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« Certains clubs français n’ont pas voulu prendre Kvaratskhelia »

Propos recueillis par Alexis Billebault
9 minutes
« Certains clubs français n’ont pas voulu prendre Kvaratskhelia »

Willy Sagnol ne savait pas grand-chose de la Géorgie, avant d’accepter d’en devenir le sélectionneur il y a deux ans. L’ancien défenseur des Bleus, qui n’avait plus entraîné depuis 2017, assure vivre une très belle expérience dans le Caucase.

Le dernier match de la Géorgie remonte au 17 novembre, en amical contre le Maroc (0-3). Là, votre équipe va enchaîner deux matchs en trois jours, dont un face à la Norvège d’Haaland, en qualifications pour l’Euro 2024…

Je suis heureux de retrouver mes joueurs et nos supporters. Quand nous avions affronté le Maroc aux Émirats arabes unis, certains d’entre eux étaient absents car blessés, et j’avais dû en rappeler certains qui étaient en vacances… Avant d’affronter la Norvège, on va jouer contre la Mongolie. J’avais demandé à ma fédération de trouver un adversaire potentiellement moins fort que nous, pour donner du temps de jeu à certains joueurs. Mais l’objectif principal, c’est la Norvège, bien sûr.

Dans un récent article, So Foot, qui se projetait sur l’année 2023, avait fait de la Géorgie un des potentiels qualifiés pour l’Euro allemand…

(Il se marre.) Votre confrère qui a écrit cela est optimiste… C’est sympa, vous le lui direz de ma part. Non, plus sérieusement, on sait que dans notre groupe, l’Espagne est le grand favori. La Norvège a Haaland, qui est un très grand joueur, mais il est bien entouré. On a aussi l’Écosse, et je sais combien il est difficile d’aller jouer à Glasgow, et Chypre, qu’il ne faut pas négliger. Je ne dis pas qu’on ne peut pas se qualifier. Je dis simplement qu’on va essayer de jouer un rôle dans ce groupe. Si nous sommes épargnés par les blessures, si je peux compter sur mon groupe de 18-20 joueurs lors de ces qualifications, je sais que nous pouvons poser des problèmes à nos adversaires. Mais une campagne de qualifications, c’est huit matchs, sur huit mois…

Poser des problèmes à plus fort qu’elle, votre équipe sait faire. Est-ce que cela vous rend confiant, malgré l’adversité ?

C’est vrai que lors des éliminatoires pour la Coupe du monde, on a battu la Suède à Batumi (2-0), accroché la Grèce à Salonique (1-1), et l’Espagne ne s’est imposée que dans les dernières secondes à Tbilissi (1-2). Je pense que sur un match, on peut battre n’importe qui. En revanche, sur la durée d’une campagne qualificative, ça peut se révéler plus compliqué, notamment physiquement.

La dynamique de la dernière phase qualificative de la Ligue des nations, avec un parcours quasi parfait (cinq victoires et un nul dans un groupe comprenant également la Bulgarie, la Macédoine du Nord et Gibraltar) ayant permis à la Géorgie d’accéder à la Ligue B, est forcément un avantage…

Oui. On a produit un football offensif, remportant cinq de nos matchs, dont deux contre la Macédoine du Nord (3-0, 2-0), qui venait d’éliminer l’Italie de la Coupe du monde et restait sur une participation au dernier Euro. L’équipe gagne des matchs, donc cela accroît la confiance et la motivation. Il existe en effet une vraie dynamique depuis plus d’un an. La sélection connaît une phase de progression. Elle a obtenu de très bons résultats en Ligue des nations, on va désormais se mesurer à une autre adversité lors des qualifications pour l’Euro. Tout cela reste fragile, mais on avance.

J’ai même essayé d’apprendre un peu la langue géorgienne, mais même mes joueurs m’ont conseillé d’abandonner !

Revenons à votre nomination, en février 2021. Comment est-elle intervenue, alors que vous n’aviez plus entraîné depuis 2017 et un passage dans le staff du Bayern Munich ? Aviez-vous renoncé à entraîner ?

Non pas du tout. Je n’étais pas dans une logique de ne plus entraîner. Simplement, pour des raisons d’ordre privé, je ne pouvais pas entraîner. J’avais eu des marques d’intérêt de la part de clubs et de sélections, mais ce n’était pas possible. Mais je n’étais pas pour autant déconnecté des réalités du football : j’étais consultant sur RMC, ce qui me permettait de suivre l’actualité et de parler foot. Et puis, j’ai eu cette proposition de la Géorgie. Je ne savais pas grand-chose ni du pays, ni du football local, même si j’étais venu à Tblissi en 2006 avec les Bleus (victoire 3-0 en qualifications pour l’Euro 2008, NDLR). Levan Kobiashvili, le président de la fédération, et que j’avais souvent croisé sur les terrains de la Bundesliga quand j’évoluais au Bayern (Kobiashvili a joué à Fribourg, Schalke 04 et au Hertha Berlin et a été 100 fois international géorgien, NDLR), m’a contacté, et j’ai très rapidement accepté.

Pourquoi ?

