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« Sans le foot, j’aurais fini dans la rue »
Passé de crack du Havre à retraité surendetté à 26 ans, Wesley Ngo Baheng a depuis relevé la tête avec une mission : faire de son échec une force pour les autres. Comment ? En montant une structure dédiée à la reconversion des joueurs professionnels. Parce que les footballeurs aussi ont le droit à une retraite décente.
Wesley, la France du foot a oublié ton nom. Pourtant, à l’aube des années 2010, tu étais un grand espoir tricolore recruté par Newcastle. Que s’est-il passé depuis ?
En signant à 17 ans à Newcastle, j’ai grillé des étapes et je ne m’attendais qu’à mieux ensuite. Sauf que je me suis fait les croisés deux fois, j’ai fait des mauvais choix de carrière, avec un entourage très mal intentionné. J’ai été arnaqué, j’ai fini surendetté. Après une retraite prématurée, je suis revenu au Blanc-Mesnil. Je voulais partager. Je me suis recréé une identité hors foot, en étant animateur pour la ville. J’avais une association de quartier à côté, avec l’envie de créer du lien social pour redynamiser le quartier. En 2019, j’ai même lancé une boîte de petit-déjeuner pour entreprise, je n’avais pas envie de revenir dans le football. Je ne regardais même plus de matchs. Et j’ai finalement lié tout ça et le ballon en mai 2021 avec MSG Consulting, une société d’agents, destinée à aider les joueurs à se reconvertir. J’ai envie de remercier ainsi tous ceux que j’ai croisés dans mon parcours, notamment au Havre. Je ne dis pas ça pour faire un beau storytelling, mais sans le foot, j’aurais fini dans la rue.
Ton échec sportif est devenu ta force. À quel moment tu l’as compris ?
Je travaillais avec les jeunes, donc j’avais déjà un peu le côté « agent », hors du foot. Mais j’avais besoin de digérer ma retraite précoce, ça m’a pris du temps. Et je ne voulais pas revenir dans le foot pour être un agent de plus, et faire comme tout le monde. Je voulais y amener la fibre associative… J’ai rencontré plein de gens hyperengagés, investis. Et là, j’ai compris qu’il y avait plein de choses à faire dans le foot. J’avais peu d’estime pour moi, puis j’ai compris que mon parcours n’était pas une honte, mais une force. On a commencé à m’appeler pour témoigner, et j’ai vu qu’il y avait un capital business derrière mon histoire.
Reprenons depuis le début : tu quittes ta ville du Blanc-Mesnil à 10 ans, pour signer au Havre. Que te reste-t-il de tes sept ans de formation ?
C’était les sept meilleures années de ma vie. Au centre, tu es dans une grande famille, tu vis tout avec tes potes, des grandes victoires, des échecs, des décès, des disputes… Toutes nos vies étaient liées, et on s’entraidait. Nos éducateurs étaient extraordinaires, du matin au coucher. J’ai encore beaucoup d’amis au Havre, je m’étais bien intégré dans les quartiers. Au centre, on avait Digard, Lass Diarra, Ben Mendy, Mandanda… Je jouais avec Tabanou, Nestor ou encore la légende Jean-Pascal Fontaine. C’est abusé, Le Havre, en vrai ! Le HAC m’a éduqué, je leur dois tout. Je me régale à le suivre cette saison, comme Newcastle ! Puis, je suis un enfant du 93, donc si le Red Star monte, c’est la saison parfaite.
Tu portes encore Newcastle dans ton cœur, alors que tu y as vécu trois années de galères…
Ça a mal commencé, parce que j’ai perdu ma mère dix jours avant d’arriver. J’étais heureux de réaliser mon rêve, mais je venais de perdre celle grâce à qui j’étais là. J’étais au fond du trou. Et j’ai mis ça de côté, je n’ai jamais fait mon deuil. Je me cachais derrière mes nouveaux moyens. Donc ça part mal, en plus je culpabilisais de laisser mon frère seul en France. Jusqu’à aujourd’hui… (Il marque une pause.) Je n’ai pas été là pour lui. Il avait dix ans et demi à l’époque. Bref, j’arrive la tête ultralourde.
