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Vsevolod Bobrov, le footballeur hockeyeur
La République tchèque accueille depuis ce 1er mai le championnat du monde de hockey sur glace. L'occasion est belle de retracer l'histoire du légendaire Vsevolod Bobrov, le plus fameux sportif soviétique d'après-guerre, au palmarès aussi fourni en football que sur la glace. Un miraculé aux stats phénoménales en crampons comme avec des patins, qui s'est illustré à la fois aux Jeux olympiques d'été et d'hiver.
Mai 1945 en URSS : l’ennemi nazi est enfin vaincu et le pouvoir en place emmené par Staline entend bien tout de suite faire table rase de cette foutue guerre et repartir de l’avant, dans un élan patriotique et alors que les tensions avec l’Occident commencent à se faire sentir. Les millions de morts ? Les destructions à l’ouest du pays ? Les soldats mobilisés disséminés un peu partout sur le front ? Même pas mal ! Une poignée de jours seulement après l’armistice, le championnat national de football reprend. Une bravade à laquelle participe Vsevolod Bobrov, jeune appelé de 22 ans surdoué du sport et qui rejoint tout naturellement l’équipe de l’armée, le CDKA Moscou (ex-CSKA). Dès ces premières semaines de reprise du championnat domestique, Bobrov flambe en attaque au point d’attirer l’œil des dirigeants du Dynamo, qui s’apprêtent à effectuer une tournée historique en Grande-Bretagne, invité d’honneur pour fêter la victoire sur Hitler. Le buteur du CSKA est débauché le temps du voyage et va devenir la star et le héros de la délégation russe en inscrivant 6 buts au total, au cours de matchs opposant la formation moscovite à des équipes du calibre de Chelsea, Arsenal, les Rangers ou Cardiff. Clairement, ce Vsevolod Bobrov est la star du football de cet immédiat après-guerre.
Un triplé aux JO pour une remuntada historique
À la suite de cette tournée triomphale au pays de Churchill, Bobrov va confirmer qu’il est bien l’un des plus illustres joueurs du moment, tout du moins le plus grand d’URSS, inscrivant un total de 96 buts en 116 matchs disputés dans le championnat soviétique. D’abord sous les couleurs du CDKA, puis du VVs Moscou (l’éphémère club de l’armée de l’air, présidé par son ami Vassili Staline, fils de) et enfin du Spartak, glanant au passage quatre titres nationaux et terminant deux saisons meilleur buteur. Son expérience en sélection est brève mais spectaculaire. Lors des Jeux olympiques de 1952 en Finlande, l’équipe nationale de foot fait ses débuts en compétition internationale avec Bobrov capitaine et déjà buteur pour sa première sélection lors du premier match de l’URSS face à la Bulgarie (2-1). Le deuxième adversaire est plus coriace puisqu’il s’agit de la Yougoslavie, finaliste des JO quatre ans auparavant. À un quart d’heure de la fin de la rencontre, les « Yougo » mènent 5-1 avec le seul but pour l’URSS signé de l’inévitable Bobrov, qui décide alors de prendre vraiment les choses en main : il délivre d’abord une passe décisive pour le but du 2-5, inscrit un doublé, puis un triplé pour revenir à 4-5, avant l’égalisation à 5-5 du dénommé Petrov, le tout en quinze minutes à peine ! C’est encore aujourd’hui l’un des plus grands exploits du tournoi de football aux Jeux, même si l’URSS s’incline deux jours plus tard en match d’appui (1-3, but pour l’URSS de vous-savez-qui). Bilan de l’éphémère carrière internationale en football de Bobrov : 3 sélections, 5 buts.
À la tête de l’invincible URSS en hockey
Un an plus tard, à 30 ans, Bobrov range définitivement les crampons, mais n’abandonne pas le haut niveau pour autant. En réalité, le meilleur de sa carrière sportive est à venir ! Car sa vraie passion, c’est le hockey sur glace, qu’il pratique depuis tout gamin et qu’il pratiquait en élite dès 1946, parallèlement à sa carrière de footballeur : crampons l’été, patins l’hiver. International de hockey avant de l’être dans le foot, il échappe miraculeusement au crash d’un avion qui va décimer la sélection soviétique. Le 5 janvier 1950, le Lisunov Li-2 de l’armée transportant onze internationaux s’écrase près de l’aéroport de Sverdlovosk (actuel Iekaterinbourg). Aucun ne survit. Parmi les victimes aurait dû se trouver Bobrov, qui avait décidé au dernier moment de prendre le train pour ce déplacement… Un vrai miraculé qui va ensuite devenir l’homme fort et le capitaine de la sélection renaissante, championne du monde 1954 pour la première participation de l’URSS au tournoi. Bobrov termine meilleur buteur et l’invincible Canada est balayé 7-2 en finale, une sensation ! Bien que vieillissant, l’ancien footballeur est encore au rendez-vous des Jeux de 1956 en Italie : l’URSS conquiert l’or olympique et son capitaine est encore meilleur buteur de la compétition.
Sélectionneur de la « Série du siècle » face au Canada
Ses stats personnelles sur la glace sont encore plus invraisemblables que sur la pelouse : 254 buts en 130 matchs de championnat soviétique, 89 buts en 59 matchs avec la sélection. Le grand gaillard mène ensuite une brillante carrière d’entraîneur, en football, mais encore plus en hockey, puisqu’il est le sélectionneur de l’URSS double championne du monde en 1973 et 1974. C’est lui aussi qui était déjà à la tête de l’équipe nationale en 1972 lors de la « série du siècle » , cet affrontement homérique en huit matchs opposant les Soviétiques à toutes les stars canadiennes de NHL de l’époque et qui se terminera par un court succès des Nord-Américains par 4 victoires à 3, pour 1 nul. Bobrov décède en 1979, à même pas 57 ans, et figure sur le podium des plus grands sportifs soviétiques, derrière Lev Yachine et Alexandre Kareline, le légendaire lutteur. Un sportif qui aura marqué l’histoire de deux sports collectifs quasi simultanément.
Par Régis Delanoë