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« Wazza », ce roux né quelque part

Par Romain Duchâteau
6 minutes
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Wazza<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>», ce roux né quelque part

L’histoire lui a tendu les bras et Wayne Rooney n’a pas raté son rendez-vous. Samedi dernier, l’attaquant a magnifié sa légende en égalant le record de buts de Bobby Charlton à Manchester United. Si la fin se profile à l’horizon, « Wazza » a encore un peu de temps pour rappeler à tous qui il est : la dernière figure majeure du football anglais et icône contemporaine chez les Red Devils.

Encore aujourd’hui, son cœur est acquis à la cause bleue. Mais l’histoire de sa vie, Wayne Rooney l’a écrite sous une étoffe écarlate. Il y avait pourtant eu ces mots, formulés comme une déclaration d’amour intemporelle envers Everton, en finale de FA Youth Cup 2002 : « Once a Blue, Always a Blue » . Puis il y a eu les larmes versées au moment de quitter le giron des Toffees deux années plus tard. Celles, d’abord, de Bill Kenwright, président à l’époque, devant David Moyes et Alex Ferguson. L’enfant de Croxteth aussi a craqué ce jour-là alors que son destin se jouait. « Le 31 août 2004, quand les larmes ont séché et que la discussion s’est achevée, Wayne a signé sur le fil, sept heures avant la deadline des transferts » , raconte Fergie dans son autobiographie.

Pour trente et un millions d’euros, soit un record pour un joueur de moins de vingt ans. Voilà comment se sont dessinés les premiers pas de la dernière grande icône du football anglais à Manchester United. Près de treize ans se sont désormais écoulés. Les larmes ont laissé place à un incommensurable sentiment de fierté. Le 7 janvier, à l’occasion du troisième tour de FA Cup contre Reading (4-0), le capitaine mancunien a égalé Bobby Charlton en devenant co-meilleur buteur de l’histoire du club avec 249 buts en 543 matchs toutes apparitions confondues. Le grand jour de faire tomber le record est proche. Et la légende en passe de prendre encore un peu plus d’épaisseur. Au cœur d’une romance où l’amour a, parfois, côtoyé le ressentiment.

Le cœur, les tripes et le pardon

Sous les yeux de Sir Bobby Charlton, assis dans la tribune qui porte son propre nom, Wayne Rooney a répété son inlassable chorégraphie en ce jour historique. Un baiser donné et des bras levés en direction du ciel : « C’est un moment dont je suis fier. Le club représente une grande partie de ma vie et je suis honoré de figurer aux côtés de Sir Bobby. » La destinée de « Wazza » sous la tunique de United n’est peut-être pas aussi tragique, heurtée et emblématique que celle de son prédécesseur, mais elle transpire d’une passion dévorante. Le Ballon d’or 1966 n’avait-il d’ailleurs pas prévenu il y a quelques années : « Wayne réussira des choses qu’aucun autre joueur ne sera jamais capable de réaliser. » Pour s’en rendre compte, il n’y avait qu’à contempler sa première représentation avec les Red Devils sous les projecteurs européens. Deux séances d’entraînement dans les jambes et un triplé d’une violence inouïe face à Fenerbahçe (6-2, septembre 2004). « Wayne possédait un talent naturel exceptionnel, il fallait lui laisser le temps de faire la transition du jeune garçon au jeune homme » , soufflait à son sujet Alex Ferguson, en 2013.

