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Wissa : « Ma mère voulait me voir à la télé »
Dynamite offensive avec l'AC Ajaccio lors de la première partie de saison, Yoane Wissa a été transféré cet hiver à Lorient avec lequel il revient à François Coty vendredi soir. Entretien entre rugby, vie au centre de formation et un ami d'enfance : un certain Tanguy Ndombele.
Il paraît qu’enfant, tu rêvais de devenir astronaute. C’est vrai ?(Rires.) C’est vrai que quand j’étais petit, ça m’arrivait d’en rire avec mes copains. Après, c’était surtout sur le ton de la blague. Mon rêve a toujours été de devenir footballeur professionnel.
Un rêve que tu as rapidement partagé avec ton pote d’enfance, Tanguy Ndombele, à Épinay-sous-Sénart (Essonne). De quoi était faite cette enfance ?On jouait au foot, on rigolait, c’était très simple en fait, surtout que j’ai grandi dans une famille qui aimait le foot. On était toujours avec un ballon et, à cette période, avoir un ami comme Tanguy, c’était parfait. On se rejoignait toujours sur le terrain avec d’autres petits. C’était rythmé comme ça : aller à l’école, sortir, jouer au foot, rentrer, regarder des matchs, dormir… Ça tenait vraiment à ça. Quand on jouait, c’était difficile de nous arrêter, mais c’est normal, on n’avait que ça. Aujourd’hui, on est fiers parce qu’on a réussi notre rêve de gosse.
Tu as commencé dans les buts, c’était ça ton rêve ?En fait, la veille d’un match, je m’étais mis dans les buts et personne n’arrivait à marquer. Le lendemain, notre gardien titulaire n’est pas là et on m’a mis à sa place. J’ai seulement arrêté d’être gardien, car ma mère voulait que j’arrête. Elle m’a dit : « Tu dis à ton coach que je ne veux plus que tu ailles au goal. » Tout ça parce qu’elle disait qu’à la télé, on ne voit pas les gardiens. Elle m’a demandé de passer sur le champ pour me voir à la télé. Après, si un jour il y a besoin, je suis prêt à y retourner.
Tu as aussi été rubgyman un temps, non ?J’ai commencé en CM2 avec ma classe et j’y ai surtout joué au collège. J’ai vraiment aimé ça, je jouais sur l’aile. J’ai pas mal bossé grâce à ça, dans les duels, les contacts. Encore aujourd’hui, dès qu’il y a un match, je regarde.
Pour toi, ça n’a pas toujours été simple. Après ton arrivée à Châteauroux en 2013, à l’âge de seize ans, tu t’es rendu compte que le foot pouvait devenir un métier alors que tu venais d’un « milieu où le foot était plutôt un plaisir » . Cette bascule a été compliquée à vivre ? En fait, avant, on ne connaissait pas le professionnalisme, le foot était un amusement, c’est tout. On ne savait pas qu’il fallait faire attention à tout : à ce que tu manges, ce que tu dis, ce que tu fais, la façon dont tu dors… Quand je suis rentré au centre de formation, j’ai compris que le foot, c’était plus qu’un simple plaisir. D’un coup, je suis passé à un entraînement quotidien alors qu’avant, c’était une ou deux fois par semaine. C’est vrai qu’à ce moment-là, j’ai reçu une belle baffe, j’ai mis un peu de temps à m’intégrer, mais une fois le rythme pris, j’ai compris que certains sacrifices étaient nécessaires si je voulais atteindre mon rêve.
Tu n’as jamais eu envie de rentrer chez toi ?Franchement, non. Ma chance a été d’intégrer le centre quand j’avais seize ans, soit à un âge où tu peux comprendre les choses. J’ai pas mal discuté avec mes parents, avec mes frères, mais je n’ai pas pensé à l’abandon, et ce, même si, à un moment, ma famille me manquait. J’ai certains amis qui sont partis, eux, et ils l’ont regretté derrière. Ce qui est difficile, en fait, c’est le centre de formation en lui-même parce qu’on ne connaît pas ça, c’est nouveau. Tu as seize ans, tu arrives dans un univers qui t’est complètement inconnu, avec de nouvelles personnes, un nouveau style de vie, surtout qu’à Châteauroux, le centre de formation est dans la forêt et que tu ne peux sortir qu’une seule fois par semaine. C’est aussi comme ça que tu apprends la rigueur.