Le projet m’a plu, car on me proposait de bâtir, de travailler sur la durée, alors que dans les clubs, je n’ai plus vraiment l’impression qu’on cherche à construire. L’important, c’est d’avoir des résultats immédiats. Je n’ai pas beaucoup réfléchi avant de signer pour deux ans. Mon contrat a d’ailleurs été prolongé il y a quelques semaines pour deux ans de plus, avec une option pour deux ans de plus. J’ai aussi décidé de résider plusieurs mois par an à Tbilissi, car pour moi, il est essentiel, pour un sélectionneur, de connaître le pays, sa culture, ses traditions, ses habitants pour mieux connaître les joueurs. Bon, j’ai même essayé d’apprendre un peu la langue géorgienne, mais même mes joueurs m’ont conseillé d’abandonner ! C’est un alphabet qui n’appartient qu’à la Géorgie, ça a l’air très compliqué, et je communique avec eux en anglais et en allemand avec mon président.

Ce que Khvicha Kvaratskhelia réalise en Italie est extraordinaire. Je me souviens que lorsqu’il était libre après son départ de Russie juste après l’invasion de l’Ukraine, j’avais parlé de lui à certains clubs français, qui n’avaient pas voulu le prendre.

Il paraît que la Géorgie est un pays magnifique et que Tbilissi est une capitale très agréable…

Je passe environ sept mois par an ici. C’est mon travail que d’aller voir des matchs de championnat et de coupes d’Europe, de passer du temps à la fédération. C’est une fédération qui n’a pas de gros moyens, et qui veille donc à ce que chaque euro soit bien utilisé. Donc, oui, la Géorgie est un très beau pays, qui a une culture très riche, car il a notamment été occupé par les Ottomans, par les Russes, il y a eu la période soviétique, et les gens sont accueillants, chaleureux, on y mange très bien. Comme je vais voir des matchs en province, je peux me rendre compte de la beauté de ce petit pays. Quant à Tblissi… Effectivement, c’est une très belle capitale, très douce à vivre et dynamique. Et la Géorgie est un pays très sûr, un des plus sûrs du monde. Ici, vous pouvez oublier vos clés sur la portière de votre voiture, vous revenez une semaine plus tard, elle n’a pas bougé !

Comment pourriez-vous définir le joueur géorgien ?

Il a de bonnes qualités techniques. C’est d’ailleurs pour cela que je fais jouer mon équipe avec une défense à trois et des pistons très offensifs. On joue d’ailleurs avec sept joueurs offensifs. Après mon arrivée, on a petit à petit modifié l’équipe, en écartant en douceur les plus âgés pour prendre des plus jeunes, car nous avons besoin d’éléments vifs, rapides, endurants, pour répondre aux exigences du football moderne. J’ai donc quelques joueurs locaux dans ma sélection, principalement issus du Dinamo Batumi et du Dinamo Tbilissi, les deux meilleurs clubs du pays, qui auraient le niveau pour jouer en Ligue 2 en France. Les autres, c’est plutôt niveau National 1 ou National 2. C’est pour cela que j’encourage les joueurs à partir dans des championnats plus relevés, pour qu’ils progressent, et cela profitera aussi à la sélection.

Le regard sur les joueurs géorgiens a-t-il évolué ces derniers temps, notamment grâce aux performances du phénomène Khvicha Kvaratskhelia à Naples ?

Oui, cela y contribue. Ce qu’il réalise en Italie est extraordinaire. Disons que grâce à ce qu’il fait, on s’intéresse davantage aux Géorgiens, notamment en France. Je me souviens que lorsqu’il était libre après son départ de Russie (Rubin Kazan) juste après l’invasion de l’Ukraine, j’avais parlé de lui à certains clubs français, qui n’avaient pas voulu le prendre. Il avait passé quelques mois au Dinamo Batumi avant de partir à Naples, et on voit aujourd’hui le résultat. Aujourd’hui, certains clubs français m’appellent pour me demander des renseignements. Les mentalités évoluent… Mais je sais aussi que plusieurs de mes internationaux n’ont pas le niveau pour évoluer dans un des cinq meilleurs championnats européens. Il ne faut pas oublier que la Géorgie ne compte que 3,7 millions d’habitants. Le réservoir de joueurs est donc limité.

La Géorgie semble porter un intérêt prononcé pour sa sélection nationale : face à Gibraltar (4-0), il y avait 45 000 spectateurs, et 55 000 contre la Bulgarie (0-0) et la Macédoine du Nord (3-0) en Ligue des nations à Tbilissi…

Il y a toujours eu beaucoup de monde pour les matchs de la sélection. Les gens sont passionnés de football, et on sent qu’avec les résultats des derniers mois, il y a encore plus d’attente. Ne croyez pas qu’il n’y a pas de pression ici. Au contraire, elle est très forte, presque excessive, un peu latine, mais moi, cela me va parfaitement, car on ne peut pas avoir de résultats sans une certaine pression. Quand on m’a engagé, les gens me voyaient plus comme un ancien joueur du Bayern – il y a une base importante de supporters du club ici – et de l’équipe de France. Aujourd’hui, je suis vraiment perçu comme le sélectionneur national.

Mais vous pouvez toujours circuler en trottinette à Tbilissi, malgré cette notoriété ?

(Rires.) Oui, oui, toujours. Je n’ai pas changé mes habitudes. La voiture, je m’en sers surtout quand il pleut !

Avez-vous un plan de carrière ?

Non, pas du tout.

Vous en auriez le droit, à 46 ans…

Oui, mais je vous assure que ce n’est pas le cas. Pendant le Covid, et notamment lors des confinements, j’ai, sans doute comme beaucoup de Français, pas mal réfléchi. Notamment sur ce qui me rend heureux. Faire un plan de carrière consisterait à envisager des choses abstraites, et pas forcément réalisables. Moi, je fais un constat très simple. Je me suis dit : « Si tu es heureux en Géorgie, il faut y rester ! »

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Propos recueillis par Alexis Billebault

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