Saint-Frégant : son club, ses vaches et le loto bouse du siècle

Nous sommes le dimanche 23 mars 2025. Toute la France du football est occupée par le match des Bleus contre la Croatie… Toute ? Non ! Un village d’irréductibles Bretons résiste encore et toujours, plus intéressé par les bouses de vaches et le bar du coin. Saint-Frégant, petit bourg de 850 habitants situé 20 kilomètres au nord de Brest, sera en effervescence à l’occasion du Vrai Foot Day : le club local, La Vaillante Saint-Frégant, organise un derby caritatif contre l’Hermine Kernilisienne, ainsi qu’un loto bouse géant au stade Goulven Corlosquet, au profit de l’association Ensemble pour Anna. « L’événement du siècle en Saint-Frégant », rien que ça.

Entre potes

Ici comme dans beaucoup de communes rurales, pas de boulangerie, de pharmacie ou d’épicerie, mais des champs à foison, et seulement un bar et un club de foot pour faire battre le cœur du bourg. « C’est l’association qui permet de faire du lien, d’intégrer de nouveaux habitants, souligne Damien Jaffrès, coprésident de La Vaillante. On a une cinquantaine de personnes à nos matchs le dimanche, c’est le moment de la semaine où tout le monde peut se retrouver. Ça crée un joli truc. Le club est tellement important, tellement ancré dans la commune, que tout le monde a un lien avec. » La bande doit malgré tout mouiller le maillot pour que le navire reste à flot : l’an passé, le club était tombé sous la barre des vingt licenciés.

« On est parti recruter tous nos amis, et même leurs frères, sourit Damien, qui a repris la présidence avec Thomas Cabon à l’été 2024. C’est un club de potes, on était tous ensemble en maternelle pour la majorité d’entre nous. C’est vraiment un club ultra-familial : tout le monde se connaît, on traîne ensemble tous les week-ends… On ne se lâche pas. » La Vaillante compte aujourd’hui 45 licenciés et deux équipes seniors, une en District 3, actuellement deuxième de sa poule et candidate à la montée, l’autre en District 4. Loin de l’époque dorée des années 1970, quand les Jaune et Noir pouvaient aligner trois équipes seniors et plusieurs autres chez les jeunes. Mais l’important est ailleurs ; le club respire, et le bourg avec lui.

Tartif’ disco, Suzette et Raymond Kopa

Pour entretenir la flamme, Damien et sa bande organisent régulièrement des soirées « tartif’ disco », où la tartiflette se déguste en tenue des années 1980. Saint-Frégant, c’est ça. Et comme c’est aussi « la campagne pure », le club a souhaité rendre hommage au patrimoine local pour le Vrai Foot Day. « On a beaucoup d’agriculteurs ici, dont notre ancien président, Thomas Bourhis. On a fait le lien : il élève des vaches laitières, il fallait trouver quelque chose de sexy, donc pourquoi pas un loto bouse ! », raconte Damien. Suzette, Salade et Rose, trois Prim’Holstein sélectionnées pour « leur bon comportement et pour la qualité de leurs bouses », auront donc l’honneur, dimanche, de prendre place sur une zone quadrillée de 100 cases, juste à côté du terrain de foot. Le public devra miser sur les cases où atterriront les bouses tant attendues pour gagner des lots. Pas d’inquiétude sur les délais de production, « en moyenne, une vache lâche une bouse par heure », assure le président joueur, qui « s’y connaît un minimum » grâce au jeu phénomène Farming Simulator.

En parallèle, Saint-Frégant jouera le « classico des petits bourgs » face aux anciennes gloires du club voisin, Kernilis. Jo Droff, qui a fondé le club en 1967, donnera le coup d’envoi de la rencontre. « Sans lui, on ne serait pas là, chaque week-end, à se régaler et à se marrer entre copains, rappelle Damien. C’est aussi une façon de le remercier pour tout ce qu’il a pu faire pour le club et la commune. Il vient régulièrement, aux matchs ou aux événements. Bon, pas à la tartif’ disco, mais il est souvent présent dès qu’on fait des choses, et c’est top ! » Le retraité sera derrière la main courante pour assister à ce derby entre amis sur une pelouse sacrée, foulée par Monsieur Raymond Kopa en personne lors de l’inauguration du stade en 1973. « Mon père est l’agent communal de Saint-Frégant, c’est lui qui s’occupe de notre terrain, reprend Damien. Il n’a pas le choix, on est plusieurs à lui mettre la pression. (Rires.) Il fait ça avec plaisir, et ça se voit, le terrain n’est vraiment pas crado par rapport à notre division. En même temps, on l’aide beaucoup parce qu’on ne s’entraîne pas forcément toutes les semaines, on ne l’esquinte pas trop ! »

Un pour tous, tous pour Anna

Un terrain honorable, des vaches magnifiques, et un invité de marque : Grégory Pelleau, le speaker du Stade brestois, qui fera le déplacement pour animer la journée. « On a de la chance parce qu’il avait réservé un week-end avec sa femme, mais il a tout annulé », se marre Damien. La voix de Francis-Le Blé n’a pas hésité après en avoir parlé avec Brendan Chardonnet, parrain de cette édition. « C’est vrai qu’on est en vacances et que j’aurais pu rester à la maison avec ma femme, sourit le speaker, mais ça m’a paru évident de répondre favorablement. J’animais Brest-Real Madrid il n’y a pas si longtemps, il y a un fossé ! Mais je prendrai autant de plaisir sur cet événement. Il ne faut jamais oublier d’où l’on vient, et donc que le foot amateur est à la base du foot professionnel. » La Vaillante a visé juste puisque Grégory Pelleau est déjà familier du loto bouse : « J’ai eu l’occasion d’animer des événements comme l’Agrifête, en lien avec le milieu agricole. Il y avait aussi un loto bouse, sur un terrain vague, avec une vache qui était la star de l’événement. Je ne serai pas dépaysé ! »

Mais si l’homme au micro a tenu à répondre présent, au-delà des plaisirs offerts par les joueurs et par les vaches, c’est avant tout pour aider Anna, petite fille de 4 ans atteinte du syndrome de Rett, une maladie rare qui altère le développement du système nerveux central. L’argent récolté dimanche sera entièrement reversé à l’association créée pour la soutenir. « Beaucoup d’entre nous ont joué avec son père dans d’autres clubs, on les connaît bien. C’était logique de faire ça pour une petite fille qui est proche de chez nous », explique Damien. Un euro symbolique sera demandé pour accéder au stade, et en plus du loto bouse, des tickets de tombola seront mis en vente. Une bonne cause pour laquelle La Vaillante espère battre son record d’affluence de 1973, quand près d’un millier de curieux étaient venus admirer le Ballon d’or 1958. « C’est fou d’avoir cette médiatisation pour notre petite commune ! Franchement, c’est l’événement du siècle ! On ne revivra pas une journée comme ça », s’enthousiasme Damien. Hasard total du calendrier, la balayeuse vient même de passer pour la première fois de l’année dans les rues de la commune pour lui donner un bon coup de propre. L’événement du siècle, on vous dit !