À 17 ans, tu étais perdu et vulnérable ?
C’est ça, j’étais paumé. Sportivement parlant, ça se passe bien. Mais la tête ne va pas, et il y a une brouille juridique avec Le Havre qui m’empêche de jouer pendant six mois. Allardyce, qui m’avait fait signer, se fait virer. En fin de saison, j’arrive dans le groupe pro et je me fais les croisés. Kevin Keagan venait de me dire que j’allais jouer sur la fin de championnat, parce qu’il comptait sur moi la saison suivante. Le sélectionneur du Cameroun venait de venir me voir pour aller aux JO. Et puis les croisés, c’est long. Je reviens la fin de saison suivante, je rechute. J’ai bien démarré la troisième intersaison, titulaire en réserve. Je finis meilleur buteur à 19 ans, et là grosse déchirure à la cuisse, je reprends trop tôt à cause du staff qui avait besoin d’un renfort offensif, et je replonge. Je n’ai pas joué une minute en Premier League, mais humainement, j’étais trop bien au club.
D’autant qu’à côté de cela, tu te fais alors escroquer par ton agente. Comment tu t’en rends compte ?
Dans cette dernière année, un soir, ma copine de l’époque et moi on se dispute, parce qu’elle voit des billets d’avion sur mon compte, et croit que je lui mens. Et là, je remonte le fil. En fouillant, j’ai vu des virements et prélèvements de 100, 200 euros, qui ne représentaient pas grand-chose à mes yeux. En fait, elle se servait de ma carte dans mon dos depuis le début. Quand j’ai compris ça, j’ai paniqué, j’ai arrêté de payer mes crédits, etc. J’ai reçu des courriers chez elle, qu’elle ne m’a pas transmis en France. Quand ils m’ont retrouvé, ça avait été jugé : ils ont pris mon assurance vie, mon appartement, et j’ai fait un dossier de surendettement. Déjà, quand j’étais jeune, elle m’a conseillé d’investir dans un appartement que je lui ai loué à prix cassé pendant des années, parce que je n’y connaissais rien. Je l’avais rencontrée au Havre, j’avais confiance en elle, ma mère lui a dit dans les yeux qu’elle me confiait à elle. Et derrière, elle a osé faire ça…
Avec le recul, tu aurais pu te douter que tu avais choisi une mauvaise agente ?
Oui. La base, c’est la bienveillance. Si on te vend du rêve, ça ne va pas. Elle, elle allait tout le temps dans mon sens. Quand j’arrive à Newcastle, je fais encore de la musique, elle me dit de construire un studio chez moi. Mais d’où tu dis à un gamin de 17 ans qui débarque en Premier League de faire de la musique ? Concentre-toi sur tes performances, déjà ! Quand je sortais flamber en ville, elle venait avec moi ! Elle me présentait des gens bizarres, elle était mal intentionnée. Elle a voulu manger vite, vite, vite sur mon dos. C’est moche. Je suis même allé au conflit avec le HAC sur la base d’un de ses mensonges, alors que ça me déchirait le cœur de quitter Le Havre. Je me suis mis beaucoup de gens à dos à cause de cette relation.
Et donc finalement, tu termines ta carrière à 26 ans. Dans quel état ?
Mentalement, ça va, parce que mon corps m’envoie le message que je ne prends plus de plaisir. Je ne pense plus qu’à mon travail associatif. J’ai passé un mois et demi pour le foot en Thaïlande, et c’est là que j’ai compris que le foot comme je voulais le pratiquer, c’était fini pour moi. J’ai essayé de jouer au Blanc-Mesnil, mais m’entraîner le soir après une journée de taf, je n’y suis jamais arrivé. J’ai trop de respect pour ceux qui font ça. Puis tous les essais jamais concluants, ça m’a dégoûté aussi. Je suis même allé en Birmanie après la Thaïlande : je suis resté une journée ! C’est la première fois de ma vie que j’ai eu peur. Là, je me suis dit que ce n’était plus sain comme carrière.
