- France
- 20 ans du titre de champion du RC Lens
Warmuz : « À Lens, on restera comme les premiers de cordée »
Il y a vingt ans jour pour jour, le gardien Guillaume Warmuz et le RC Lens empochaient le premier et seul titre de leur histoire, au terme d'un scénario complètement dingue. Car après avoir obtenu un nul à Auxerre (1-1), les Sang et Or n'ont assuré leur première place qu'à une différence de buts favorable au détriment du FC Metz. « Gus » se remémore cette folle journée.
Guillaume, j’imagine que si je vous demande ce que vous faisiez il y a 20 ans jour pour jour, vous saurez exactement quoi me répondre ?Évidemment. C’était une belle journée comme aujourd’hui, avec un beau soleil sur la France. Lors de la collation, j’étais assis à côté de Marc-Vivien Foé et on discutait tranquillement. Qu’importe qu’il y ait le dernier match de la saison qui nous attendait derrière, qu’importe le titre qu’on devait valider, qu’importe la défaite quelques jours plus tôt en finale de Coupe de France contre le PSG (le 2 mai 1998, défaite 2-1 au Stade de France, N.D.L.R.). Et on traînait là avec Marc-Vivien. Il me disait qu’il irait ensuite à Manchester United, qu’il avait rencontré Sir Alex Ferguson. Bon finalement, ça ne s’est pas fait. Mais je me souviens très bien de ce moment.
C’est étonnant de se projeter sur la suite, en toute décontraction, à quelques heures d’un match aussi crucial que celui qui vous attendait à Auxerre ! Vous n’aviez alors que deux points d’avance sur Metz et tout restait à jouer. Oui, c’était le dernier match et quoi qu’il arrivait, la vie continuait. Et ce n’est pas parce que Marc-Vivien Foé devait aller à Manchester qu’il n’a pas joué son match à fond. On était tranquilles, mais aussi extrêmement motivés et concentrés.
Dans quel état d’esprit est-on quand on vient de laisser échapper une Coupe de France et qu’on doit aller chercher le titre de champion quelques jours plus tard ? Y a-t-il la peur de tout perdre ?Oui, il y a eu cette crainte, c’est sûr. Mais quand on fait un parcours aussi intéressant et qu’on se dirige vers le titre de champion, on a certaines habitudes rassurantes.
Ce n’est pas parce qu’on avait perdu un match, où Paris a été plus réaliste, qu’on allait perdre confiance. Il n’y avait pas besoin de se remettre en question. Au contraire, il ne fallait absolument rien changer, parce que c’est grâce à notre routine qu’on en était arrivés là. Certes, le contexte était un peu différent : pendant une semaine, la ville de Lens était en apnée, le temps s’était arrêté. On devait aller chercher au moins un nul à Auxerre, qui jouait lui aussi une place en Europe, Metz recevait Lyon qui jouait aussi l’Europe. Donc on savait que les deux matchs seraient disputés. Et donc on est allé en Bourgogne en conservant notre philosophie de jeu et nos habitudes.
C’était quoi la routine du RC Lens en 1998 ?Oh, c’est un peu comme partout ! On se prépare en suivant le même rituel. Quand ça fonctionne, on n’aime pas trop changer. Le staff n’a pas cherché à mettre un dispositif spécial autour de cette rencontre. Après la finale de coupe, on a décompressé tous ensemble, on a bu des petits coups et on avait une semaine pour s’en remettre. Il suffisait de rester fidèles à nous-mêmes et de faire basculer le match dans notre sens. C’est tout. En début de semaine, on avait un bon feeling, on était sûrs d’avoir la capacité d’aller chercher un point à Auxerre.
On a l’impression qu’à aucun moment vous ne vous êtes mis la pression, alors que le scénario de cette fin de championnat est assez haletant…Si quand même, à la mi-temps. On est menés 1-0 sur un but de Sabri Lamouchi, on rate quelques occasions, Lionel Charbonnier sort des plongeons de fou – le but ferait huit mètres de haut et seize de large, il aurait quand même tout arrêté –, mais se blesse et est remplacé par Fabien Cool, qui lui aussi est dans son match… On se dit alors qu’il nous reste 45 minutes et qu’après il sera trop tard. Il nous suffisait d’un but pour que ça fasse notre bonheur.
Vous étiez au courant du score du FC Metz à ce moment (Metz menait 1-0 à la mi-temps grâce à Bruno Rodríguez, N.D.L.R.) ?
Non, on ne voulait pas savoir. On était concentrés uniquement sur notre match.
Et c’est pour ça qu’après l’égalisation de Yoann Lachor, vous continuez à jouer, sans jamais penser à verrouiller ce score ?Voilà. Le grand Daniel Leclercq martelait depuis le début de saison qu’on devait attaquer, jouer. On ne savait pas faire autrement. Quand on gagnait 1-0, ce n’était pas un 1-0 restrictif. C’était juste parce qu’on n’arrivait pas à en marquer un second.
