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Wim Tellier : « Comme un footballeur, je donne toute ma vie pour mon art »

Propos recueillis par Gad Messika
9 minutes
Wim Tellier : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Comme un footballeur, je donne toute ma vie pour mon art<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Wim Tellier n’est pas du genre à faire les choses à moitié. À 42 ans, ce photographe belge s’est fait un nom grâce à des œuvres aussi gigantesques qu’uniques. La dernière en date ? Un astronaute posé sur la pelouse du stade Roi-Baudouin, l’arène des Diables rouges. Rencontre avec un homme qui voit les choses en grand.

D’où vient ta passion pour le foot ? Je vais être honnête, je ne suis pas un grand fan de football, mais quand il s’agit des Diables rouges, c’est différent ! Quand ils jouent, on les supporte autant qu’on peut. Je préfère le football de nation où tout le monde, fan de foot ou non, peut se retrouver derrière son équipe.

L’homme dans sa combinaison est un symbole que derrière chaque joueur, il y a un humain, avec des sentiments. Il représente aussi la pression que ces personnes doivent savoir gérer.

Récemment, on a parlé de toi grâce à ton œuvre Closer, comment cette idée t’est venue à l’esprit ?
Je vais commencer par t’expliquer pourquoi le stade. Ces derniers temps, beaucoup de gens ont été confinés à cause de la COVID-19. Ils ne pouvaient ni sortir ni se divertir et encore moins aller au stade, un lieu où les gens se rassemblent pour y voir des moments uniques. Je voulais donc mettre dans un lieu déjà très fort une image tout aussi forte. L’idée de cet homme qui se protège grâce à sa combinaison, son scaphandre… Finalement, il ressemble aux joueurs de football. Parfois, on oublie même que ces personnes sont des humains. Alors, d’accord, sportivement, ils sont incroyables. En revanche, n’oublions pas que ce sont des enfants, des parents, des frères… L’homme dans sa combinaison est un symbole que derrière chaque joueur, il y a un humain, avec des sentiments. Il représente aussi la pression que ces personnes doivent savoir gérer. Beaucoup de gens disent : « Ils gagnent énormément d’argent », mais imagine la pression que ces gars-là doivent avoir ? Si t’as accompli quelque chose, tout le monde t’adore, tout le monde veut devenir ton ami. Ce n’est pas toujours pour les bonnes raisons, hein ! Chaque ami peut être un faux, juste à cause de ce que tu es ou de ce que tu as. À ce niveau, c’est complètement fou ! Le regard qui se porte sur eux n’est pas le même que celui qui se porte sur toi ou moi.

Est-ce qu’on peut dire que les joueurs vivent dans un monde à part ? Ces footballeurs qui ont atteint un certain niveau doivent aussi connaître une forme de solitude qui doit être terrible à vivre. Alors, on a décidé que, dans ce projet, il y aurait un seul et unique mec… Mais un grand mec ! (Rires.) Chaque projet me prend entre deux et trois ans. C’est toujours très conceptuel. J’ai essayé de faire des projets dans plus de soixante pays différents et ça a fonctionné. Enfin… En Belgique, c’est plus compliqué qu’ailleurs de voir mon travail être reconnu.

J’ai été le premier artiste dont on pouvait voir les œuvres depuis l’espace.

Et pourquoi ? Je ne sais pas, ça doit être les Belges ! (Rires.) Par exemple, j’étais le premier artiste dans le monde qui a pu avoir la permission de faire une exhibition de 3 hectares en Antarctique. Pour faire quelque chose comme ça, tu as besoin de la permission de 55 pays. Si tu es un Américain et que tu fais le même projet, tu passes pour un génie ! Autre exemple, j’ai été le premier artiste dont on pouvait voir les œuvres depuis l’espace. Alors, même si je me dis que la vraie reconnaissance n’est pas encore là, je donne tout mon cœur, toute ma vie pour mon art. Comme un footballeur.

Pourquoi avoir choisi le stade national ? C’était l’endroit parfait pour ce projet. J’ai contacté deux entreprises pour m’aider, et aucune n’a accepté. À un moment, je me suis dis : « Fuck, je vais le faire, peu importe comment ! » Finalement, quand j’ai essayé par moi-même, j’ai contacté la ville de Bruxelles. Moi, le Flamand qui habite Anvers. Alors, une fois que t’as décroché le rendez-vous, tu dois faire très attention à ce que tu dis ! (Rires.) À la fin, ils m’ont accordé la permission de pouvoir réaliser ce projet dans l’un des endroits les plus reconnaissables de toute la Belgique.

Sur le personnage, nous avons décidé de faire pousser des tulipes, comme ça, dès qu’elles vont pousser, l’homme dans sa combinaison sera submergé par toutes ces plantes.

D’ailleurs, je suppose que les portes du stade ne se sont pas ouvertes aussi facilement. Comment tu as fait ? Normalement, ça devait aller vite, sauf que, ce n’était pas aussi simple. On a discuté de mes anciens projets, de mon nouveau projet et lorsqu’ils ont accepté et qu’on a fixé une date, toute la ville de Bruxelles était bloquée à cause de la visite de Joe Biden. Et puis surtout, on ne pouvait pas se rater, car l’impression de ces œuvres coûtent un prix terrible. Ce projet a aussi été fait par rapport à certaines choses qu’on sous-estime. Au départ de la COVID-19, on pensait que c’était une petite grippe, non violente. Les gens ont sous-estimé cette maladie, et finalement, on le fait tout le temps et pour tout. C’est pour ça que sur le personnage, nous avons décidé de faire pousser des tulipes, comme ça, dès qu’elles vont pousser, l’homme dans sa combinaison sera submergé par toutes ces plantes. Il ne faudra pas non plus sous-estimer la nature !

