaient pas ouvrir la porte. » Au bout de trente minutes, le manager de l’hôtel arrive, et les deux compères finissent par sortir de leur bunker. Maiken Pape, l’ancienne attaquante de l’équipe, se souvient : « C’était le chaos. Moi et une autre joueuse, Katrine Pedersen, étions les premières à descendre pour la réunion. Quand nous sommes arrivées, il y avait une grosse discussion entre la police, le staff, des gens de la FIFA et le manager de l’hôtel. On ne comprenait rien. Tout le monde criait, se poussait. Les membres de la Fédération essayaient de retenir deux Chinois qui tentaient de s’enfuir, et qui ont finalement été emmenés par la police. » La causerie du coach aura bien lieu quelques heures plus tard… dans le hall de l’hôtel, à côté de l’ascenseur ! « C’était étrange, mais on n’a pas posé de questions, se rappelle Anne Dot Eggers Nielsen, milieu de terrain, capée 118 fois. Le coach ne nous a pas parlé de l’incident, et nous avons joué sans réellement comprendre ce qu’il venait de se passer. »

Kenneth Heiner-Moller

Arrosage et grand orchestre

Ce joli tohu-bohu à l’Howard Johnson Pearl Plaza n’est en réalité que le point d’orgue d’une semaine pour le moins mouvementée. Lors de sa première visite au terrain d’entraînement, la délégation danoise constate ainsi que l’herbe n’a pas été coupée, laissant la pelouse à la limite du praticable. Elle ne sera jamais tondue, malgré les demandes répétées du staff. « Cela, passe encore. Tout le reste était fonctionnel, le stade était pas mal », commente Anne Dot Eggers Nielsen. Mais le lendemain, nouvelle surprise ! Pendant la nuit, quelqu’un a creusé un trou large d’un mètre, en plein milieu du terrain. « C’était comme si quelqu’un faisait tout pour interférer au maximum avec notre préparation », assure Maiken Pape, qui raconte également que le système d’arrosage s’est activé plusieurs fois, en plein entraînement, forçant l’arrêt des séances. « On a aussi eu le droit à un grand orchestre, sourit l’ancienne buteuse de Brøndby et Stabaek. Un groupe de 30 musiciens s’est installé au bord du terrain, juste à côté des barrières. Ils jouaient si fort avec leurs trompettes et leurs tambours qu’on ne pouvait plus entendre les consignes du coach. » À l’époque, les Danoises se forcent à croire au concours de circonstances. « Parfois, nous avons rigolé de certaines situations. Je pense que personne n’a compris à quel point c’était sérieux », explique Maiken Pape. Mais lors du dernier entraînement à huis clos, ces dernières se rendent à l’évidence : quelque chose ne tourne pas rond. « On était en train de faire des combinaisons sur corner lorsqu’on a remarqué un homme en train de nous filmer, depuis un immeuble abandonné qui surplombait le terrain », retrace Anne Dot Eggers Nielsen, qui lui adresse alors un bras d’honneur. S’ajoute finalement à toutes ces péripéties l’affaire des deux zigotos derrière le miroir… Des méthodes d’espionnage pas si discrètes qui rappellent plus Johnny English que James Bond.

En regardant longuement les miroirs sans tain, j’ai réalisé qu’il y avait deux mecs en train de me fixer de l’autre côté.

Une enquête bâclée

Attendu par tout un peuple, le choc Chine-Danemark se tient le 12 septembre à 20 heures, devant les 50 000 spectateurs du Wuhan Sports Center Stadium. Les Danoises sont rapidement menées 2-0. « L’arbitre a clairement aidé les Chinoises. Je me suis même demandée si elle n’avait pas été payée, fulmine Maiken Pape, toujours énervée à l’encontre de la dénommée Dianne Ferreira-James, originaire du Guyana. À la 30e minute, une Chinoise fait faute en m’agrippant par le maillot, mais l’arbitre siffle contre moi, sans raison. Sur le coup franc, on se mange une frappe pleine lucarne. » Malgré tout, les Danoises, favorites, se rebiffent. Anne Dot réduit la marque à la 51e minute sur corner, avant de voir sa compatriote Cathrine Paaske égaliser d’une tête lobée. Une remontée que les visiteuses n’ont pas le temps de savourer. À la 88e minute, les efforts scandinaves sont réduits à néant, lorsque Song Xiali envoie un missile sous la barre de Heidi Johansen, scellant pratiquement le destin de ce groupe D – le Danemark, battu plus tard par le Brésil, finit troisième derrière les Chinoises.

À la fin de la rencontre, Kenneth Heiner-Moller l’a mauvaise. Hors de lui, le coach danois refuse de serrer la main de son homologue suédoise Marika Domanski-Lyfors, alors à la tête des joueuses locales. Il avoue cependant, près d’un an après, ne pas la croire impliquée dans l’affaire : « Marika est une bonne coach. Je l’apprécie personnellement et professionnellement. Il n’y a aucun problème entre nous. » Alors, c’est quoi le problème ? À qui la faute ? Saisie par la Fédération danoise, la FIFA botte en touche. L’institution internationale assure avoir fait « tout son possible »pour obtenir l’identité des deux cinéastes amateurs emmenés par la police chinoise. Sans succès. Avant de clore cette brillante enquête, Nicolas Maingot, son porte-parole, employé au service com de la FIFA, explique que l’affaire concerne d’abord l’hôtel et les autorités chinoises, et que par conséquent, « il ne s’agissait pas d’un sujet sportif ». Une attitude qui fait doucement rigoler Anne Dot Eggers Nielsen : « C’est ridicule. Pour quelle autre raison ces types auraient-ils pu nous espionner ? Malheureusement, nous sommes un petit pays, et la FIFA est très puissante. » Les médias danois, passablement remontés, n’ont à l’époque pas plus de réussite pour soutirer des infos aux Chinois, soucieux d’éviter un scandale à la veille des JO de Pékin de 2008. Interrogé par la presse, le porte-parole de la Fédération de l’empire du Milieu a rapidement éteint l’incendie, avec un savoir-faire et un calme que le monde lui envie : « Nous avons entendu parler de ces accusations, mais, après enquête, il est avéré qu’un tel incident n’a pas eu lieu. » Ça évite d’avoir à se regarder dans une glace.

Cet article est paru initialement dans le magazine SO FOOT #142. Découvrez toutes nos offres d’abonnement à SO FOOT, à partir de 20 euros par an.

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