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Voyage en bizarrerie
Accrochée à Guingamp par l'Islande (2-2) jeudi soir, l'équipe de France revient de Bretagne avec quelques questions et une piqûre de rappel bienvenue avant de recevoir l'Allemagne mardi, au stade de France.
« Étrange… » Erik Hamrén, 61 ans, ne ressemble en rien à Phil Taylor, mais est un homme qui sait toucher la cible lors des grands soirs. Jeudi soir, le sélectionneur islandais s’est pointé dans une salle de presse du Roudourou sans trop savoir quoi dire, troublé, presque encore scotché par la manière dont il venait de se faire renverser de sa chaise quelques minutes plus tôt. Au fond, que dire, quand, après avoir été balayé en Suisse (6-0) et facilement dompté à domicile par la Belgique (0-3) lors des deux premières journées d’une Ligue des nations où l’Islande a déjà été transformée en faire-valoir, son équipe a mené 2-0 chez une autre devenue championne du monde trois mois plus tôt et a presque tout perdu ? Pas simple : « Franchement, faire 2-2 ici, en France, et être déçu, c’est plus qu’étrange, c’est bizarre… Ce soir, je voulais voir une réaction de mes joueurs et je l’ai eue. Je suis fier d’eux, très content de notre performance. Bon, à l’arrivée, je suis même très content ! » Il faut le dire : sans le vouloir, Hamrén a résumé à lui seul l’ensemble des sentiments d’une nuit qui aura vu l’équipe de France enchaîner un quatorzième match consécutif sans défaite au bout de deux matchs en un.
Le vide vertical, le trou collectif
Le premier : celui qui s’est joué de la première à la soixantième minute. Soit une parenthèse où l’on aura vu, comme l’a souligné Didier Deschamps après la rencontre, les Bleus en manque « de vitesse, de mouvement… On jouait face à une équipe bien organisée, en densité, qui a profité de ses points forts » .
Oui, mais aussi une équipe qui n’a plus gagné depuis le mois de janvier dernier, qui reste sur un Mondial anonyme (l’Islande a terminé dernière du groupe D, avec un nul et deux défaites) et qui cherche avant tout à réenclencher un nouveau cycle, Erik Hamrén ayant fait de ce déplacement en France « un exercice » d’apprentissage. Reste que jeudi soir, c’est surtout l’équipe de France qui a appris des choses et en a confirmé d’autres. Ce France-Islande était pour Deschamps l’occasion de proposer des choses différentes, il l’a fait : Digne titularisé à gauche, Kimpembe installé aux côtés de Varane à la suite de l’absence de Samuel Umtiti, Thauvin et Dembélé sur les ailes, Nzonzi-Pogba pour tenir le cœur du jeu. Résultat, aucun des premiers cités, Steven Nzonzi et Paul Pogba n’étant pas tellement des seconds couteaux dans l’esprit du sélectionneur et ayant livré deux belles copies, n’aura marqué des points.
Pire, on peut se dire que certains en ont perdu. Deschamps estimait en début de rassemblement qu’Ousmane Dembélé n’a pas encore « pleinement conscience » des exigences du haut niveau ? L’ailier du Barça, celui qui ne sait plus s’il est droitier ou gaucher, l’a confirmé par séquences face à l’Islande, même s’il aurait pu faire basculer la rencontre avec plus de justesse. Thauvin célébrait sa première titularisation en sélection ? Bingo, le joueur de l’OM aura plus ou moins tout raté, se montrant incapable de retrouver la fraîcheur technique qu’il affiche en club et sa pleine confiance. Kimpembe ? Le défenseur axial du PSG a été fautif sur les deux buts islandais, perdant un duel lisible à mille kilomètres sur l’ouverture du score de Bjornasson à la demi-heure de jeu avant de se faire dépasser dans les airs par Árnason sur la balle de break adverse. « Ils n’étaient pas non plus dans les meilleures conditions par rapport à l’attitude collective » , a noyé Deschamps en après-match. Peut-être, mais s’il y a des rendez-vous à ne pas manquer lorsqu’on a vingt ans, celui-ci en fait partie : mardi, face à l’Allemagne, ça ne sera pas leur scène – à l’exception de Kimpembe, qui devrait être reconduit – et c’est toujours emmerdant.
Le match en pleine tête
Le second, maintenant : celui d’une « folie » bienvenue au milieu d’une soirée à mille paradoxes, forcément provoquée par l’entrée de Kylian Mbappé, qui a d’abord commencé par offrir une caricature de lui-même avant d’inviter la simplicité à sa partition, ce qui a accouché des deux buts qui ont permis aux Bleus de ne pas foutre en l’air la fête du patron, Noël Le Graët, de passage dans sa ville. Derrière le rideau, il n’y en a alors eu une nouvelle fois que pour lui, Lloris évoquant froidement ce gosse qui « n’est pas près de finir de nous surprendre » . Là-dessus, rien de neuf. Et pour le reste, un match amical restant un laboratoire ? Justement, pas grand-chose et c’est le drame du soir, même si Tanguy Ndombele aura réussi une première entrée chez les grands très autoritaire : débarqué à trente minutes du terme, Thomas Lemar est notamment passé à côté de la parenthèse offerte en se montrant incapable d’apporter la verticalité si absente du jeu tricolore jeudi soir et filant même une balle de troisième but aux Islandais quelques minutes après sa venue sur scène. Payet ? Pas mieux. Alors, Didier Deschamps a sorti les rames pour ses hommes et il a eu raison : il fallait que tout retombe, tant mieux que ça se passe maintenant, retour au réel.
Olivier Giroud n’a pas dit autre chose : « Il y a des fois où ce genre de matchs arrivent et vous frappent en pleine tête. Ça ressemble à une piqûre de rappel, une vraie piqûre même, pour nous remettre les idées en place. C’est un moindre mal. »
Les Bleus vont connaître ça pour les quatre prochaines années, ça ne sera pas toujours joli – ça fait un moment que ça ne l’est pas vraiment, mais tant que ça gagne, silence, on connaît l’idée –, mais leur mérite est là : cette fois encore, ils n’ont pas perdu. « Et heureusement » , a soufflé Lloris. Vrai, car à Guingamp, ça aurait fait tache : non, pas plus qu’ailleurs, il ne faut pas s’y tromper et la véritable déception de la soirée aura peut-être été là. Au Roudourou, « l’étrange » a été l’ambiance : un mix entre séquences de huis clos et spectacle de cirque, où l’on vient voir les acrobates parce qu’ils sont acrobates – et ici champions du monde grâce à leurs acrobaties – plus que pour le contenu du spectacle en lui-même. « C’était plutôt cosy » , a préféré s’échapper Deschamps, tout en refusant de « taxer le public d’avoir ronronné. En même temps, on n’a pas fait grand-chose non plus pour le réveiller. » Ce sera l’enjeu du retour de la Ligue des nations mardi soir et de la réception de l’Allemagne : une nuit pour redevenir une machine qui roule ensemble, notamment sur les côtés où Pavard aura une nouvelle fois inquiété, et qui sait porter la foule lorsque celle-ci attend qu’on vienne lui prendre la main. Histoire, aussi, que cette soirée bretonne ne reste définitivement qu’une « petite chute de tension » . Allez, on va se pincer pour y croire.
Par Maxime Brigand, à Guingamp
Tous propos recueillis par MB.