Car, à ses premiers émois, Rooney s’érigeait comme un diamant brut avec tout ce que cela comporte. De l’insouciance, de l’instinct, de l’enthousiasme et, parfois, de la brutalité symbolisée par d’innombrables « Fuck off ! » assénés au corps arbitral. « Sur notre terrain d’entraînement, il faisait vivre un enfer à tout le monde, relatait encore le manager écossais. Absolument tout le monde. L’arbitre, les autres joueurs. » C’est la marque immuable de l’attaquant anglais à travers les âges. Des efforts consentis sans jamais plier, une générosité sans faille, même dans l’excès. Comme en octobre 2010 où il doute de « la faculté de United à attirer des joueurs de classe mondiale » et menace de partir chez le rival Manchester City pour finalement s’octroyer une revalorisation salariale indécente. L’une des rares fois où Ferguson s’est d’ailleurs résolu à s’incliner. Même rengaine à l’été 2013 quand, sous l’impulsion de son agent Paul Stretford, il flirte avec Chelsea et profite de l’affaiblissement de l’institution mancunienne afin de devenir le joueur aux émoluments les plus élevés outre-Manche. Ces épisodes controversés, tout comme ses quelques incartades en dehors des pelouses, ont ébréché la stature de Wayne aux yeux des fans. Mais, avec le temps, ces derniers ont fini par lui pardonner. Sans pour autant oublier. Jamais.

Le temps qui court

Peut-être, aussi, que la rédemption a été rendue possible parce que les paroles prononcées par Gary Neville lors du premier entraînement de Rooney, à Carrington, continuent de faire écho en lui : « La chose à savoir avec cette équipe est celle-ci : peu importe ce que tu as réalisé, peu importe les médailles remportées, ne pense jamais que c’est acquis » . Alors le meilleur buteur de l’histoire des Three Lions (53 buts) a couru et donné. Encore et encore. Souvent en tant qu’attaquant et meneur de jeu. Parfois, aussi, comme ailier ou milieu relayeur. Pour offrir des émotions sans pareilles ainsi que des réalisations passées à la postérité. Une reprise de volée renversante contre Newcastle (2-1, avril 2005), un lob délicieux contre Portsmouth (2-1, janvier 2007) ou encore une praline claquée à West Ham depuis le milieu de terrain digne de David Beckham à Wimbledon (0-2, mars 2014). Et, bien sûr, cette bicyclette acrobatique faisant d’office de chef-d’œuvre pour l’éternité lors du derby de Manchester (2-1, février 2011) : « C’était comme une étrange expérience pour mon corps. Je me suis lancé dans les airs et j’ai frappé violemment le ballon au fond des filets. Cela ne semblait pas réel. » Ça l’a pourtant été. Tout comme ce chant repris à l’unisson par son peuple rouge depuis plus d’une décennie : « I saw my mate the other day / He said to me he saw the white Pelé / So I asked, who is he ? He goes by the name of Wayne Rooney. »

Tout comme le pan d’histoire glorieux que « Wazza » a écrit au « Théâtre des rêves » . Le Britannique a été façonné et guidé par Ferguson. Il a vu défiler et a joué aux côtés de grands, de très grands. Scholes, Giggs, Keane, Ronaldo, Van Nistelrooy, Vidić, Ferdinand, Van der Sar et consorts. Surtout, il a garni copieusement une armoire à trophées (cinq Premier League, une Ligue des champions, une FA Cup, deux League Cups, un Mondial des clubs et deux Community Shield). Un palmarès accompli qui prend davantage de relief à travers des performances individuelles saisissantes. Meilleur buteur de United en coupes d’Europe (49 pions), meilleur buteur en Premier League sous un seul et même maillot (179), onze saisons d’affilée à minimum dix buts en championnat et troisième meilleur passeur décisif derrière Giggs et Lampard (101 assists). Les chiffres sont éloquents, mais ne peuvent servir de rempart contre le temps qui passe. Et, à trente et une piges, les jambes lourdes, le corps éprouvé, son crépuscule est imminent. Il s’adonne pourtant tant bien que mal à faire en sorte que la nuit tombe le plus tard possible. Dimanche, contre Liverpool auquel il voue une haine farouche, l’amoureux d’Everton n’aura pas plus belle scène pour battre le record de Charlton et faire prolonger le plaisir. « Wayne était unScouserqui a été immédiatement adopté en tant que Mancunien » , disait encore de lui Alex Ferguson. Et c’est sans doute ce qui rend l’histoire de Wayne Rooney encore plus belle.

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