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William, l’énergie
Irréprochable depuis qu'il est à l'OM, William Vainqueur espère plus que personne que son option d'achat soit levée auprès de la Roma. Pour le projet, parce qu'il est aimé, et surtout parce qu'il semble enfin apaisé depuis qu'il est sur la Canebière. Faux calme au tempérament explosif, l'ancien Nantais se bat depuis le début de sa carrière contre son impulsivité, et parvient enfin aujourd'hui à la dompter. Au prix de quelques efforts.
Il avance vers lui, les pectoraux en avant. Détail important, lorsqu’il ne sourit pas, le garçon fait involontairement montre de cette espèce de « resting bitch face » que l’on impute d’ordinaire à certains mannequins. Et là, William Vainqueur ne sourit pas. En face, assis sur son banc, Daniel Duroir revoit l’enfant du centre de formation d’Auxerre qui dormait chez lui cinq ans plus tôt. Il avait douze ans à l’époque et couchait dans un lit d’enfant : il en a désormais dix-sept, porte le maillot nantais et pourrait tenir un tête-à-tête contre l’éducateur. Ce dernier surplombe encore son ancien protégé d’un petit centimètre – 1,80m contre 1,79m –, mais la musculature du gamin donne un effet d’optique inverse. Que vient-il chercher ? Une explication ? Une revanche ? « Le centre de formation d’Auxerre n’avait pas la place de celui d’aujourd’hui, explique par téléphone Daniel Duroir. Alors on accueillait les enfants du centre en famille d’accueil. William habitait chez moi. Mais au bout d’un an, j’ai fait le choix de ne pas le conserver, il avait des gros soucis de comportement au collège. » Vainqueur répond aux profs et prend la porte de sortie bourguignonne, le traumatisme fondateur de sa carrière future. Alors au moment des retrouvailles ce 1er octobre 2006 pour la 8e journée de Ligue 1, à l’issue d’une défaite 1-0 sur un but de Daniel Niculae, la petite armoire aurait pu toucher deux mots à celui qui l’avait viré. Au creux de l’oreille : « T’as bien fait de me mettre une claque dans la gueule, sans ça je n’aurais peut-être pas réussi. » Fair-play.
Un combat contre l’impulsivité
Flash-back dix ans plus tôt, lorsque William Vainqueur débarque au centre de formation d’Auxerre après cinq ans passés au club de son enfance à Noisy-le-Grand. Considéré comme un joueur moyen de l’AJA, il se démarque pourtant par une combativité de chaque instant. « Je l’avais vu quelque temps avant les détections, on ne pensait pas qu’il passerait pro, se souvient Daniel Duroir. Il était un peu « bouleau » : pas très grand, un peu lent, peut-être en surpoids… Mais il était très fort balle au pied, notamment sur les coups de pied arrêtés. Et il était très motivé, toujours à l’écoute lors des séances d’entraînement. » Un élève attentif sur le terrain… mais moins en dehors. Daniel Duroir, qui accueille le jeune Vainqueur chez lui faute de places disponibles au centre de formation, doit régulièrement ouvrir le carnet de correspondance de son disciple. À l’intérieur, les commentaires écrits au stylo rouge de ses professeurs soulignent son mauvais comportement. En clair, « bouleau » , ça va, boulot, moins bien. Et Duroir, qui décide de garder ou non les éléments du centre, tranche en sa défaveur. « À un moment, ça m’a gavé. On avait des gros soucis de comportement au collège, il n’était pas sérieux, il répondait aux profs, il ne travaillait pas. Comme ça peut arriver avec les gamins de la région parisienne. »
Car oui, difficile de s’adapter à la vie stricte d’un centre de formation lorsque l’on a passé les treize ans de son enfance dans une cité du 93 entre Noisy-le-Grand et Neuilly-sur-Marne. Abdoulaye Ka, beau-père de William – il est le père de sa femme –, enlève ses gants au milieu d’une séance de boxe pour résumer la situation à sa manière : « Chacun son tempérament, explique-t-il.C’est dur dans les centres de formation. Et quand c’est dur, il faut répondre de temps en temps. C’est un petit qui vient de la banlieue, qui n’aimait pas se laisser faire, et qui avait l’habitude de devoir se faire respecter. »
William Vainqueur
Né le 19 novembre 1988À Neuilly-sur-Marne
Milieu défensifClub : FC Nantes (2006-2011), Standard (2011-2014), Dinamo Moscou (2014-2015), AS Roma (2015), Olympique de Marseille (depuis 2015) D’autant plus que, foot ou pas, millionnaire ou pas, William Vainqueur est un gamin élevé par des parents séparés, un épisode triste survenu très tôt dans sa jeunesse et qu’il prend garde à planquer dans le sable de ses souvenirs. Abdoulaye confie d’ailleurs à qui le veut que si « [il] le considère comme [s]on enfant. On est très proches l’un de l’autre, il me fait confiance je lui fait confiance. Il ne me cache rien » , il n’a jamais évoqué la séparation de ses parents avec lui. Tout juste sait-il que l’enfant vivait avec sa mère. Et c’est tout. Avant de s’assagir dans sa tête et dans sa carrière, Vainqueur a donc pas mal souffert, et souvent fait rejaillir ce combat sur le terrain. Avec le temps, l’impulsivité a disparu, remplacée par une dureté d’apparence. Et ce sont les difficiles étapes de cette transformation que racontent tous ceux qui l’ont connu.
