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Willy Sagnol : « Afficher son assurance, c’est dans l’ADN du Bayern »
277 matchs professionnels avec le Bayern Munich, 58 sélections avec l’équipe de France, Willy Sagnol était l’homme idoine pour évoquer la confrontation franco-allemande de dimanche et favoriser la paix entre l’ancien et le nouveau monde.
International français, joueur historique du Bayern, qui vas-tu supporter dimanche ?Quelle que soit l’issue de la rencontre, je serai heureux. Je n’ai aucune préférence pour le Bayern ou le PSG. J’ai une éducation où on m’a toujours appris « ne mord jamais la main de celui qui t’a nourri », donc je ne serai jamais contre le Bayern. Et je suis français, donc je ne serai jamais contre les Français. Je n’adhère pas à l’idée qu’il ne faut pas supporter Paris quand on est marseillais ou Lyon quand on est stéphanois. J’appréhende le football de manière globale, entière. Je comprends le supporter marseillais ou stéphanois, mais il faut avoir une perspective plus large, pour le pays, pour son développement, se dire que le succès d’une équipe est le succès de toute une nation, au-delà du simple indice UEFA.
Toi qui as entraîné le Bayern, l’équipe actuelle est-elle la meilleure de son histoire ?Non, malgré le 8-2 contre le Barça, malgré la centaine de buts marqués sur toute la saison ou malgré les 23 matchs d’affilée sans défaite. On ne peut pas comparer des générations, c’est impossible, ou alors seulement via les titres. Et 1974, 1975, 1976 voilà, trois titres européens de suite, qui peut faire ça ? C’est le Bayern des années 1970 la meilleure équipe de tous les temps, clairement. D’autant plus que, pour l’instant, le Bayern 2020 n’est pas encore champion d’Europe. Et même s’il gagne, ça ne sera qu’une Ligue des champions, sur une seule saison.
Est-ce que tu trouves d’ailleurs que cette C1, version covid-19, avec Final 8 et matchs secs sur terrain neutre, est dévalorisée ?Non, elle n’est pas dévalorisée, elle a la même valeur que toutes les autres. Ça reste une Coupe d’Europe. La seule chose qui me dérange, ce sont les tableaux prédéfinis où, dès les quarts, les clubs pouvaient connaître et anticiper leurs futurs adversaires. Il fallait maintenir l’idée d’un tirage au sort à chaque tour afin de remettre du suspense et de la surprise. Regarde le parcours du PSG, il est en finale de C1 sans avoir joué, en phase finale, un top 12 européen. Dortmund, Atalanta, Leipzig, ce n’est pas du haut level. Lyon, quant à lui, a dû gravir 25 fois l’Everest pour arriver jusqu’en demi-finales. Ils ont joué la Juve, City, le Bayern, ils se sont fait 3 des 7 meilleures équipes européennes depuis 10 ans. Et le PSG aucune. L’autre élément qui me dérange avec ce final 8, et m’empêcherait de soutenir ce format dans le futur, c’est le manque de lien avec les supporters. Le football appartient aux supporters, il n’appartient pas aux clubs, il n’appartient pas aux joueurs, il n’appartient pas aux dirigeants. Tu dois avoir des matchs chez toi, à domicile, devant ton public. Il faut continuer les matchs aller-retour à la maison pour les supporters, pour eux. Il faut aussi revoir le système des buts à l’extérieur, supprimer la règle du « compte double en cas d’égalité », il manque de l’équité avec ce système. Une équipe qui a gagné 3-1 au match aller et qui perd 2-0 se fait sortir avec cette règle, alors qu’elle a mis 3 buts chez elle en 90 minutes.