C’est seulement au coup de sifflet final que vous prenez conscience que vous êtes champions ?Oui. On est pris d’une envie de crier notre joie à la terre entière.
On s’est tous sautés dessus. Je crois que c’est Siko (Éric Sikora) qui vient vers moi, puis Jean-Guy (Wallemme), puis toute l’équipe. C’était génial. Soulever un trophée, c’est déjà énorme. Mais un championnat, ça a une saveur particulière. C’est affirmer une vérité sur le long terme, plus que pour une coupe. C’est 34 matchs. Ça ne peut pas être qu’un coup de poker. Et cette saison-là, il n’y avait rien d’évident. On a été le chercher, à l’arrachée.
La fête qui a suivi a été également mémorable.Dans le vestiaire, c’est devenu n’importe quoi. Quand on a un peu d’expérience, qu’on a déjà gagné, on savoure ces moments. Mais pas avec une telle euphorie. C’était champagne dans tous les sens et ça ne s’est pas démonté pendant 24 heures. À l’aéroport de Lille, c’était du grand n’importe quoi. Il y avait tellement de monde, qu’on ne pouvait plus passer. On a été obligés d’ouvrir le stade à 3 heures du matin parce qu’il y avait 35 000 personnes qui voulaient nous voir. Ça, c’est du jamais-vu dans l’histoire. De toute façon, toute la ville était réveillée.
C’est dans ces moments-là que l’on mesure toute la dimension que peut avoir un club comme le RCLens dans la vie des gens de la région ?C’est clair. Si on demande aux joueurs de l’équipe de France s’ils avaient anticipé l’impact qu’ils pouvaient avoir sur tout le pays après le Mondial, je ne pense pas qu’ils pouvaient s’attendre à ça. Pour nous, c’était pareil. On faisait notre job, on connaissait notre public, mais on ne savait pas que ça déclencherait autant de passion. Ce titre est déjà unique, mais dans ces conditions, ce sont des choses qui ne pourront pas être effacées. Émotionnellement, c’était tellement fort. Pour Lens, ce club populaire qui n’avait jamais gagné de trophée majeur. Et pour cette bande de joueurs qui sont devenus ensemble de grands professionnels, qui se sont découverts eux-mêmes, qui ont travaillé dur… Quoi qu’il arrive, dans l’histoire de Lens, on restera comme les premiers de cordée.
À la mi-saison, vous n’êtes que sixième, à six points de Metz. À quel moment le déclic arrive dans la saison ?Il y en a eu deux. Le premier en janvier après une défaite à Nantes (0-1), où on a pris conscience qu’on devait se ressaisir. Et le suivant à Châteauroux (1-2). Daniel Leclercq nous pose à tous la même question, très simple : « Est-ce que vous voulez être champions ? » On a répondu oui, un par un. Et à partir de là, on n’a plus rien perdu. Avec notamment une victoire à Metz, qui sera déterminante à la fin.
On parle du jeu offensif de Daniel Leclercq, mais vous n’avez pas encaissé de but entre la 26e et la 33e journée. Finalement, c’était quoi la force de cette équipe de Lens ? On avait un groupe qui s’était construit depuis cinq ou six saisons.
La défense a très peu changé pendant ce temps-là. On avait beaucoup d’automatismes, tactiquement c’était au point. En 1997, on a failli descendre et ça a été un vrai marqueur. Et quand Daniel Leclercq arrive, il peut s’appuyer sur une bonne assise défensive. Donc ça lui a donné l’opportunité de développer le côté offensif. Toutes proportions gardées, ça ressemblait au jeu de l’Atlético de Madrid. Bien structuré, bien en place. Avec Leclercq, on a trouvé le bon équilibre.
Avez vous pu parler de cette fin de saison avec des joueurs du FC Metz ?Oui, avec Jocelyn Blanchard qui est venu à Lens plus tard. Mais bon, c’est comme ça. Être champion grâce à la différence de buts, c’est dans le règlement.
Surtout que vous avez connu la situation inverse en 2002, quand vous perdez le titre lors de la dernière journée contre l’Olympique lyonnais…Oui, on a vu ce que c’était que de vivre ces moments de l’autre côté, et j’ai détesté ça. Je l’ai toujours en travers de la gorge ce titre manqué. C’est un titre qui nous tend les bras et qu’on ne ramasse pas. Celui de 1998 était inattendu et on va le chercher. Celui de 2002, on l’a entre les doigts et on ne le prend pas. À un moment de la saison, on a neuf points d’avance… On ne retient que le vainqueur. Et heureusement qu’on a eu celui de 1998. Une année de victoire en Coupe du monde. Peut-être que les gens s’en souviendront encore plus grâce à ça.
Propos recueillis par Mathieu Rollinger