Harvey « Vainqueur » Dent
Évincé d’Auxerre, Vainqueur repart donc en amateur, à Bussy-Saint-Georges, pour se ressourcer, faire le point et se remettre en question. Mais il ne faut pas longtemps pour qu’il ait sa deuxième chance. Après seulement un an, c’est le FC Nantes qui lui propose d’intégrer son centre de formation. Si William n’a pas changé de caractère, il a retenu la leçon et fait tous les efforts possibles pour se contenir. « Le gamin était quelqu’un d’assez renfermé, il ne parlait pas beaucoup. Il était assez sensible, et pouvait être excessif dans son comportement, se remémore Samuel Fenillat, actuel directeur du centre nantais et coach de Vainqueur à l’époque. Il avait ce côté impulsif où il pouvait dégoupiller. Il était à fleur de peau et on sentait qu’il avait eu quelques soucis avant de venir. » Cette agressivité refoulée se ressent sur le terrain, où Vainqueur fait beaucoup de fautes, ne supportant pas « de se faire passer » .
Un côté tête brûlée de « Double Face » Vainqueur qui fait encore partie de lui aujourd’hui, malgré un contrôle de soi et une maturation psychologique accrus. « Il est très calme et serein. Mais il est capable de péter un plomb à tout moment » , s’amuse Paul-José Mpoku, l’un de ses plus proches coéquipiers au Standard de Liège entre 2011 et 2014. Et pour cause, le milieu de terrain congolais était aux première loges de l’un des pétages de câble occasionnels de son coéquipier : sorti sur blessure lors d’un match contre Bruges, une mésentente avec le kiné avait suffi à faire sortir de ses gonds le faux calme Vainqueur.
Résultat : un énorme coup de poing dans l’un des casiers du vestiaire, enfoncé. Un épiphénomène qui ne doit pas cacher que c’est à Nantes que le bonhomme est parvenu à dompter ses nerfs et ses réactions disproportionnées. Car contrairement à Auxerre où il est lâché dans la masse, poisson parmi les poissons, il peut profiter en Loire-Atlantique d’un suivi beaucoup plus individualisé. Et notamment là où il s’égare le plus : l’école. Dans des classes réduites de cinq ou six, une proximité, une intimité naît avec l’encadrement : « Il avait besoin de sentir qu’il y avait une vraie relation avec l’adulte au-dessus de lui, assure Fenillat.Quand il y a ça, il est capable de s’engager vraiment. » Un mantra qui fonctionne devant les tableaux noirs, mais aussi sur le terrain.
« Si tu agis dans le dos, il peut le rendre sans hésiter »
Construit sur les bases d’une absence de père au quotidien, Vainqueur donne tout lorsqu’il reçoit tout. Il est décrit de tous comme un ami sans faille, le genre de type avec qui l’on pourrait enterrer un corps sans craindre au mouffetage. Mpoku hoche la tête : « Dans la vie, il est comme sur le terrain. Si tu l’aimes, il te donne tout, mais si tu agis dans le dos, il peut le rendre sans hésiter. Il est entier. » Transféré à Moscou à l’été 2014 pour sept millions d’euros, il prouvera involontairement ces dires un an plus tard, à l’aune de « l’épisode M’Vila » . Dans la nuit du 29 au 30 juillet 2015, l’ex-international français fracasse la maison qu’il loue en banlieue moscovite pour protester contre un « système d’amende » mis en place par le Dynamo, s’apparentant finalement plus à du racket qu’autre chose. Igor Tsarouche, traducteur francophone du club, avouera même quelque temps plus tard que M’Vila s’était fait passer à tabac par Pavel Konolotov, chef de la sécurité du club, et vivait depuis avec une hache à son domicile. « Juste au cas où » comme on dit.
