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- 28 octobre 1977
Waldino Aguirre : Un goleador tué par la police
Idole de Rosario Central, Waldino Aguirre s'éteint le 28 octobre 1977 dans un commissariat, après avoir été torturé. Pas d'implication politique ici, en plein régime militaire, seulement la fin tragique d'un homme de 56 ans pour qui le football constituait le seul et trop mince filet de protection.
Dans une station de tramway désaffectée vivait une idole. L’homme n’avait que le football dans la vie. Une considération qui confine souvent au cliché, mais le désœuvrement le plus total attendait bien l’ex-attaquant de Rosario Central, Waldino Aguirre, une fois les crampons raccrochés. L’action se situe au début des années 50. Une fois sa vie de Dieu du stade enterrée, Aguirre se met à boire. Beaucoup trop. Pour se payer ses bouteilles, l’ex-goleador raconte sa splendeur aux Rosarinos qui le reconnaissent et l’adulent encore. Aguirre aime s’enivrer dans le mirage de ses années fastes, mais il n’oublie pas l’essentiel : demander une petite pièce une fois l’anecdote contée afin de pouvoir ramener une bouteille à siffler dans le précaire confort de sa cabane. L’ex-attaquant vivote ainsi près d’une trentaine d’années.
Torito, le surnom de cet attaquant fougueux, a longtemps été le meilleur buteur de l’histoire de Rosario Central. Son allure maladroite, bancale, ne l’avait pas empêché de planter 95 buts en 188 matchs de 1941 en 1946, puis de 1949 à 1951. Il faudra attendre le roc Mario Kempes pour le déloger des cimes : 97 réalisations en trois années sous le maillot canalla pour El Matador. Enfant du quartier marginal de la Tablada, Aguirre était une idole locale, à qui la ville pardonnait à peu près tout. Même les fans de Newell’s Old Boys se montraient plutôt magnanimes avec l’idole ennemie.
Torture, femmes au balcon et cojones
Les bonnes manières n’ont jamais accompagné Waldino Aguirre. Sur le terrain, l’attaquant s’écharpait vivement avec ses adversaires et ses dialogues trop frontaux avec les arbitres lui valaient de collectionner les expulsions. Aguirre répondait à la provocation par la provocation. En 1949, lors d’un Clásico face à Newell’s Old Boys, il se signale en prenant à deux mains ses cojones pour montrer qu’il n’en manque pas. Une revendication destinée à une loge uniquement composée de femmes qui venaient de l’insulter. Au terme de la rencontre, la police l’arrêtera.
Près de trente ans plus tard, Torito fera un nouveau tour au commissariat. Il en ressortira les pieds devant. Ce 27 octobre 1977 au soir, Aguirre est arrêté. Une jeune fille de 19 ans dont le père est un partenaire de biture régulier de l’ex-footballeur vient d’être portée disparue. Appréhendée, l’idole déchue nie les faits, mais sous le régime militaire, la police a pris l’habitude d’arracher des aveux par tous les moyens nécessaires, et à ne pas s’embarrasser avec la vérité. Pendant la séance de torture d’Aguirre, on monte le son de la radio. Au petit matin, le commissaire informe que l’ex-meilleur buteur de l’histoire de Rosario Central a succombé à une crise cardiaque. Une enquête postérieure permet de conclure qu’il a été, en réalité, victime d’une hémorragie massive, consécutive à la multitude de coups reçus. En 1980, un officier sera condamné à 10 ans de prison, un autre à 12 ans, pour « torture ayant entraîné la mort. » Seule l’impunité aura épargné Waldino Aguirre.
Par Marcelo Assaf, avec Thomas Goubin