En plus de cela, tu es surendetté. Comment te relèves-tu ?
Un proche m’a confronté à mes problèmes pendant toute une après-midi. Moi qui ai toujours fui, je devais faire face à l’échec de ma carrière, à mes dettes, à mes erreurs. Quand tu arrives au tribunal de Bobigny, pour statuer le gel de tes dettes… Ça m’a donné un nouveau départ. Mais putain, cet après-midi au tribunal… Des portes de la Premier League, je me retrouve devant ce juge… L’égo a pris un gros coup. J’étais valorisé comme footballeur depuis des années, mais là je me rends compte que je ne vaux rien, au sens propre.
Quand tu rentres au Blanc-Mesnil, il y a du monde pour t’épauler ?
Non, je ne donnais pas envie aux gens d’être proche de moi. Je cherche qui sont mes amis, parce que j’étais parti depuis 16 ans ! Je traînais dans différents groupes, mais je n’ai jamais eu de groupe d’amis, j’avais des coéquipiers, mais pas d’amis. Petit à petit, j’ai appris à me resociabiliser, à sortir du foot.
Ce qui t’a amené à créer ta structure pour aider les joueurs à se reconvertir. Concrètement, c’est quoi MSG Consulting ?
Le point central, c’est un programme de formation qui dure douze semaines, avec huit modules. En vérité, le joueur ne se connaît pas, alors que la carrière de footballeur te permet de briller dans le milieu professionnel grâce aux compétences acquises dans le foot pro. Un footballeur n’est pas un simple portefeuille sur pattes. Je l’ai découvert dans ma vie associative, j’étais à l’heure, assidu, plein de projets, comme un sportif, quoi. Ce que je veux dire aux joueurs, c’est : putain les gars, quand vous raccrochez, si vous mettez votre tête à l’endroit, vous allez tout casser ! Le monde, vous allez le manger ! Il n’y a pas que consultant ou coach comme reconversions possibles ! On leur fait rencontrer des gens qui les valorisent humainement, pas sportivement, et ça change tout. Le but, c’est de faire 3-4 sessions par an à Paris, et à moyen terme d’en proposer à Marseille, Lyon ou Lille.
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Vous intervenez dans des clubs ?
On en implique de plus en plus, on a besoin d’eux. Les clubs franciliens nous rejoignent, on est proche du Red Star déjà. Des joueurs de National nous contactent. On va voir les centres de formation aussi. Le Havre forcément, Didier Digard m’a introduit à Nice aussi, bientôt l’OM. Je vais dans beaucoup de clubs amateurs aussi.
L’allié logique, ce serait l’UNFP, non ? Voire la LFP ?
Carrément ! Il faut qu’on grandisse encore, nous, mais on est voué à travailler ensemble. On a le même but. Tôt ou tard, ça arrivera, mais il faut grandir.
Dans tout ça, il y a l’histoire incroyable d’un fan anglais de Gateshead, dans la banlieue de Newcastle, qui était fan de toi grâce à Football Manager, et t’avait même écrit une chanson. En 2015, tu nous promettais que tu irais le rencontrer. Mission accomplie ?
Non… Mais j’ai pensé à lui la dernière fois que j’y suis allé, je vais reprendre son nom et le contacter ! Cette fois, c’est une promesse ! C’est un ouf quand même, il m’a fait une page Wikipédia et tout… J’adore les Anglais.
Et sinon, tu fais toujours de la musique ?
Pas pour l’instant. Je me suis trop longtemps dispersé dans plusieurs projets en même temps, ce qui m’a coûté cher. Au fond de moi, j’ai énormément envie d’en faire, mais pour le moment, je me concentre sur ce projet. On verra plus tard… On n’est pas à l’abri que je me refasse un petit kif. Tout ce que je fais aujourd’hui, c’est grâce à la musique. J’ai écrit des textes pendant 20 ans, ça aide forcément. La référence, c’est NAS, et Booba en France. Je suis un puriste. Et vu que j’aime Le Havre, mettons de la lumière sur Médine !
Propos recueillis par Adrien Hémard-Dohain