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Wiel Coerver, le « Albert Einstein du football »
Wiel Coerver a quitté le monde du football il y a quatre ans jour pour jour. Un monde pour lequel il a fait beaucoup, sans que personne ne le sache vraiment. Entraîneur correct d'Eredivisie, le natif de Kerkrade a profondément changé la donne en matière de formation de joueurs depuis plus de trente ans.
Plus que nul autre territoire, les Pays-Bas sont un véritable pays de ballon rond. Dix-sept millions d’habitants desquels ont émergé des générations entières de joueurs depuis un siècle, façonnant l’Europe, voire le monde du football. De nombreux entraîneurs, aussi. D’abord Rinus Michels. Puis Leo Beenhakker, Johan Cruijff, Guus Hiddink, Dick Advocaat, Louis van Gaal, Frank Rijkaard. Une école hollandaise qui, comme son illustre homonyme quatre cents ans plus tôt, redessina les contours de son art. Un Panthéon auquel ne figure que très rarement – et assez injustement – Wiel Coerver. La faute à un parcours en club pas aussi étincelant que celui de ses confrères. Pourtant, l’ancien entraîneur du Feyenoord Rotterdam inventa à la fin des années 70 une méthode qui allait influencer en profondeur la formation des joueurs, notamment en équipes de jeunes, sobrement intitulée « Méthode Coerver » . Après tout, si on a surnommé un jour cet entraîneur le « Albert Einstein du football » , c’est qu’il tenait plus du savant que du fou.
Des chercheurs universitaires en guise de consultants
Avant d’avoir été entraîneur, Wiel Coerver a joué au football. Au Rapid JC Kerkrade (qui deviendra ensuite le Roda JC) plus précisément, club professionnel de la ville d’origine du technicien batave, qu’il ne quittera qu’à quelques reprises pour aller coacher à quelques kilomètres. Il y remporta notamment un championnat des Pays-Bas en 1956 avant de prendre sa retraite à 35 ans, trois ans plus tard. Cela fait un an qu’un Brésilien a éclaboussé de son talent la Coupe du monde organisée en Suède en 1958 : Edson Arantes do Nascimento dit Pelé. Wiel Coerver, déjà dans la peau de l’entraîneur, remarque une chose chez O Rei : son football n’est pas qu’une affaire de talent, mais aussi de travail personnel. Coerver prend alors en charge sa première équipe, les amateurs du SVN Landgraaf. Son premier laboratoire. Pendant sept ans, l’entraîneur batave va développer un jeu anormalement sexy, tourné vers l’offensive et la circulation de balle, dans des divisions inférieures plus souvent habituées aux dimanches froids pleins de boue et de sueur.
Si le SVN Landgraaf peut afficher un niveau de technique aussi élevé par rapport à ses rivaux, c’est parce que Coerver a décidé de concentrer son coaching sur une chose qui lui paraît fondamentale : les capacités individuelles de chacun. Chaque joueur doit posséder un bagage technique suffisant avant de pouvoir espérer le pratiquer en groupe. En somme, sois un meilleur joueur, et ton équipe le sera également. Une idée qui détonne aux Pays-Bas à l’heure où le totaalvoetbal de Rinus Michels dont chaque joueur n’est que l’élément d’un tout, brille au-delà de ses frontières. Derrière, Coerver poursuit ses expérimentations à un niveau professionnel au Roda JC (1965-66), au Sparta Rotterdam (1966-69), puis au NEC Nimègue (1970-73) où le technicien s’attache les services des chercheurs de l’Université de Nimègue dans l’idée de collecter toutes les données scientifiques applicables à son sport, et ainsi perfectionner les performances de son équipe. Trente ans avant l’arrivée des premiers logiciels d’analyse de football… Le prix Nobel du football coerverien sera obtenu le 29 mai 1974 lorsque le Feyenoord Rotterdam, que Coerver a pris en charge quelques mois plus tôt, remporte la Coupe UEFA face à Tottenham.