L’histoire ne dit pas s’il est parti ce soir-là la tranche à l’épaule, mais on sait en revanche qu’il a atterri quelques kilomètres plus loin… chez William Vainqueur. « Quand il a des amis, il y tient à fond, le défend Abdoulaye Ka. Il a couvert M’Vila, il l’a amené chez lui. C’est son compatriote, son ami de longue date, ils se connaissent depuis les espoirs : il ne pouvait pas le laisser tomber. Et j’aurais fait la même chose à sa place. Un ami, on ne l’abandonne pas quand il est dans des grandes galères. » Les deux hommes finiront d’ailleurs par partir main dans la main quelques semaines plus tard, en Italie. Ce sera l’Inter pour Yann, Rome pour William.
Et l’amour dans tout ça ? Si tout conte de Perrault contient sa « petite fille » , capable de transformer n’importe quelle tête brûlée enfantine en brebis énamourée, l’histoire de William Vainqueur a la particularité de mettre en scène la même princesse depuis le début. Anaïs Ka, une valse de stabilité au milieu d’un caroussel bordélique, de Noisy à Auxerre, de Nantes à Liège, puis de Moscou à Marseille, qui prouve surtout la fidélité de William envers ceux qu’il aime. Abdoulaye, le père de la jeune femme, a même défié tous les standards de patience avant de faire la connaissance de son gendre : « Quand je l’ai rencontré pour la première fois, c’était déjà un grand garçon, il avait 22 ou 23 ans. » Mais, ils se connaissaient depuis au moins dix ans, non ? Ka : « Oui, mais je l’ai jamais vu avant ! Il se sont rencontrés à Noisy-le-Grand, au collège, et sont restés ensemble tout ce temps-là. Il venait la voir quand il avait des permissions de sortir du centre » , évoque celui qui est désormais trois fois grand-père. La plus âgée a neuf ans. Il enchaîne : « Je les vois souvent, mes petits-enfants. »
Sur la Canebière, les pieds en éventail
Des petits-enfants qui supportent l’OM, bien évidemment. Pas seulement parce que leur père joue à Marseille depuis quelques mois, mais parce qu’il est un fan du club depuis toujours. « À Paris, il y a beaucoup de monde qui supporte Marseille. C’est depuis que les Qataris sont arrivés que les gens commencent à dire :« Je suis supporter du PSG. »Mais à la base, il y a toujours eu des gens pour l’OM en région parisienne. Et j’en fais partie » , déclarait-il il y a quelques semaines à Onze Mondial, un brin taquin. Après un passage mitigé à Rome, où la concurrence était sûrement trop forte, William, apaisé, donne aujourd’hui le meilleur de lui-même sur le terrain. Repositionné en sentinelle par Rudi Garcia, qui le connaît très bien, il est le garant de l’équilibre marseillais entre une attaque de feu et une défense pataude. « En tant que défenseur central, j’appréciais, il te soulage, tu n’es pas loin de jouer avec les deux pieds en éventail » , assure Christopher Bamba, son ancien coéquipier à Moscou, tandis que Mpoku, aujourd’hui au Panathinaïkos, avoue qu’il « se permettait de tenter beaucoup de choses. Quand on dribblait, on était en confiance, car si on perdait le ballon, on savait qu’il serait derrière pour assurer, pour la récupérer. » Surtout s’il faut se défoncer pour ses amis.
Ses anciens coachs le confient en chœur : personne n’avait vraiment vu venir ce grand costaud, trop bourrin pour avoir la technique d’un Lassana Diarra, trop versatile pour être leader d’équipe. Et surtout pas Samuel Fenillat : « Il y a des gamins comme ça, ils grandissent tout seul. C’est un bon gars, il a eu des enfants… il a réussi à apprendre parce que c’est quelqu’un d’intelligent. C’est ça aussi, un bon joueur. » À plusieurs reprises au téléphone, Daniel Duroir, son papa temporaire du temps d’Auxerre, nous demande de lui glisser le numéro de son ancien poulain. « J’aimerais bien lui parler, avoue-t-il, ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus. » Pas question de le virer de chez lui une nouvelle fois, mais plutôt de l’y réinviter le temps d’un dîner. De lui faire un gros câlin, s’il parvient à faire le tour de ses épaules. Et au creux de l’oreille, le gamin lui reformulera peut-être ces quelques mots prononcés onze ans plus tôt : « T’as bien fait de me mettre une claque dans la gueule, sans ça j’aurais peut-être pas réussi. »
Par Kevin Charnay et Théo Denmat