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- Coupe du monde 2010
Waka Waka, this time is not for Africa
Chanson officielle du mondial s'étant le mieux vendue, « Waka Waka » est aussi celle qui a sans doute cristallisé le plus de tensions. Car entre soupçons de plagiat et manque de reconnaissance envers la scène musicale locale, le tube de Shakira symbolise à lui seul la mainmise de la FIFA sur l'organisation de la Coupe du monde en Afrique du Sud.
Alors que l’Afrique du Sud et le Mexique ouvrent le bal le lendemain après-midi au Soccer City de Johannesburg, l’Orlando Stadium de Soweto est, lui, déjà en ébullition. Le concert d’ouverture du mondial sud-africain accueille tour à tour Alicia Keys, les Black Eyed Peas, John Legend, Amadou & Mariam, Juanes, l’égérie Coca-Cola K’Naan, avant que Shakira entre en scène. Déjà présente en préambule de la finale entre l’Italie et la France quatre ans plus tôt, la pop-star colombienne est affublée d’une tenue zébrée tout droit sortie du Roi Lion. Elle s’échauffe d’abord la voix sur deux de ses morceaux les plus connus, puis entame son fameux « Waka Waka (This time for Africa) » , au milieu d’une trentaine de danseurs. Avec beaucoup d’anglais, une phrase d’argot camerounais ici et là, quelques sonorités africaines grâce au groupe local Freshlyground, ce tube est suffisamment commercial pour s’être vendu à plus de dix millions d’exemplaires. Pourtant, entre le boycott du concert d’ouverture, et une histoire de plagiat étouffée par le clan Shakira, le hit fait polémique et symbolise l’emprise de la FIFA sur l’organisation de cette toute première Coupe du monde sur le continent africain.
« Qui t’a obligé à entrer dans l’armée ? »
Les premières critiques trouvent écho bien avant l’annonce de la programmation du concert d’ouverture, pensée autour du single « Waka Waka » . À la sortie de ce dernier, Shakira est d’abord moquée pour sa piètre maîtrise des phrases chantées en afrikaans, la seconde langue officielle d’Afrique du Sud avec l’anglais. Puis un mois avant le début de la compétition, voilà que la chanson officielle de la Coupe du monde serait en réalité un plagiat du titre « Zangalewa » , interprété par Golden Sounds au milieu des années 1980. Le titre de l’artiste colombienne reprend en effet mot pour mot le refrain du groupe camerounais : « Zamina mina hé hé hé, Waka waka éé é, Zamina mina zaaangaléwa. » La langue est difficile à identifier précisément puisque les tirailleurs camerounais avaient en fait créé un argot afin de mieux communiquer entre eux durant la Seconde Guerre mondiale. En a découlé ce gimmick entêtant et motivant, repris puis arrangé par Golden Sounds, groupe composé de membres actifs de la garde présidentielle camerounaise. Pour nombre d’Africains, « Waka Waka » représente le cri poussé par les jeunes militaires se plaignant de la vie en caserne. Quand ils s’insurgeaient, leur chef leur lançait ce fameux « Zangaléwa ? », que l’on peut traduire par « Qui t’a obligé à entrer dans l’armée ? »
Le titre « Zangalewa » devient un succès continental, avant de traverser l’Atlantique lorsque des DJ ouest-africains importent le morceau en Colombie, et le popularisent sous le nom de « The Military » . Une métaphore guerrière que reprend donc à sa guise Shakira, avant que certains membres du groupe s’en aperçoivent, sortent l’histoire dans la presse et menacent d’attaquer la chanteuse colombienne pour plagiat. Mais ses avocats sont tellement blindés que leurs opposants organisent un point presse le 11 mai 2010 pour éteindre la polémique, et annoncer qu’il n’est pas question d’un plagiat, mais d’une adaptation. Logique, Sony Music, producteur du titre, vient de trouver un arrangement avec le groupe camerounais. Une aubaine en forme de trompe-l’œil car un mois plus tard, alors que le mondial a commencé, les anciens membres de Golden Sounds n’ont toujours reçu aucun dédommagement. Pour couronner le tout, la FIFA n’a même pas pris la peine de les inviter en Afrique du Sud, alors que plusieurs millions d’exemplaires ont déjà été vendus à travers le monde.
Consommez local
Pourtant, le concert d’ouverture aurait été l’occasion idoine pour faire jouer le groupe camerounais, qui a annoncé son retour après l’affaire de plagiat. Mais lorsque la programmation est dévoilée, seuls trois groupes africains sont présents à l’affiche, ce qui exaspère le Creative Workers Union of South (CWUS), un syndicat d’artistes sud-africains. Ce dernier n’hésite pas à pointer du doigt un événement qui, d’après eux, ne met pas suffisamment en avant des artistes issus du continent. Ils regrettent que la majorité des artistes programmés la veille de l’ouverture du mondial soient des icônes mondialement connues. C’est pourquoi le syndicat appelle au boycott de l’événement et menace même la FIFA d’organiser un énorme concert rival pour protester contre le leur, ce qui pousse l’institution internationale à programmer quatre nouveaux groupes issus du continent.
Insuffisant, malgré tout, pour calmer la colère d’une partie des Sud-Africains, qui avaient l’espoir que cette Coupe du monde mette en lumière la scène artistique locale. Au lieu de ça, ils doivent débourser entre 47 et 145 euros pour assister au concert, un montant exorbitant car largement supérieur au salaire hebdomadaire de nombreux travailleurs locaux. Pour se donner bonne conscience, la FIFA et Jérôme Valcke annoncent que les bénéfices du concert seront reversés à la campagne sociale de la FIFA 2010, qui vise à offrir des services de soins de santé, éducatifs, aux communautés défavorisées. Mais il est déjà trop tard, le mal est profond. « Ce n’est pas notre Coupe du monde. C’est la Coupe du monde de la FIFA. Nous ne sommes que les organisateurs. Nous sommes la scène », balance Greg Fredericks, directeur principal du comité d’organisation de la Coupe du monde, quelques semaines avant le début des hostilités. Tout l’inverse de ce que Shakira entonne dans la chanson officielle de ce mondial. L’Afrique attendra.
Par Maxime Renaudet