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Wanchope Abila, le maçon du cœur
Il y a deux semaines, le football a découvert en mondovision, dans un des matchs les plus importants de la planète, un avant-centre de 30 ans à la dégaine de charpentier habité par la foi du charbonnier. Cet homme, c’est Ramon « Wanchope » Abila. L’arme numéro 1 de Boca pour aller chercher la Copa Libertadores face à River Plate.
Wanchope est un âne qui marque un but toutes les dix occasions. Un somnambule qui vit hors jeu, un garde du corps maladroit. Pendant des années, Ramon Abila a entendu ces critiques. Il a enduré les moqueries et avalé les couleuvres. Alors quand il a reçu le ballon à l’angle de la surface de réparation à la 34e minute du Superclásico, le week-end dernier, il n’a pas réfléchi. Il a frappé comme une mule, avec la confiance de ceux qui viennent de loin, de ceux qui n’ont rien à perdre. Armani a repoussé difficilement le ballon, mais Wanchope a insisté. Quand le ballon est revenu sur lui, il a allumé le goal de River une seconde fois, sans réfléchir, le forçant à la faute de main. Et puis il a exulté avec la Bombonera toute entière, conscient que sa présence sur le terrain tenait autant du miracle et de l’alignement des planètes que de son abnégation. Avant d’être l’idole de la Bombonera, Ramon a longtemps été un attaquant des bas-fonds. Un buteur qui erre dans les divisions inférieures du football argentin. Celles où l’on apprend autant à donner des coups qu’à en recevoir sur des pelouses pas franchement vertes.
Acheté 200 dollars
Après avoir débuté sur le terrain en terre battue de son quartier de Córdoba, il est acheté à 16 ans pour 800 pesos (environ 200 dollars) par des amis de son père, soucieux de lui filer un coup de pouce. Il signe alors à Instituto, le grand club de la ville. Son club de cœur surtout, dont il va voir les matchs chaque week-end. C’est chez lui que Ramon devient Wanchope. Et tant pis si sa ressemblance avec le grand attaquant costaricien est loin de sauter aux yeux. Jusqu’à ses 25 ans, il est un attaquant moyen de D2. Avant de découvrir l’élite avec Huracán et d’exploser enfin. Ce qui lui vaut un transfert à Cruzeiro où il brille et devient champion du Brésil. Un tremplin vers la consécration : une signature à Boca Juniors, il y a un an.
De sa trajectoire sinueuse, Wanchope a conservé une maxime qui lui sert de carte de visite : « L’argent et la peur sont deux choses que je n’ai jamais eues. » Si la première affirmation est désormais erronée, la seconde est indiscutable. Abila n’a jamais peur. Quand il signe pour les Xeneizes, il n’a pas peur d’aller voir le président Angelici et de lui affirmer : « Président, si je ne marque pas, ne me payez pas. Payez-moi à chaque but marqué. » Il n’a pas peur de n’être qu’un choix par défaut pour son coach Barros-Schelotto, ni d’être le quatrième avant-centre de la rotation derrière Benedetto, Bou et son grand pote Carlos Tévez. Enfin, il n’a pas peur d’affirmer qu’il céderait volontiers aux sirènes du football chinois si jamais elles venaient le chercher : « Si on m’appelle, soyez tranquilles, j’y vais. Je ne suis pas un couillon. Avec cet argent, je pourrais même devenir président d’Instituto et sauver le club. »
Un hincha comme un autre
En réalité, Wanchope est un joueur comme seul le football argentin peut en produire. Un hincha comme un autre devenu joueur pro, avec qui le fan s’imagine qu’il pourrait s’envoyer un asado et descendre quelques Quilmes. Sans doute pour cela que quand il rate une occasion, la Bombonera ne le siffle pas, mais préfère l’encourager et souffrir avec lui. Comment ne pas aimer un homme capable d’affirmer que son idole est Miliki Jimenez – attaquant anonyme d’Instituto, qui empilait les buts en deuxième division argentine, mais n’a jamais fait la maille pour l’élite – ? L’avant-centre du plus grand club sud-américain qui confesse avoir pour idole un buteur à la petite semaine, c’est un peu comme si l’idole de Kylian Mbappé était Guilherme Mauricio, le buteur en série lavallois. Suffisant pour incarner une certaine idée du football argentin, celui des potreros et des tacles à la gorge, de l’amour du maillot jusqu’à la démesure. Celui de la garra, de l’instinct, de la roublardise. Des valeurs fantasmées et pourtant indispensables à l’heure de jouer un Superclásico. Wanchope ne jouera jamais dans un top club européen, mais il est ce type indispensable pour gagner une finale de la Copa Libertadores.
Par Arthur Jeanne