Justement, un jour, à Angers, où tu as signé en juillet 2016, Stéphane Moulin t’a recadré sur ta forme physique, notamment ton surpoids. Je pense qu’au centre, on ne nous parle pas assez de ce passage au monde professionnel, des petites différences qu’on va découvrir. Quand j’ai signé pro à Angers, je ne pensais pas que le poids pouvait avoir un impact sur la performance. Le coach a su me dire les choses comme elles étaient, et j’ai commencé à faire attention à la façon de me nourrir.
Parce qu’avant tu mangeais n’importe comment ?Non ! (Rires.) Le truc, c’est que j’ai moins joué lors de mes six derniers mois à Châteauroux, que j’étais souvent un peu blessé… Dans ces périodes-là, on mange, mais on ne fait pas attention à son poids. Plus le temps passe, plus on grossit.
Il y a d’autres choses auxquelles on ne t’a pas préparé en centre de formation ?Quand on débarque, on ne sait pas à quel point le foot est difficile, on ne sait pas vraiment dans quel monde on rentre, on n’est pas préparé aux agents, à ces choses-là… Personnellement, je pense que je n’ai pas été préparé à tout ça. Surtout qu’aujourd’hui, le rôle du joueur a un peu évolué : on représente quelque chose, pour les clubs, pour le public à qui l’on doit donner du bonheur, pour les enfants auprès de qui on doit être des exemples. Si tu fais une erreur, tu dois comprendre que ça va toucher beaucoup de monde, que ça peut être mal interprété. Il faut faire attention à ce qu’on est parce qu’on est aussi une image.
Ton apprentissage s’est aussi construit à travers des prêts, notamment le premier de ta carrière, à Laval, l’année dernière, avec qui tu as connu une bataille pour le maintien et une relégation en Ligue 2. Qu’as-tu appris de cette période ?Le plus dur à accepter, c’est que je voulais jouer à Angers, mais que je n’en ai pas vraiment eu l’occasion. Mais ça, c’est entièrement de ma faute. Il a fallu l’accepter, l’intégrer et le comprendre. Je n’ai pas mis tout de suite toutes les chances de mon côté. Partir à Laval, c’était une vraie envie, un projet dans lequel j’ai pu grandir : je voulais reprendre du plaisir. C’est vrai que les conditions n’étaient pas idéales, mais moi, ça m’a formé, c’était de la Ligue 2 et j’ai vraiment pu montrer ce que je valais. Le coach, Marco Simone, m’a aussi appris beaucoup de choses, mais c’est des discussions qui resteront qu’entre lui et moi.
Ton cas, cette saison, est quand même particulier : tu as d’abord été prêté à Ajaccio, où tu as marqué dix buts toutes compétitions confondues jusqu’à la trêve hivernale, et finalement, te voilà à Lorient depuis quelques jours. On t’a laissé le choix ?Les choses ont été bien faites. Quand on est footballeur, on sait que notre vie n’est pas toujours écrite. C’était mon choix de partir à Ajaccio, parce que j’avais eu de nombreuses discussions avec Olivier Pantaloni, l’entraîneur. J’ai donné le maximum possible durant cette première partie de saison et le projet de Lorient s’est présenté cet hiver. Pour moi, c’était le bon choix, j’espère que ça portera ses fruits.
Tu gardes quoi de l’ACA ?Beaucoup de choses, j’ai par exemple énormément appris au contact de joueurs expérimentés comme Ghislain Gimbert, Riad Nouri, de Johan Cavalli aussi ou Mathieu Coutadeur. Je souhaite tout le meilleur à ce groupe, vraiment. Je leur ai dit quand je suis parti, mais on va aussi se retrouver dès ce week-end en tant qu’adversaire. Au début, ça faisait bizarre, mais on est professionnels, on sait comment ça marche.
Comment ça se passe ces premiers jours à Lorient ?Très bien, je suis arrivé dans une équipe qui joue très bien au ballon. Quand on parle de Lorient, on parle de jeu à la lorientaise. C’est ce qui m’a plu et je m’en suis rapidement rendu compte lors de mes premiers matchs ici. On a perdu deux points contre Lens, mais on va essayer de les rattraper, dès ce soir.
Propos recueillis par Maxime Brigand