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Wayne Rooney, de 2004 à 2016
Le Portugal, 2004 et le prologue de l'histoire d'un phénomène. Il y a douze ans, Wayne Rooney éclatait au visage de l'Europe du foot et se voyait déjà coller l'étiquette de sauveur de la nation sur la tronche. Le temps a fait son job et le capitaine de l'Angleterre n'est plus le même. Plus du tout.
De cet été, il en parle comme d’un sommet. Ce n’était qu’un gamin et pourtant. Pourtant, il était déjà le roi.
Il n’avait que 19 ans, mais tout le monde le regardait comme s’il était un indiscutable, un mec capable de porter sur ses jeunes épaules les espoirs d’un Royaume maudit depuis alors trente-huit longues années. Comme si ce n’était pas assez, la promesse a traîné derrière elle les superlatifs et les comparaisons. Comme Michael Owen six ans plus tôt. Les mêmes mots, la même image. De la bouche de Sven-Göran Eriksson cette fois : « Je n’ai pas le souvenir d’un joueur qui a eu autant d’impact sur une compétition depuis Pelé à la Coupe du monde 1958… Rooney est absolument fantastique, il ne marque pas juste des buts, mais il joue pour les autres. C’est un footballeur complet. »
Au Portugal, où se dispute l’Euro 2004, l’Angleterre vient alors de terminer deuxième de sa poule derrière la France. Rooney s’est déjà offert deux doublés, contre la Suisse (3-0) et la Croatie (4-2). Le lendemain, les hommes d’Eriksson doivent affronter le Portugal en quarts de finale à Lisbonne. Ils tomberont sur une humiliation : une séance de tirs au but, un Ricardo mains nues face à Darius Vassell. Le premier championnat d’Europe de la carrière de Wayne Rooney se terminera sur une blessure, une chaussure arrachée et une tête basse. Une célébration – les bras levés –, une gueule et un nouvel espoir viennent de marcher sur l’Europe. « J’ai dû mûrir plus rapidement parce que j’étais sous les projecteurs. Le football est comme ça. »
L’espace plutôt que les étoiles
Douze ans ont passé depuis l’explosion de Wayne Rooney. Douze ans de grâce : cinq titres de champion d’Angleterre avec Manchester United, une Ligue des champions en 2008 et six coupes nationales. Douze ans de folie pure, de gestes fous, de hauts, de bas, de revalorisations salariales pour ne pas filer ailleurs, de problèmes conjugaux. Rooney a rangé ses poèmes d’adolescent et a écrit sa propre histoire à travers les records : celui de meilleur buteur de la sélection anglaise devant Bobby Charlton depuis septembre dernier, et la course à celui de meilleur buteur de l’histoire de Manchester United avec le même Charlton toujours en tête de quatre petites unités.
Reste une question : quelle place laissera derrière les tablettes le gamin de Croxteth ? Wayne Rooney est un joueur de classe mondiale, le doute est interdit, mais la sensation que sa carrière aurait pu être encore plus grande est palpable. Il faut évacuer une chose : aucun autre entraîneur que Sir Alex Ferguson n’aurait pu faire progresser à ce point Wayne Rooney. Personne. Mais l’Écossais a atteint ses limites avec celui qu’il avait arraché à Everton en 2004 pour 31 millions d’euros. Et ce, même s’il a accepté tous ses caprices.
Un poste de régulateur
Au cours de sa carrière, Rooney n’a jamais été aussi bon qu’en deuxième attaquant avec Ruud van Nistelrooy ou encore Robin van Persie, car dans cette position, il était libre. Il a toujours couru après la liberté. Dans un entretien donné à FourFourTwo en octobre dernier, Xavi avait théorisé le cas de l’attaquant anglais : « Je pense que Rooney a encore beaucoup à apporter au football, mais c’est peut-être le moment pour lui d’adapter son jeu à un nouveau rôle sur le terrain. Les joueurs intelligents s’adaptent et s’il est capable de le faire, il pourra jouer encore cinq ou six ans à ce niveau. » Le temps a fait son travail, l’Angleterre n’a jamais réussi à vaincre et Rooney a reculé.
En meneur de jeu d’abord, puis il s’est offert lui-même la vie sur un terrain de football. En s’arrachant sur chaque ballon, en revenant gratter jusque dans sa propre surface avant d’être replacé naturellement par Louis van Gaal et Roy Hodgson, son sélectionneur, comme samedi dernier contre la Russie (1-1). Ce sera en récupérateur, en organisateur et en chef de l’orchestre anglais dont il porte le brassard. Comme si au fil des années, Rooney avait choisi son camp, l’espace plutôt que les étoiles. Tout le monde rêvait de le voir jouer dans une telle position. David Moyes, son entraîneur à Everton entre 2002 et 2004 et brièvement à Manchester United, a expliqué à plusieurs reprises que lorsque Wayne est « en pleine forme, avec un physique affûté, il possède l’une des plus grandes qualités de passes du monde. Ce poste de régulateur lui permet de se réinventer. »
La transmission de témoin
Car Rooney a l’intelligence d’un numéro dix, l’activité d’un relayeur et le sang-froid d’un neuf. Il est avant tout une batterie émotionnelle, c’est pour ça qu’on l’aime. L’Angleterre aime ces joueurs prêts à crever sur scène pour le maillot des Three Lions. Par moments, il est détestable, imprévisible et discute chaque décision arbitrale, mais peu importe. L’âge l’a fait avancer vers la sagesse, sa relation tumultueuse avec Coleen aussi. En octobre dernier, la BBC diffusait un magnifique documentaire consacré à Wazza, The Man Behind The Goals, où on le voyait en homme apaisé, conscient de sa chance. Un mec de trente piges avec tout ce que ça implique.
Sa prestation contre la Russie en ouverture de l’Euro 2016 a prouvé qu’il avait encore le coffre pour faire le lien entre la « génération dorée » (Lampard, Scholes, Gerrard, Beckham, Owen, Ferdinand, Terry) déchue et la nouvelle prometteuse qui vient de débarquer en France. Longtemps, sa place a été contestée. Alan Shearer a parlé récemment de Rooney comme d’un joueur dont « on pouvait se passer » . Sauf qu’aujourd’hui, cette Angleterre ne peut pas. Hodgson a beau expliquer que son capitaine n’est pas intouchable – « Il me prendra pour une personne fausse si jamais je lui disais : « Ta place est garantie. » » –, il ne peut pas s’en passer. Le football moderne vit aussi pour ce genre de joueurs. Et l’Europe veut encore que Rooney court, écarte ses bras et tombe, encore, à la renverse. Parce qu’aujourd’hui, les réalisateurs ont plus de grâce que les destructeurs.
Par Maxime Brigand