Ça t’a fait quoi d’être dans un stade vide pendant la journée de préparation ? C’était complètement magique ! Tu ne vois personne, mais tu imagines tout le monde. Être aussi petit dans un tel lieu… C’est vraiment la chose la plus folle possible. De pouvoir applaudir et entendre l’écho des applaudissements arriver quelques instants plus tard de l’autre côté du stade… C’est fantastique ! (Rires.) Alors, quand ça commençait à prendre forme, les gens n’ont pas arrêté de me dire « mais ça ne va jamais marcher » et quand j’entends ça, ça me donne encore plus envie de réussir. Tout le monde me rigolait au nez, « c’est impossible », et bah, on l’a fait !

Je suis allé voir Canon Benelux et ils m’ont permis d’avoir une imprimante énorme, donc j’ai pu l’imprimer moi-même. L’impression de cette œuvre m’a pris quatre mois avec l’aide de ma femme.

Quelle a été la chose la plus dure à faire pour ce projet ? Le plus compliquée, ça a été de travailler parfaitement la photographie. Déjà qu’elle est immense, il fallait que la définition soit irréprochable ! Même avec les ordinateurs les plus performants, ça prend une plombe ! Je suis allé voir Canon Benelux et ils m’ont permis d’avoir une imprimante énorme, donc j’ai pu l’imprimer moi-même. L’impression de cette œuvre m’a pris quatre mois avec l’aide de ma femme. Imagine juste que cette photo pèse trois tonnes. L’une des choses les plus compliquées, avec le fait d’avoir des autorisations, c’est de faire une seule et unique feuille et quand tu la travailles, étant donné la taille, tu ne peux pas voir le rendu avant la fin. Tu ne peux pas faire de test, t’as une seule chance. Je ne vais pas te mentir, je me sentais un peu nerveux le jour J. On ne pouvait pas savoir ce qu’on posait : une main, une jambe… Impossible de le savoir avant ! Et puis, avec ma femme, on peut dire que c’était un beau test pour notre relation aussi ! (Rires.)

D’où vient cette passion pour les œuvres d’une taille immense ?Quand mon premier enfant est né, nous vivions dans un tout petit appartement d’Anvers et on n’avait aucune thune. Vraiment rien. Je voulais imprimer en énorme une photo de lui et je voulais le mettre partout. Pour ce faire, j’avais besoin de 180 000 euros. Alors, la question est simple : comment tu trouves cette somme, quand tu n’as pas un rond ? Par exemple, si tu travailles pour gagner 180K, ça prend énormément de temps. J’étais dans ma petite cuisine et je me suis dit : « Ok, j’ai deux mois pour trouver cette somme par une voie légale ! » (Rires.) La photo que je voulais imprimer fait 600 mètres de large. Donc j’ai décidé de numéroter chaque mètre et de les mettre à des prix allant de 1 à 600 €, en fonction des numéros. J’ai créé un site internet et ça a marché ! Même si le prix est différent, les gens achetaient la même chose. Ce que je n’aime pas dans l’art, c’est que tout le monde devrait avoir le droit d’y accéder. Ça veut dire que les gens normaux pouvaient se payer cette œuvre à un prix raisonnable, alors que les grosses entreprises payaient 600 euros pour exactement la même chose. Finalement, j’ai tout vendu en un mois et j’ai pu commencer un autre projet.

J’aime les stades, car les gens s’y rendent et ne sont pas jaloux. Ils se contentent d’apprécier le jeu, tu ne ressens pas de jalousie. C’est ce que je déteste le plus chez les gens, la jalousie. C’est le poison de la vie. Celui qui rend les gens malheureux.

En 2009, tu es devenu le premier artiste à utiliser l’Antarctique pour ton projet Protect 7-7. C’est autre chose qu’un stade de football, non ?
C’est complètement différent ! (Rires.) J’ai toujours aimé les défis, surtout dans des lieux spéciaux. Nous avons dû demander la permission à l’armée américaine pour le faire. Il a fallu aussi demander la permission à l’armée de pouvoir survoler la zone et pouvoir prendre des photos. Parfois, les choses folles sont possibles ! « C’est qui ce mec, il est fou ? Pour qui il se prend ? » Ils pensent que tout est arrivé comme ça… Mais non ! Rien n’est donné dans la vie, ça a été beaucoup de travail ! J’aime les stades, car les gens s’y rendent et ne sont pas jaloux. Ils se contentent d’apprécier le jeu, tu ne ressens pas de jalousie. C’est ce que je déteste le plus chez les gens, la jalousie. C’est le poison de la vie. Celui qui rend les gens malheureux.

Alors, qu’est-ce que tu penses du parcours de la Belgique à l’Euro 2020 ? Franchement, cette année, il y a moyen d’aller chercher la gagne ! On a une très belle équipe et on en est très fiers. Ils travaillent ensemble, font les efforts ensemble… Parfois, c’est très compliqué de travailler ensemble.

Dali faisait des images en 3D et des hologrammes, quarante ans avant que ça se fasse !

Selon toi, quel est le joueur le plus artistique que tu aies vu jouer ?Ronaldo, c’était un génie. Le Salvador Dali du football. Dans son pays, ce mec est un dieu. Comme Ayrton Senna. Ce que j’adore chez ces gars-là, c’est qu’ils donnent de l’espoir et des rêves à tout un pays. C’est la plus belle chose du monde. Ils sont au même niveau. À propos de Dali, chaque année, je me rends à Cadaques, près de Barcelone, pour visiter sa maison, mais aussi les endroits qu’il a pu fréquenter afin de pouvoir m’en imprégner. Le mec faisait des images en 3D et des hologrammes, quarante ans avant que ça se fasse !

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