Le Bayern apparaît comme un ogre face au PSG. A-t-il des faiblesses ?Sa force est aussi sa faiblesse, son sentiment de dominance. Dominer, c’est une grosse force, tu vas contrôler le jeu, avoir beaucoup confiance en toi, afficher ton assurance, c’est dans l’ADN du Bayern. Mais la frontière entre dominance et arrogance est fine. On l’a vu lors du match contre Lyon, avec la gestion des attaquants, lorsque l’adversaire avait la balle. Les joueurs de Munich sont tellement obnubilés par l’idée de bien jouer et d’imposer leur jeu qu’il y a une mauvaise gestion des phases défensives. Lors des récupérations, le Bayern est lent à se repositionner et a du mal à refaire le pressing, il faut un temps d’adaptation et de remise en place et ils sont rapidement en difficulté en cas de contre. On l’a très bien vu face à Lyon, où les principales occasions viennent de ces moments-là. Des joueurs comme Alaba, comme Perišić, qui sont de très bons joueurs, pensent qu’ils vont toujours récupérer la balle grâce à leur vitesse. Mais face à Mbappé, ils ne pourront jamais lui reprendre la balle. C’est une arrogance qui peut se retourner contre eux en contre-attaque.
Économiquement, et en coulisses, le match ressemble à un conflit entre l’ancien et le nouveau monde, entre la rigueur et la stabilité allemande et les gazo-dollars qataris. En cas de succès de l’un ou de l’autre, penses-tu que cela sera la confirmation du modèle de la stabilité ou du pouvoir de l’argent ?Non, ce n’est pas comme cela qu’il faut voir l’opposition. Les deux équipes sont richissimes. Sans argent, tu ne gagnes pas la Ligue des champions. On parle souvent du milliard dépensé par Paris, mais le Bayern, c’est aussi 40 millions sur Pavard, 80 sur Hernandez, 50 sur Sané, 40 sur Tolisso, ils sont capables de mettre des grosses sommes. La différence n’est pas sur l’ancien et le nouveau monde, on ne peut pas le réduire à ça. Parce que dire cela, ça signifierait que les nouveaux clubs se sont imposés et que les historiques ont disparu. Alors que depuis 20 ans, il n’y a eu qu’un seul nouveau lauréat : Chelsea. Tous les autres étaient des historiques. Donc ce n’est pas parce que Paris gagne dimanche que cela va changer. Ça me fait penser à Aulas qui dit que parce que Lyon et Paris sont en demi-finales de C1, il faut demander à l’UEFA 4 places en Ligue des champions. Mais c’est exceptionnel, ce n’est arrivé qu’une seule fois dans l’histoire du foot français. On ne va pas changer une chose parce que c’est arrivé une fois. Par rapport à Paris, je dirais qu’on a ouvert la boîte de Pandore, avec les investisseurs étatiques et les fonds souverains, et qu’on ne peut plus la refermer. Maintenant, il faut faire avec. Le PSG est là, et c’est bien normal, c’est une suite logique. Et tout le monde en a profité, il y a eu un ruissellement, une dynamique, des effets multiplicateurs.
Comment vois-tu le Bayern et le PSG ?Pour parler d’eux et les comparer, je prends toujours le même exemple. Tu as deux personnes qui ont monté la même société, avec les mêmes résultats financiers et les mêmes parts de marché, qui ont réussi tous les deux. Seulement, tu as une personne qui est sortie d’un milieu populaire, rural, qui s’est faite toute seule, et en face, tu as une personne qui a hérité. Rien n’est critiquable. Tu ne vas pas attaquer un mec parce qu’il a hérité comme tu ne vas pas mettre en avant un autre parce qu’il a eu plus de difficultés pour y arriver. Finalement, les deux ont réussi, c’est l’histoire de la vie, point. C’est tout ce qu’on va retenir. C’est très français de vouloir critiquer les héritiers. Ceux qui ont les moyens devraient se sentir coupables, on l’entend en permanence lors des manifestations ou lors des débats politiques. On va critiquer le patronat ou certains secteurs, mais pourquoi ? Il faut seulement retenir la réussite et la valoriser. J’ai autant de respect pour le Bayern, historique, structuré et rigoureux, que pour le Paris Saint-Germain, qui s’est développé et, après 11 ans, a atteint la finale de la Ligue des champions. Pendant encore combien de temps va-t-on devoir désigner Paris ou City comme des « nouveaux riches » ?
Propos recueillis par Pierre Rondeau