Qualité de passe, mouvements en un contre un, vitesse, finition…
Par la suite, Wiel Coerver quittera le Feyenoord en 1975, après avoir échoué de peu dans la quête du titre en Eredivisie, pour finalement atterrir en Indonésie comme sélectionneur national. Dans cette ancienne colonie néerlandaise pas forcément compétitive en matière de football, l’entraîneur peut travailler sereinement sur la théorisation de sa méthode. Puis, après une dernière pige mitigée aux Go Ahead Eagles lors de la saison 1976-77, la mettre en application auprès des meilleurs cobayes qui soient : les enfants. Parce que si la technique et la rigueur tactique du football peuvent être inculquées, autant le faire dès le plus jeune âge. La « méthode Coerver » est très simple et s’appuie sur quatre fondamentaux : la qualité de passe, les mouvements en un contre un, la vitesse, la finition.
Une fois ces quatre fondamentaux maîtrisés en individuel, les élèves passent graduellement à un jeu à plusieurs, d’abord en petit groupe, puis dans une équipe complète afin d’améliorer les automatismes. Dans les années 80, Coerver commence à présenter sa méthode aux quatre coins du monde, bien aidé par l’organisme Coerver Coaching fondé par l’ancien de Chelsea Charlie Cooke en compagnie du coach Alfred Galustian, que l’on intègre au fur et à mesure dans les entraînements des équipes de jeunes en club comme en sélection. Les nations émergentes du football sont particulièrement intéressées, notamment le Japon ou encore les États-Unis, qui décideront dès les 90’s de baser leurs premières années de formation sur les idées de Coerver.
Zenden, Van Nistelrooy, Robben : tous éduqués à la méthode Coerver
Les années 90, c’est aussi la première fois qu’un « élève » de Wiel Coerver émerge au plus haut niveau : Boudewijn Zenden. En sélection comme à Barcelone – bastion de Michels et Cruijff, ironie du sort – le Batave fait étalage de toute sa vitesse et de sa capacité à provoquer les défenses pour trouver la brèche. Depuis, de nombreux autres talents formés aux préceptes coerveriens ont animé le football mondial, au premier rang desquels figurent Ruud van Nistelrooy et Arjen Robben. Si vous vous demandiez d’où vient cette propension toute naturelle pour l’ailier du Bayern à chercher invariablement le un-contre-un, vous avez désormais la réponse. Plus en profondeur, de nombreux clubs européens ont également adopté la méthode de l’ancien coach du Feyenoord au sein de leurs centres de formation. À ce titre, René Meulensteen, longtemps responsable de la Youth Academy de Manchester United, puis assistant de Sir Alex Ferguson, reste le plus fervent admirateur de Coerver.
L’ancien entraîneur de Fulham avait d’ailleurs déclaré lors de la signature de Ronaldo au Real Madrid en 2009 : « Bien sûr, Ronaldo est un joueur très talentueux, mais nos techniques d’entraînement l’ont rendu beaucoup plus efficace. Chacun des joueurs de l’équipe première a été entraîné selon la méthode Coerver, qui consiste à améliorer des petites choses pour rendre le joueur encore plus imprévisible. » Pepijn Lijnders, entraîneur des U16 de Liverpool après s’être occupé de ceux de Porto, ainsi que Ricardo Moniz (ex-Tottenham, Hambourg et Red Bull Salzbourg) font également partie des apôtres coerveriens. Il est également connu qu’Arsène Wenger utilise cette méthode lors d’ateliers avec Arsenal. La plus belle des récompenses pour celui qui s’est éteint à l’âge de 86 ans, le 22 avril 2011, et ce, trois ans après avoir reçu un Rinus Michels d’honneur récompensant l’ensemble de sa carrière. Parce que même s’il favorisait l’individuel, Coerver n’en oubliait jamais le collectif.
Par Matthieu Rostac, à Amsterdam